L'Europe du social

Le Fond Social Européen au service de l’insertion

Le Fonds Social Européen a financé dans notre pays depuis 1990, 700 actions d’insertion concernant 25.000 jeunes. Ce qui est souvent vécu comme une immense usine à gaz, offre une aide efficace et réelle. Explications.

Le Fonds Social Européen est aussi ancien que la communauté européenne, puisqu’il a été institué par le Traité de Rome, dès 1957. Cela fait donc cinquante ans que ce Fonds structurel investit dans des programmes nationaux. La France reçoit près d’1 milliard d’€uros en moyenne chaque année, ce qui la place au cinquième rang des bénéficiaires des Etats de l’Union européenne. Cela concernait, fin 2005, 30.000 projets conventionnés avec de multiples partenaires : des collectivités territoriales comme les conseils régionaux pour l’apprentissage, des organismes sociaux et de formation comme des entreprises, des administrations étatiques comme des associations etc… Cette même année, 1,5 million de Français auront bénéficié d’une action soutenue par le FSE : des demandeurs d’emploi, jeunes ou adultes, peu ou pas assez qualifiés, des hommes et des femmes nécessitant une formation adaptée ou confrontés à une difficulté particulière, des personnes incarcérées, des mineurs ou jeunes adultes en recherche d’insertion...

 

Les projets soutenus

Commençons par donner une idée rapide des projets soutenus à travers l’Europe. On trouve tout d’abord des actions destinées à promouvoir l’esprit d’entreprise ou encore l’adaptabilité aux mutations économiques : le rapprochement de l'industrie et de la recherche en Italie, la modernisation de l’industrie touristique en Grèce, l’encouragement au commerce et à l’artisanat local en France. Autre perspective : améliorer l’employabilité des salariés. Ainsi, en Allemagne, une entreprise souhaitant proposer à ses salariés un apprentissage tout au long de leur vie a bénéficié d’une aide de plus de 282.000 €. Au Portugal, le gouvernement a été aidé à hauteur de plus de 14 millions d’€ dans l’élaboration à travers tout le pays d’un réseau de centres de reconnaissance, de validation et de certification des compétences. Il s’agissait de proposer aux 64% de la population adulte qui n’a pas terminé son enseignement secondaire (pourtant obligatoire), de se voir reconnaître son potentiel caché. En Espagne, c’est la mise à jour des compétences et des diplômes au sein du secteur audiovisuel qui a fait l’objet d’une subvention de 68.000 €. Mais, pour l’essentiel, ce sont les dimensions d’adaptabilité, d’inclusion sociale et d’égalité des chances qui sont promues. Ainsi, le FSE est-il venu en appui du programme de développement de la qualification de 2.375 salariés de la ville de Stockholm, en Suède, travaillant auprès de personnes porteuses de handicap et ce pour un montant de plus de 2 millions d’€.  L’Irlande, quant à elle, a bénéficié de plus de 44 millions d’€ dans un programme d’amélioration de la prise en charge dans des structures de protection de l’enfance. Le Luxembourg a reçu 150.000 €, en appui à un programme de soutien à l’intégration de demandeurs d’asile.

 

Une évolution permanente

La protection judiciaire de la jeunesse réunissait du 15 au 17 octobre 2007 un séminaire européen pour comparer l’application du FSE dans les différents pays membres. L’occasion de comprendre le fonctionnement de ce dispositif réputé complexe. C’est à Jean-Louis Authié, chargé de mission, qu’est revenue la tâche d’en expliquer les mécanismes. Dans sa première version (1957/1971), rappela-t-il, le FSE s’est donné comme objectif principal d’accroître l’offre d’emploi, de faciliter la liberté de circulation des travailleurs en Europe et de mettre en place une politique de soutien à leur formation et à leur mobilité. En 1971, le Fonds est réformé pour mieux s’adapter aux évolutions qui se profilent : de résiduel et conjoncturel, le chômage apparaît alors de plus en plus lié à des facteurs structurels. Le FSE va devenir l’outil principal de la politique européenne de l’emploi. En 1988, après l’adoption de l’Acte Unique Européen, une nouvelle stratégie s’impose : l’élargissement à des pays présentant des retards structurels importants. Le FSE s’oriente alors vers la réduction des écarts de richesse et de niveaux de vie entre les États membres et leurs régions et par voie de conséquence la promotion de la cohésion économique et sociale. Le montant des fonds structurels est alors multipliée par deux. En 1993, malgré la croissance économique liée à la création du marché unique, le chômage augmente en Europe et touche près de 16 millions de personnes. La politique européenne de cohésion passe de 20% au deux tiers du budget total. L’action est décentralisée pour être plus proche du local. La programmation devient pluriannuelle permettant une gestion plus souple et plus durable.

