Le football
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Faut-il brûler le football ?
De tous les sports, le football est certainement le plus populaire, celui qui mobilise le plus de monde dans les stades (plus de 700.000 spectateurs), sur les terrains (deux millions de licenciés) ou devant le petit écran (jusqu’à vingt millions de téléspectateurs lors de certains matchs). Le football est aussi synonyme de liesse populaire : il n’est qu’à se rappeler le nombre grandissant de supporters descendus dans la rue à chaque victoire en quart et demi finale de la dernière coupe du monde. Mais le football, c’est aussi les 38 morts du stade du Heysel en 1985, les 17 morts du stade de Furiani en 1992, les affrontements violents dans les tribunes entre supporters avinés ou sur le terrain entre joueurs agressifs… Peut-on en la matière séparer le bon grain de l’ivraie ? C’est l’éclairage que va tenter d’apporter le dossier de ce mois-ci.
Malgré son immense popularité (le journal « L’équipe » consacré exclusivement à ce sport, est le deuxième titre national en nombre de lecteurs), le football est loin de faire l’unanimité. Cette discipline n’est finalement, tant dans ce qu’elle a d’admirable que dans ce qu’elle a d’exécrable, tant dans ses ambitions que dans ses dérives, que l’épiphénomène et l’écume d’une problématique bien plus générale. C’est donc bien à la question globale du sport que nous allons d’abord nous consacrer. Ce sera l’occasion de mettre à nu un certain nombre de mythes et de représentations qui fondent l’activité sportive dans la conscience collective et ainsi de comprendre la fonction sociale dévolue hier comme aujourd’hui à cette pratique. Ce n’est qu’ensuite que nous nous intéresserons au football proprement dit. Le lecteur trouvera ici un propos délibérément iconoclaste et à contre courant. Il pourra ne pas forcément apprécier cette approche au papier de verre. Si c’est le cas, nous lui dédions cet avertissement d’Albert Londres : « notre rôle n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. »
Du plaisir à faire du sport
Albert Jacquart explique comment l’individu rencontre très vite les limites de ce que peut lui permettre son corps : « nous tendons la main vers un objet, mais notre bras est trop court. Il nous faut renoncer » (1) Mais, parce que nous sommes humains, poursuit-il, nous ne pouvons nous résigner à ces clôtures qui nous enferment dans le domaine du possible. Notre nature nous porte à dépasser ces frontières en apparence infranchissables. Gravir l’Everest, traverser l’Antarctique, franchir l’Atlantique à la rame ou en voilier font partie de cette quête de l’inutile qui nourrit notre orgueil à faire reculer le domaine de l’impossible. Parmi les nombreuses motivations de l’activité sportive, on retrouve ce désir de se dépasser et de repousser ses propres limites. Se prouver à soi même (et éventuellement aux autres) que son corps peut se surpasser en constitue une autre. Quiconque a essayé de s’adonner à ces efforts qui amènent à pousser son organisme jusqu’au seuil de l’insupportable et de la souffrance connaît ce plaisir ressenti, et la grande satisfaction que cela procure. La diffusion d’endorphines qui se libèrent alors dans l’organisme a pu être identifiée par les chercheurs, tout comme la dépendance qu’elle peut entraîner dans des cas extrêmes, provoquant une forme particulière d’addiction. Rien d’étonnant donc à ce que l’être humain s’adonne à cette activité, avec délectation. Toute autre est la construction qui a été élaborée à son propos qu’il va s’agir ici de démystifier.