 

Principes d’application

Le Conseil Européen, réuni à Lisbonne en 2000, se fixe un objectif stratégique : « une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Il fait du Fonds Social Européen le principal instrument de cette stratégie. Il reconduit le cadre opérationnel élaboré précédemment. Pour que les plans d’action nationaux à l’emploi fassent l’objet de sa participation financière, quatre grandes conditions doivent être respectées. Le premier principe renvoie à la notion de cofinancement. L’Union Européenne a pour précepte de base d’appuyer les politiques publiques des Etats membres, non de les initier. Elle ne peut venir qu’en complémentarité des efforts financiers d’instances nationales (Etat, conseils régionaux, conseils généraux, communes, chambres consulaires …). Elle ne peut en outre dépasser certains plafonds. Second condition, l’additionalité : les fonds européens  ne viennent pas en substitution mais en addition à ce financement et doivent correspondre à ceux critères : permettre de faire plus et/ou de faire mieux. Troisième axe : la concentration. Les interventions du FSE se concentrent sur un nombre limité de domaines ou de thèmes et sur les besoins les plus importants et les plus performants. Enfin, quatrième fondamental : le partenariat. Pour impulser et mettre en œuvre les programmes nationaux et régionaux du Fonds social européen, l’administration centrale n’agit pas seule, elle coopère avec une large palette  d’acteurs (les régions et les autres collectivités territoriales, les partenaires sociaux et les acteurs économiques, le secteur associatif). Pour être éligibles, les actions proposées doivent répondre à ces quatre exigences.

 

Des conditions draconiennes

Les dossiers de subvention du FSE sont réputés être particulièrement complexes à remplir, au point d’avoir amené un certain nombre de cabinets de consultants à se spécialiser dans leur montage. Les exigences en terme de contrôle sont fortes. Il s’agit de parvenir à l’assurance raisonnable que les dépenses exposées sont éligibles et effectivement encourues et que l’opération prévue a bien été réalisée. La cohérence sera vérifiée entre le plan de financement proposé d’un côté et de l’autre les éléments qualitatifs déclarés et les dépenses effectives. Une liste précise de pièces est demandée lors de la constitution du dossier et après la réalisation de l’opération. Sont tout particulièrement épluchés les attestations de présences des jeunes, les feuilles d’émargement des formateurs, le planning des activités, les comptes rendus de réunions, les factures, les pièces comptables de valeur probante équivalente, la  comptabilité séparée, l’enliassement des factures etc … Anne Baverey, chef de mission au ministère de l’emploi, du Département FSE à la DGEFP est venue démystifier l’instruction de ces dossiers pourtant réputés léonins. Elle a proposé trois attitudes élémentaires. Pour être éligible, tout projet doit d’abord entrer dans une logique compatible avec les objectifs fixés par L’Europe. Il faut ensuite être capable de justifier tout euro dépensé auprès de l’autorité de gestion, démontrant ainsi une bonne et saine gestion. Dès lors, renvoyer vite les justificatifs de la cohérence entre le budget prévisionnel et le bilan comptable devient la condition d’un versement rapide des sommes engagées : le FSE ne fait pas d’avance, mais rembourse les dépenses déjà effectuées. Enfin, le soutien de l’Europe implique une publicité sur cette participation financière. L’action accomplie doit aussi devenir ambassadrice de l’Union et lui apporter une image positive. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, ça marche !

 

Les projets en France

La Direction de l’Administration pénitentiaire réalise des actions FSE depuis 1990. Cela lui a permis entre 1995 et 2004, de construire au sein de ses établissements pénitentiaires 25 gymnases et une médiathèque. En 2004, le FSE finançait jusqu’à 40 % de ses actions de formation professionnelle. Le fond a aussi permis de développer des projets innovants avec les SPIP pour les sortants de prison. Mais le ministère de la justice a su aussi étendre sa collaboration aux collectivités locales. Ainsi, a expliqué Joël Canapa, vice-président de Conseil Régional, l’Etat et la Région Provence Alpes Côte d'Azur ont passé un accord pour conforter et relayer les mesures qui contribuent à la prise en charge plus efficace des mineurs en difficulté d'intégration  qui  ne trouvent pas de place dans les structures existantes. Leur action commune a plus particulièrement concerné la prévention des décrochages scolaires, la prise en charge et l’accompagnement des moins de 16 ans sous obligation scolaire, mais aussi le soutien aux jeunes sortant du système scolaire sans qualification et ne trouvant pas de place dans les structures existantes. « Ce dispositif concourt à enrayer l’errance éducative des jeunes, facteur déterminant dans les conduites déviantes et le passage à l’acte délinquant. Ces actions ’’ cousues main ’’ coûtent forcément plus que des actions de formation et d’insertion classiques, notamment  en raison du surcroît d’encadrement qu’elles supposent ». C’est pourquoi, le FSE a pu abonder aux côtés des efforts de la PJJ et de la Région.

Se pose néanmoins la question de l’adéquation entre les publics en grande difficulté que nous côtoyons et les exigences comptables d’un FSE. L’absence d’émargement d’un jeune lors d’une action qui lui est destinée peut venir remettre en cause la participation financière du FSE ? Le temps de l’insertion des publics de droit commun n’est pas toujours le temps du jeune délinquant.

 

Le programme nouveau est arrivé

Pour la période 2007-2013, la communauté européenne a décidé de doter le FSE d’environ 75 milliards d'€. Plus de 80 % de ce budget sera consacré aux régions dont le produit intérieur brut (PIB) par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. Pour les autres régions, quatre objectifs seront privilégiés :
▪       améliorer la capacité d'adaptation des travailleurs et des entreprises;
▪       améliorer l'accès à l'emploi et la participation au marché du travail;
▪       renforcer l'inclusion sociale en luttant contre la discrimination et en facilitant l'accès au marché du travail des personnes défavorisées;
▪       promouvoir le partenariat pour réaliser des réformes dans les domaines de l'emploi et de l'inclusion.

 

L’Europe du social existe

Réalité trop souvent méconnue, l’Europe consacre une partie non négligeable de son budget à l’action sociale et éducative. Explications.

L’Union Européenne n’a pas toujours bonne presse dans notre pays. On lui reproche d’imposer des règles de fonctionnement sociales, économiques, voire culturelles qui ne sont pas toujours respectueuses des spécificités locales. Authentique cinquième niveau de pouvoir (avec celui, dans notre pays, de la Commune, du Département, de la Région et de l’Etat central), ses directives s’imposent aux pays membres qui doivent les transposer dans leur droit national, le choix des moyens et de la forme pour y arriver leur appartenant. Ces orientations peuvent tout autant réjouir, qu’irriter. Comme toute décision prise par quelque autorité que ce soit, tout dépend de leur nature et de leurs conséquences. Ainsi, l'ancien commissaire européen au Marché intérieur Frits Bolkestein fut à l’origine, en 2003, d’une directive portant son nom qui voulait autoriser l’intervention de prestataires de service dans d’autres pays que le leur, aux conditions de rémunération et de couverture sociale de la nation de provenance. Si cette disposition avait finalement été adoptée (elle a été largement amendée par la suite), on aurait pu voir le « fameux » plombier polonais venir travailler pour 211 € mensuels (SMIC en Pologne). L’échec, en 2005, du referendum sur la constitution européenne a marqué un coup d’arrêt face à une logique qui semblait vouloir généraliser un modèle de développement libéral, basé sur une large déréglementation et remettre en cause un système de protection sociale déjà bien mis à mal par les gouvernements nationaux successifs. Pourtant, l’Europe n’est pas seulement cette autorité qui semble si favorable à la libéralisation de l’économie. C’est aussi une instance qui déploie depuis 50 ans une politique authentiquement sociale de lutte contre les discriminations et pour l’équité.