Premier mythe : la naturalisation du sport
Il est fréquent de présenter le sport comme une activité universelle, un invariant culturel qui, pratiquée à toutes les époques et sous toutes les latitudes, répondrait au besoin, naturel chez l’être humain, de s’affronter. Ce regard sur l’histoire de l’humanité apparaît très marqué par le choix de la société contemporaine de placer au cœur des relations humaines la concurrence du marché et la lutte de tous contre tous. Si notre espèce a effectivement excellé, au cours des millénaires, en massacres, génocides et guerres de toutes sortes, des pans entiers de notre passé ont aussi été consacrés à des moments d’existence pacifiée et sereine où les populations vivaient en bonne intelligence, les unes à côté des autres, sans pour autant s’entretuer. Naturaliser la compétition et ce qui serait son essence (le sport) participe donc d’une généralisation abusive. S’il s’agit bien là d’une manifestation effective de notre façon de vivre, ce n’est pas, loin de là, ni la seule, ni la meilleure, ni forcément la plus fréquente, au regard des 3,5 millions d’années d’existence de l’homo sapiens. Le pire n’étant jamais certain, l’affrontement pour la meilleure place n’est ni fatal, ni incontournable. C’est bien dans une configuration historique particulière que le sport a pris la place qu’il a aujourd’hui. C’est, du moins, la démonstration faite par un éminent historien, Norbert Elias.
Le sport plutôt que la guerre
L’émergence du monde moderne n’a pu se faire qu’à deux conditions, explique-t-il (2) : la pacification des luttes politiques (qui a permis et qui a été permis par la naissance du parlementarisme) et la monopolisation progressive de la violence physique par l’Etat (remplacement de la vengeance privée par des corps spécialisés chargés de maintenir l’ordre et de gérer les conflits entre citoyens : police et justice). Mais pour que cette mutation advienne, encore a-t-il fallu que les citoyens intériorisent et incorporent de nouvelles normes d'autocontrôle. Et c’est là qu’intervient le sport moderne dont l’évolution ne doit rien au hasard. L'interdit social de la violence et l'augmentation de la répulsion qu'elle suscite ont trouvé dans cette discipline une forme idéale de régulation. Cette pratique permet une forme de tension génératrice d'états d'excitation, tout en la limitant grâce à un cadre de règles précises. Elle jouerait donc, toujours selon Norbert Elias, un rôle à la fois mimétique (l’affrontement est réel sans que les corps ne soient jamais mis en danger) et cathartique (le jeu sportif doit permettre de maximiser le degré d'émotion que l'équilibre des tensions suscite). Le sport aurait donc pour fonction de mettre en scène des affrontements violents, mais en les limitant par des codes précis et exigeants au seul domaine du symbolique. Les pulsions présentes chez chaque individu seraient ainsi évacuées, préservant le lien social. La violence codifiée en spectacle viendrait donc remplacer le spectacle de la violence.
Second mythe : la pureté d’un sport originel …
On mesure la puissante fonction sociale du sport, émergeant à l’époque moderne, aux antipodes d’une vision idyllique d’une pratique qui aurait été éternelle et naturelle. Pour autant, si le sport est aujourd’hui essentiel pour canaliser la violence, il n’en a pas été tout le temps ainsi. Le mouvement olympique s’appuie sur une vision mythique de pratiques datant de l’antiquité qui auraient été marquées par la noblesse, la loyauté et le fair play. Rien de plus faux. L’éthique des jeux grecs était avant tout militaire, (3) l’entraînement sportif devant aussi servir d’apprentissage au combat sur les champs de bataille. Les valeurs qui primaient alors privilégiaient plutôt la valorisation de l’efficacité (seule la victoire comptait) et l’absence de distance au rôle (l’affrontement n’est pas seulement sportif mais aussi personnel). Ainsi, Leontiskos de Messène qui réussit à vaincre un de ses adversaires au IVème siècle avant JC, non pas en le mettant au sol, mais en lui brisant les doigts. Mais aussi Arrachion de Phigalie, deux fois vainqueur olympique au pancrace, qui meurt, en 561 av JC, étranglé alors qu’il tentait pour la troisième fois d’obtenir la couronne olympique (mais comme il avait réussi, juste avant de mourir, à briser les orteils de son adversaire, que la douleur avait contraint à l’abandon, les juges ont décidé de couronner son cadavre) ! Quant aux règles concernant la boxe, elles étaient bien différentes de celles d’aujourd’hui : les gants qui ont pour fonction de protéger les mains du boxeur mais aussi d’amortir l’impact des coups sur le corps de l’adversaire étaient chez les grecs en cuir dur et épais et munis de bords tranchants…