 

Soutien à l’éducatif…

Elle a, pour cela, mis au point des Programmes d'Action Communautaire orienté vers l’éducation. Ainsi, du programme « Socrates » qui a fonctionné sur la période 2000/2006.  Ce dispositif entendait contribuer au développement d'une éducation de qualité en prenant appui sur la coopération européenne et comprenait huit actions. Les trois premières correspondaient aux trois étapes du parcours éducatif : l'école (COMENIUS qui s'adresse à tous les membres de la la première phase de l'éducation de la communauté éducative au sens large, de l'enseignement maternel à l'enseignement secondaire, en passant par le primaire), l'université (ERASMUS qui propose des échanges d'étudiants et d'enseignants, un développement conjoint de programmes d'études, des programmes intensifs internationaux, des réseaux thématiques entre départements et facultés de toute l'Europe) et l'éducation à l'âge adulte (GRUNDTVIG qui a pour objectif de développer la dimension européenne de l'éducation tout au long de la vie et a pour public cible tous les adultes qui veulent apprendre). Les quatre dernières actions sont transversales : LINGUA (favoriser et soutenir la diversité et l’apprentissage linguistique au sein de l'Union européenne), MINERVA (encourager la coopération européenne dans le domaine  de la technologie de l'information et de communication et  à s'ouvrir et apprendre de distance dans l'éducation), LEONARDO DA VINCI (promouvoir de nouvelles approches pratiques dans les politiques de formation professionnelle), TEMPUS (promouvoir le développement des systèmes d’enseignement supérieur par une coopération aussi équilibrée que possible).

 

… et au social

Mais d’autres programmes d'Action Communautaire se sont consacrés au domaine plus spécifique du secteur socio-éducatif et médico-social. C’est le cas par exemple du programme DAPHNE qui visait à contribuer à assurer un niveau élevé de protection de la santé physique et mentale en protégeant les enfants, les adolescents et les femmes contre la violence. Le programme a également pour objet d’aider et d’encourager des ONG et d’autres organisations actives dans ce domaine. C’est aussi le cas pour le « Programme communautaire en matière d'égalité entre les femmes et les hommes » ou le « Programme d'action communautaire de lutte contre la discrimination » qui a soutenu entre 2001 et 2006 les actions entreprises contre toute ségrégation fondée sur l'origine raciale ou ethnique, la religion et les croyances, le handicap, l'âge et l'orientation sexuelle. Mais l’un des dispositifs les plus importants est sans conteste le Fonds Social Européen, qui se fixe comme objectif le maintien de la cohésion sociale et économique. La nouvelle programmation pour la période 2007-2013 a confirmé ou modifié les orientations en cours.  A ainsi été lancé le « Programme d'éducation et de formation tout au long de la vie » qui couvre tout le spectre des possibilités d'acquisition de connaissances, de l'enfance à la vieillesse. Un budget de 6,790 milliards d'euros a été voté qui se répartira dans quatre sous-programmes venant reconduire les dispositifs Comenius, Erasmus, Leonardo da Vinci et Grundtvig. Le FSE, quant à, lui a subi quelques correctifs. Mais les mêmes priorités communes se dégagent de l'ensemble de ces actions : la lutte contre l'exclusion sociale et l'échec scolaire, la promotion de l'égalité des chances et le recul des discriminations.