… trop souvent perverti
Que penser alors de ces appels fréquents à un retour aux sources mythiques qui ignorent la réalité de ce à quoi ils se réfèrent ? Au delà d’une vision rousseauiste (l’homme était pur au début, c’est la société qui l’a corrompu), on peut surtout y voir la dénonciation des perversions d’un système qui s’est emballé. Il est vrai que le sport de haut niveau est devenu au cours des années avant tout un spectacle très médiatisé géré selon les mêmes règles que celles appliquées par les industries du divertissement. L’exigence de l’exploit a poussé à une véritable inflation tant quantitative que qualitative (3). L’entraînement des nageurs est ainsi passé de la fin des années 1960 au début des années 1980 de 1.800 kilomètres par an à 3.200 en moyenne, et les séances d’un maximum de 230 par an à … 600 ! Ce qui devrait être plaisir et épanouissement est devenu abrutissement de bêtes à concours. La volonté de victoire et la recherche de la performance induisent un intense travail mental tendu vers la recherche du geste parfait : « cinq heures dans l’eau chaque jour, ça devient ta vie et ta vie est monotone, uniforme, elle ressemble à un couloir, un couloir de piscine » confiait une nageuse de haut niveau dans Le Monde (15/16 août 1993). Dérive contemporaine désolante pourra-t-on estimer ? Pourtant, 200 ans avant notre ère, Philostrate, se plaignait déjà dans son « Traité sur la gymnastique » en ces termes : « Les athlètes qui regardent l'argent commencent aussi à violer les lois, à vendre et à acheter la victoire. Les uns vendent leur propre gloire ; les autres achètent une victoire facile, parce qu'ils mènent une vie efféminée. On n'a plus de honte ni pour vendre ni pour acheter. »
Troisième mythe : la santé par le sport … (3)
Si on ne peut nier l’intérêt qu’il y a à entretenir son corps et sa forme physique par une pratique réfléchie et intelligente du sport, il en a va tout autrement de l’entraînement intensif pratiqué par les athlètes de haut niveau. Les blessures liées au surmenage sont légion. Physiologiquement, il n’y a là rien d’étonnant : il ne peut il y avoir de similitude entre l’augmentation des capacités des masses musculaires et l’accroissement de la résistance des éléments du système ostéo-articulaire. Pascal Mahé, international de hand-ball et jeune retraité de la compétition témoigne : « il n’y a pas un endroit de mon corps qui n’aie subi de traumatismes (…) ce qui est certain, c’est que je ne ferai pas un beau vieux » Témoignage confirmé par Marielle Goadchel, triple championne olympique en ski, qui expliquait en 1989 : « on esquinte 85% des jeunes (…) Pour une réussite combien de jeunes sont massacrés ? A 14 ans, beaucoup son abandonnés par la fédération. » La pression physique exercée sur les jeunes espoirs qui n’ont pas encore fini leur croissance peut avoir des effets désastreux : décollements des extrémités épiphysaires, anomalie des noyaux d’ossification, écrasement des disques intervertébraux et des cartilages de conjugaison, arrachements osseux … « On met en charge une maçonnerie dont le ciment n’est pas sec » commente André Catelin, longtemps Président du Panathlon de paris et par ailleurs expert dans le bâtiment. Deux médecins américains, les docteurs Ball et Ciullo, après avoir du opérer 26 des 28 épaules des 14 jeunes nageurs âgés de 14 à 18 ans qui selon leur estimation avaient dû au cours de leur entraînement « tourner un million et demi de fois dans leur bassin », dénoncèrent « une forme d’abus athlétique, toléré par la société » … encouragée par les familles et couverte par les médecins, pourrait-on rajouter.