Nous allons dans la suite de notre dossier illustrer des dispositifs, en nous intéressant plus particulièrement à deux d’entre eux : le Fonds social européen et l’action engagée par l’ESAT de Châteaubriant dans le cadre du programme GRUNDTVIG.

 

 

Le théâtre comme passeport

Bénéficiant du Programme d’action communautaire GRUNDTVIG, l’atelier théâtre de l’ESAT de Châteaubriant s’est lancé dans l’aventure européenne d’une rencontre avec deux autres troupes du continent. Récit

Nous sommes en 1980. Quelques professionnels du CAT de Châteaubriant, en Loire Atlantique, assistent à l’un de ces colloques que les travailleurs sociaux affectionnent tout particulièrement, lieu de ressourcement et de mutualisation des expériences. Les organisateurs de ces journées d’étude ont programmé la représentation d’une pièce de théâtre jouée par des travailleurs porteurs de handicap. Colette Chatelier, éducatrice spécialisée qui est présente ce jour-là, s’en souvient comme si c’était hier. « La compagnie s’appelait ’’ l’oiseau-mouche ’’. J’ai été très impressionnée par la prestation. Dans chaque acteur qui se produisait, je retrouvais l’un des adultes que je côtoyais. » Cela tombe bien, elle est hébergée dans le même hôtel que la troupe. Des échanges ont lieu. Des contacts sont pris. De retour au CAT, le compte-rendu du colloque fait une large place à cette prestation. L’enthousiasme est communicatif. L’équipe éducative valide l’idée d’un atelier théâtre. Un acteur professionnel est joint : Philippe Mirassou de la troupe du Galion. Celui-ci accepte de venir animer deux heures hebdomadaires. Le travail engagé auprès des adultes porteurs de handicap doit permettre de renforcer leur confiance en soi, de développer leurs repères spatio-temporels ou d’approfondir leur sens de l’observation et de la critique. Mais il ne s’agit pas pour autant d’une action thérapeutique. Philippe Mirassou explique bien sa démarche : « je les dirige au feeling, en me laissant guider par l’image corporelle que chacun d’entre eux veut bien me renvoyer. Bien sûr, je leur apprends les techniques de base, mais je n’invente aucune méthode particulière. Et surtout je ne leur parle jamais de leur handicap : c’est comme cela qu’ils me donnent le meilleurs d’eux-mêmes. » Ce qui est recherché par l’équipe, c’est bien de mener une activité au même titre que les autres ateliers du CAT. Bien sûr, comme c’est le cas traditionnellement, lorsqu’un spectacle a été mis au point et longuement répété, il est présenté devant les autres travailleurs de l’établissement, ainsi que devant les familles. Cette étape incontournable n’est jamais négligée. Outre le plaisir de jouer devant des proches, c’est l’occasion de tester la production devant un public acquis. Mais la volonté a été claire dès le début, de dépasser cette seule dimension de représentation en interne. L’objectif est de vendre la production artistique comme n’importe quelle troupe essaie de le faire pour un public porteur de handicap, mais aussi, auprès de celui qui ne l’est pas. Cela n’a pas toujours été très facile. Le CAT a néanmoins réussi à produire pas moins d’une demi-douzaine de pièces : « Caresse » (1983),  « cursus » (1987),  « Anton » (1990) « Nage libre » (1994) joué en partenariat avec des comédiens de la compagnie du Jusant, « Pollen » (1998), « Juke Box » (2002)  … autant de spectacles qui se sont plus ou moins bien vendus tout au long des années. Pas autant que la troupe l’aurait aimé. Ce qui pêche, ce n’est pas tant la qualité de la production que l’absence du chaînon manquant qui se fait cruellement sentir entre la création et la programmation : la distribution. Néanmoins, la troupe passe au festival « printemps théâtral » de Noirmoutier en 1985 et 1988, puis le 23 octobre de la même année à Dinan. En 1998, l’ADAPEI 44 et l’APAJH 44  passent commande pour le festival Handiclap. La troupe joue dans la salle de 800 places de la cité des congrès de Nantes. En 2002, elle se produit au printemps à l’IRTS de Poitiers et à l’automne au petit festival de rue, à Grandchamp-les-Fontaines. Puis c’est en 2004, au CAT  du Pays d’Ancenis à l’occasion de son trentième anniversaire. Une collaboration a été menée à bien avec l’atelier du collège « la ville aux roses » de Châteaubriant deux années de suite, débouchant sur un spectacle de fin d’année en juin 2005. La troupe de l’ESAT se produira le 12 novembre 2007 à Nantes, à l’occasion de la remise des trophées de l’insertion organisée par le Medef-44. Elle est, dès à présent, programmée dans la saison culturelle 2007/2008 du théâtre de verre de Châteaubriant.

 

L’aventure européenne

En 2004, le Cat de Châteaubriant est contacté par le cabinet conseil Coiffard chargé de monter une opération européenne visant à un échange entre l’Allemagne, la Pologne et la France, autour des pratiques théâtrales menées par des adultes porteurs de handicap. L’activité de production du CAT peine à équilibrer ses dépenses. L’engagement dans le projet européen représentant un coût prohibitif, la première réponse est négative. Devant l’insistance du cabinet conseil une recherche de partenaires financiers est engagée. Ceux-ci ne tardent pas à répondre favorablement à l’appel : le Conseil Régional des Pays de Loire, le Conseil Général de Loire Atlantique, la Communauté de Communes du Chateaubriant, la mutuelle Intégrance, la Fondation de France, se mobilisent pour contribuer au budget qui bénéficie, en outre, des abondements du programme européen Grundtvig 2 (qui permet de subventionner des partenariats d’apprentissage entre tout type d’institution  appartenant à la communauté et offrant un enseignement pour adultes). Ce qui, entre temps, est devenu l’ESAT de Châteaubriant s’engage donc  avec l’association allemande Johannishag de Brême et l’association polonaise pour les personnes ayant un handicap mental de Szczecin sur un projet portant sur trois ans  (2006 à 2009). Les trois troupes ont prévu de se retrouver dans chacun des pays pour la préparation d’un spectacle commun avant de se rendre à nouveau visite réciproquement, mais cette fois-ci pour présenter leur production devant le public. Pour l’heure, il s’agit d’élaborer le spectacle. L’ESAT de Chateaubriant, désigné comme coordinateur du projet, contacte Alexis Chevalier, acteur professionnel qui donne son accord pour être le metteur en scène et le manager artistique du projet de création théâtral commun. Sa façon de travailler est simple : il part des mots de chacun pour construire le scénario des différentes scénettes. Il évalue ensuite les capacités à créer et à jouer : travail sur la respiration, le déplacement, le corps … Ce qui met en difficulté ou perturbe n’est pas retenu. Ainsi, une tentative de faire tournoyer des rubans de toutes les couleurs autour de chaque acteur a été abandonné : « ça s’entortillait dans tous les sens, ça faisait des nœuds et ça donnait mal à la tête », explique Cedric Vrignaud. Autre difficulté, celle de la mémorisation : « le plus dur pour moi, c’est de retenir les textes. Je suis non lecteur. Je dois donc apprendre autrement qu’en lisant. Il faut les répéter et les répéter encore. Je m’aide avec les photos de chaque scène qui me permettent de me souvenir de ce qu’il faut que je dise » confirme Dimitri Lucas. Cet avis est partagé par Jérôme Bodaire qui fréquente l’atelier depuis son arrivée, il y a dix ans : « c’est vrai que c’est dur au départ. Mais à force de répéter, on finit par mémoriser. Parfois on a des trous. Car, quand on joue devant le public, on n’a plus le texte. » Et puis, il y a le positionnement dans l’espace de la scène, se répartir plutôt que de rester collés les uns aux autres, sans compter la consigne souvent répétée : « il ne faut pas tourner le dos au public » rappelle Fabienne Fleury, qui n’hésite pas à souffler à ses camarades quand c’est leur tour de parler, au point d’en oublier parfois elle-même, quand c’est le sien ! Sans compter les consignes à faire comprendre à Christophe Martin, malentendant, mais membre à part entière de la troupe. Mais, au final, quelle satisfaction d’avoir réussi à se produire et à donner le meilleur de soi. Le résultat final est le produit d’un investissement multiforme. Car, outre l’élaboration du scénario et les répétitions, il faut prévoir les lumières, les décors, les costumes, la