… en fait sacrifiée au profit d’idéaux sordides
Qu’est-ce qui pousse ainsi une société démocratique à imposer à l’élite de sa jeunesse sportive une telle maltraitance? Le mode de vie actuel qui est le plus valorisé est basé sur la concurrence, la gagne, la quête du toujours plus haut, plus vite, plus loin par rapport à l’autre. Pourquoi le sport fonctionnerait-il spontanément différemment ? Un titre victorieux apporte à celui qui l’obtient, au club auquel il appartient, à la nation qu’il représente honneur, gloire et reconnaissance. Dès lors que le financement des sportifs s’appuie sur des sponsors ou des marques commerciales qui veulent voir leur logo associés à la première place, la victoire devient une nécessité vitale (les ressources du foot dépendaient à 80 % des spectateurs en 1970, en 2000 cette proportion est tombée à 20%). Et puis, il y a cet instinct guerrier à la fois canalisé et stimulé par la compétition qui peut pleinement s’exprimer à cette occasion. Le réflexe d’appartenance tribal est loin d’avoir disparu au sein de l’espèce humaine. Le besoin est encore vif de se raccrocher à un groupe, à une appartenance, à une référence. On défend son quartier, sa ville, son pays et naturellement son club sportif. L’important n’est plus le plaisir que l’on peut trouver à pratiquer un sport ou à regarder un match ou encore à apprécier techniquement une action, mais de voir son équipe gagner à n’importe quel prix. En 1981, l’Académie nationale de médecine rendait un rapport pathétique : « le prestige que rapporte une médaille à une équipe, un club, une nation ne mérite pas que soient mis en jeu la santé et l’avenir de nombreux enfants. » Effectivement. Dommage que cet avis éclairé soit resté lettre morte.
Et le foot dans tout cela ? (4)
Tout ce qui vient d’être évoqué pourrait trouver de nombreuses illustrations dans la pratique du ballon rond. Si certains sports ont réussi à maintenir des traditions de considération mutuelle, le football en est bien loin. Point de haie d’honneur de l’équipe victorieuse pour rendre hommage à l’équipe vaincue comme au rugby, mais des coups échangés, des tacles au tibia et des coups de coude à la carotide, destinés à mettre l’adversaire à terre. Logique : on n’est pas là pour jouer, mais pour battre l’adversaire, y compris parfois, par n’importe quel moyen. Point d’applaudissements dans les rangs du public face à une prouesse technique sur le terrain comme au tennis, mais des bagarres entre supporters, des hurlements lancés pour tenter de déstabiliser l’équipe adverse et des insultes xénophobes et racistes. Si Dupont qui marque trois buts par match est aimé de tous les gosses du club, qu’il vienne à changer de club et il devient l’homme à abattre. L’association « Foot citoyen » de Sarcelles qui milite contre l’incivisme et la violence sur les stades a calculé que dans la saison 2004/2005 l’attitude du public dans le championnat benjamin (9 à 11 ans) a été négative dans 42 % des cas. Ces dérives sont connues de tout le monde. Malgré les proclamations d’intention des fédérations, pourquoi si peu d’avancées dans les comportements réprouvés ?
Une violence symbolique, facteur de lien social ?
Peut-être, parce que les valeurs dominantes du football qui restent la domination, la victoire, l’écrasement de l’adversaire sont bien plus puissantes que le respect de l’adversaire ou de l’arbitre, le plaisir partagé autour d’un même jeu et le fair play. On est là au cœur de la problématique décrite par Norbert Elias. Cette pratique sportive, en intégrant des comportements que l’on peut définir comme asociaux ne contribue-t-elle pas finalement aussi à les contrôler et les canaliser ? La mise en scène allégorique de la violence que le football pousse à l’extrême ne permet-elle pas d’évacuer les pulsions de haine et les projections d’agressivité sur l’autre. Que cette symbolisation dérape à certains moments ne doit-il pas se comptabiliser à la marge par rapport à ce qu’elle permet d’éviter ? La question reste donc de savoir si le football induit plus de comportements brutaux qu’il ne réussit à en évacuer. Seize procédures ont été engagées au cours de l’année 2005, concernant des violences subies par des arbitres. Une seule de ces agressions restera toujours inacceptable et insupportable. Mais rapportées aux 26.850 arbitres que compte le football dans notre pays, cela représente une proportion bien faible, en comparaison par exemple avec la violence routière. Plutôt que de croire l’amendement impossible et de considérer ce sport comme irrémédiablement condamné à s’abîmer dans la bestialité, ne vaut-il pas mieux tout mettre en œuvre pour déployer une éducation au « fair play » ? Il est bien plus facile de stigmatiser les dérives ponctuelles, même si elles sont encore trop nombreuses que de valoriser le travail patient et de longue haleine des entraîneurs, éducateurs sportifs et arbitres pour maintenir leurs joueurs dans les limites fixés par les règles de la discipline. Même si la sportivité est bien plus proclamée que pratiquée, elle constitue un exemple à suivre comme ce geste de Judy Guiness, escrimeuse britannique, qui perdit tout espoir de remporter une médaille d’or aux jeux olympiques de Los Angeles en 1932, après avoir fait remarquer aux officiels, qui ne l’avait pas vu, que son adversaire l’avait touchée à deux reprises.
(1) « Halte aux jeux » Albert Jacquard, Stock, 2002
(2) « Sport et civilisation, la violence maîtrisée » Norbert Elias & Eric Dunning , Fayard , 1994
(3) « D’un sport perverti au sport plaisir » Jacques Personne, L’harmattan, 2006
(4) « Football, sociologie de la haine » Camille Dal et Ronan David, L’harmattan, 2006
Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°75 ■ janv 2006
Des principes à la réalité
L'UNESCO dans le préambule de sa Chartre internationale de l’éducation physique et du sport proclame que celui-ci « favorise les rencontres entre les hommes dans un climat de sincérité et de joie... il éveille en eux le sens de la solidarité, de l'action généreuse... pratiqué avec fair play ... il constitue un remarquable moyen d'éducation». Réunis à l'automne 1994, aux Assises Nationales du Sport à Strasbourg un questionnaire fut distribué aux participants. A la question : « Existe-t-il une rupture entre l'idée que l'on se fait du sport et la réalité? » 97% cochèrent la case « oui ».
d’après « D’un sport perverti au sport plaisir » Jacques Personne, L’harmattan
Les jeux Olympiques du fric
Les droits de retransmission des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992 ont rapporté au Comité International Olympique 633 millions de dollars, contre 2 millions pour ceux de Rome en 1960. Ils sont passés à 907 millions en 1996, à Atlanta. Sous la présidence de Juan Antonio Samaranch, le C.I.O. avait engrangé plus d'un milliard de dollars de revenus commerciaux entre 1989 et 1992. Ce qui valut à ce bon gestionnaire l'apostrophe suivante de Maurice Druon : « Le cœur de Coubertin repose à Olympie. Est-ce à Wall Street qu'il faudra déposer l'urne contenant le vôtre»?
Naissance d’un sport
Les plus anciennes traces que l’on aie trouvées d’un jeu autour d’une boule en cuir remonte à il y a 4.000 ans, au Japon et en Chine. L’antiquité occidentale n’est pas en reste : les grecs et les romains pratiquaient eux aussi des jeux de ballon où les pieds et les mains étaient autorisés. Au moyen âge se développe un jeu de balle mélangé à du catch : la soûle. Il s’agit d’amener une boule de bois ou une vessie remplie d'air ou de son en un point défini. Elle pouvait pour cela être saisie ou bien frappée, avec le poing ou avec les pieds. Mais, c'est réellement en Angleterre, à la fin du XIXème siècle, qu'un nouveau sport est créé : le football. En 1863, dans l'ambiance enfumée et virile de la Freemason's Tavern de Londres, les représentants des meilleurs collèges anglais se mirent d'accord pour pratiquer et promouvoir un jeu reposant tout entier sur la disparition de la main. Le premier club à être fondé est celui de Sheffield, en 1862.