musique… Beaucoup de travail en perspective. Les acteurs de la troupe donnent le meilleur d’eux-mêmes et arrivent avec leur production à la première répétition commune qui a lieu a lieu, au mois d’avril 2007, à Szczecin. Les troupes française, allemande et polonaise vont ainsi faire connaissance les uns des autres : trois fois six acteurs porteurs de handicap mental (les allemands souffrant plus de difficulté psychiques), issus de chaque pays et leurs accompagnateurs. Un tel déplacement avait été préparé pour familiariser le groupe au nouveau pays qu’ils allaient découvrir : la langue, les paysages, la monnaie… sans oublier la nourriture « ils mangent des concombres, des cornichons et des saucisses au petit déjeuner » commente, encore tout amusé, Dimitri Lucas. « Et des desserts à la gélatine » renchérit Cédric Vrignaud… Un changement d’environnement qui a de quoi déstabiliser, voire provoquer une légitime montée d’angoisse. Ce voyage en train jusqu’à Paris, puis en avion jusqu’à Varsovie a pu exacerber certaines problématiques, provoquant des besoins de réassurance. Et puis il y a eu les rencontres et échanges entre les adultes porteurs de handicap, des trois pays. La distance des premières heures a laissé la place aux échanges. Une jeune femme a tout particulièrement impressionné les français : Léa. Privée de la parole et clouée en fauteuil roulant, mais d’une énergie impressionnante et s’exprimant malgré tout par les gestes et les cris. C’est aussi sans doute le travail de répétition qui a permis d’apaiser les inquiétudes. Car, pendant trois jours, chaque troupe a montré aux autres, le résultat de son travail, une traduction dans les deux autres langues étant assurée, successivement. Trois thèmes avaient été choisis, chaque troupe devant les travailler à sa façon : « la différence », « le chiffre 3 », « une autre planète ».  « Le résultat a été étonnant. Alors que chaque pays préparait en aveugle, par rapport aux autres, on a trouvé une grande similitude dans le ce que chacun a joué, même si les allemands étaient plus dans le symbole que nous qui étions, tout comme les polonais, dans un plus grand ancrage dans la réalité » explique Jean-louis Crémet, éducateur spécialisé qui accompagnait la troupe à en Pologne. Que retire l’équipe de l’ESAT de cette expérience ? Un sentiment de grande satisfaction, même si la lourdeur administrative pour monter le projet auprès des instances européennes a pu s’avérer particulièrement pesant, à certains moments. Cette rencontre des trois pays est exigeante en terme de qualité du spectacle à préparer. Elle permet aussi d’aller à la rencontre d’autres modes de prises en charge, à l’image de l’association allemande qui fonctionne sur le principe anthroposophique de Rudolf Steiner. Résidents et professionnels vivent à temps plein en communauté et se consacrent tout au long de la semaine au théâtre comme activité principale. Ils ont déjà édité un CD d’une comédie musicale d’un de leur spectacle (« la belle et la bête »). Et puis, il y a l’idée même de l’Europe qui a pris un sens concret non seulement pour les membres de la troupe mais aussi pour tous les autres travailleurs de l’ESAT, associés d’une manière ou d’une autre au projet. L’établissement accueille d’ailleurs depuis le 5 septembre, une jeune allemande en résidence sur toute une année, dans le cadre d’un Service Volontaire Européen. Rendez-vous donc à Châteaubriant, du 17 au 25 novembre 2008, pour la représentation finale du spectacle commun des troupes allemande, française et polonaise.

Contact : ESAT-Atelier de la Mée : 43 rue d’Ancenis 44110 Châteaubriant
 Tel : 02 40 28 09 51

 
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°865 ■ 13/12/2007