Eradiquer radicalement
Plus que tout autre sport, le football concentre la violence et la haine. Le drame du supporter tué par un policier le 23 novembre 2006, lors d’une rencontre PSG-Tel Aviv n’est qu’un nouvel épisode de la longue litanie de bêtise raciste et agressive des supporters dont le club parisien n’est que le pire des représentants. Les autorités du football affichent leur volonté de lutter contre ces dérives. Pour radicale qu’elle soit, on se demande si la suspension systématique pour plusieurs matchs de tout club dont les supporters se montreraient racistes ou violents, ne contribuerait pas plus que tout à la recherche d’autodiscipline de la part des responsables sportifs concernés.
«Tout est à refaire, y compris les fondations. Je dirai plus: les fondations surtout. Ou le sport continuera à vivre pendant quelques dizaines d'années sur les données actuelles qui ne peuvent fatalement le mener, à travers une décomposition déjà amorcée, qu'au gâchis et à la ruine; ou bien comme il arrive parfois dans les cas dits désespérés, au moment où les coupables ont pris la fuite, où les victimes résignées n'attendent plus qu'un miracle et où la voix du berger peut enfin se faire entendre, la justice et le bon sens triompheront : une nouvelle nuit du 4 août arrachera le sport hors du cercle infernal de l'argent où l'enferment ses exploiteurs...»
E. Lalou, « Les règles du jeu. Essai sur le sport» - Paris – Egloff UF - 1948 (p.209)
Fiche n°1 : Le Fair Play : des chevaliers à la Fifa
Sur les terrains de sport comme dans la vie quotidienne, il revient à chacun d’avoir à choisir le comportement qu’il veut adopter : se laisser aller à la pulsion du moment ou respecter un self-control, s’autoriser le dépassement ou s’imposer le respect d’une ligne de conduite. Ce fair play est une conduite qui nous vient du moyen-âge, à une époque où les Chevaliers suivaient un code de conduite impliquant des responsabilités militaires, sociales et religieuses : ne jamais attaquer un ennemi désarmé, être courageux dans la parole et dans les faits, tenir parole, rester fidèle à ses principes, éviter l’orgueil, la lubricité, les faux serments et la trahison, être fidèle à son code, montrer du respect envers l’autorité et la loi, faire preuve d’autodiscipline etc... Dans un contexte guerrier, il désignait un rapport courtois entre les adversaires. Aujourd’hui, la notion de fair-play associe des idéaux moraux et esthétiques (le «beau jeu») à une signification plus réglementaire (jeu honnête, impartial). Les actions généreuses, la correction, la maîtrise de soi et l’esprit sportif ne sont pas incompatibles avec la performance, même de très haut niveau, et leur absence détruit les notions de jeu et d’échange. En 1973, a été créé le Comité International pour le Fair-Play qui délivre chaque année la médaille Pierre de Coubertin de la sportivité. En 1974, lors des jeux olympique d’hiver d’Innsbruck, l’Italien Eugenio Monti sera le premier à recevoir cette distinction pour avoir remplacé un écrou défectueux du bobsleigh de l’équipe de Grande-Bretagne, en le prélevant sur sa propre luge, ce qui leur permettra de gagner la compétition. La fédération internationale de football (FIFA) a mis au point, pour ce qui concerne sa discipline, un code de conduite qui peut être reconnu et respecté aussi bien par les joueurs et que par les supporters. On peut y lire des recommandations comme « La victoire est sans valeur si elle a été acquise de façon antisportive ou malhonnête. Il est facile de tricher mais cela n’apporte aucun plaisir. La sportivité exige du courage et du caractère. Elle est plus satisfaisante. Jouer fair-play porte ses fruits, même si le match est perdu. Cela t’apporte le respect tandis que les tricheurs sont méprisés. Garde à l’esprit que ce n’est qu’un jeu. Et les jeux n’ont aucun intérêt s’ils ne sont pas joués avec fair-play. » (Règle 1) Ou encore : « le fair-play signifie le respect. Le respect fait partie de notre société. Sans adversaires, il n’y a pas de jeu. Tout le monde a les mêmes droits, y compris celui d’être respecté. Tes équipiers sont tes collègues. Vous formez une équipe dans laquelle tous les membres sont égaux. Les arbitres sont là pour maintenir la discipline et le fair-play. Accepte leurs décisions sans discuter et laisse-les aider tous les participants à apprécier le jeu. » (Règle 4) Mais aussi : « Contribue au rejet du racisme et de la haine dans le football. Traite tous les joueurs sur un pied d’égalité, quelles que soient leur couleur de peau, leur religion, leur sexe ou leur origine. » (Règle 7), « N’hésite pas à montrer du doigt une personne dont tu sais pertinemment qu’elle cherche à faire tricher les autres et à les impliquer dans d’autres activités tout aussi condamnables. » (Règle 9), « L’incroyable pouvoir du football peut permettre de faire de cette planète un monde meilleur pour tous. Sers-toi de cette puissante plate-forme qu’il représente pour promouvoir la paix, l’égalité, la santé et la formation pour tout chacun. Améliore le jeu, apporte-le au monde et tu contribuera ainsi à améliorer notre planète. » (Règle 10).
Fiche n°2 : Le Tchoukball
En 1971, le docteur Hermann Brandt, un médecin du sport, invente un nouveau jeu : le Tchoukball, en expliquant que « le but des activités physiques n’est pas de faire des champions mais de contribuer à l’édification d’une société harmonieuse ». Mélange de handball, de volley-ball et de squash, cette nouvelle discipline se pratique à l’aide de deux surfaces de renvoi (deux cadres constitués de trampolines inclinés). Chaque équipe peut marquer sur chacun des deux cadres, en y lançant la balle, si celle-ci touche le sol avant d’être récupérée par un adversaire. Les sept joueurs sur le terrain sont complémentaires et il est impossible de gagner un match sans coopération. Soutenue par l’ONU pour sa capacité à « véhiculer à travers le monde des messages de paix universels qui vont au-delà de l’aspect sportif », la chartre du Tchoukball développe des conceptions particulièrement imprégnées de fair play : « Le jeu exclut toute recherche de prestige, tant personnel que collectif. Sur le plan personnel, l’attitude du joueur implique le respect de tout autre joueur, adversaire ou co-équipier qu’il soit plus fort ou plus faible (…) D’une victoire on peut retirer du plaisir, voire de la joie, mais jamais une satisfaction d’orgueil. La joie de gagner est un encouragement, l’orgueil de la victoire comporte en germe une lutte de prestige que nous condamnons comme source de conflits entre humains à tous les degrés (…) L’assimilation des attitudes de groupe dit « adversaire » à qui il s’agit d’opposer un jeu opportun mais ne comportant jamais et à aucun degré un sentiment d’hostilité (…) éviter toujours l’action négative envers l’adversaire (…) l’objectif est donc la suppression des conflits dans une intention identique : l’idée de ’’fair play’’ étant dépassée, il ne s’agit pas de concessions faites à l’adversaire, mais d’actions communes liant les équipes l’une à l’autre où le beau jeu de l’une appuie et rend possible le beau jeu de l’autre (…) le meilleur portant la responsabilité ’’d’apprendre’’ aux moins bons, il n’y a pas de véritable championnat, mais d’une course à la ’’compétence’’(…) Jouer pour se perfectionner : c’est le sentiment que toute activité de jeu doit comporter et développer »
Contact : Fédération française de Tchoukball : 8, rue Gerin 38000 Grenoble
Bibliographie
► « Sport et civilisation, la violence maîtrisée » Norbert Elias & Eric Dunning, Fayard , 1994
Le sport occupe une part croissante de nos loisirs. Comment expliquer son rôle ? A-t-il pour fonction de libérer les tensions que créent les contraintes de la société ? Pourquoi le football, le rugby ou encore la boxe, apparus en Angleterre, ont-ils été adoptés dans le monde entier, alors que le cricket ne s'est répandu que dans les pays du Commonwealth ? A quoi correspondent les violences des supporters et des hooligans ? Norbert Elias voit dans le sport un laboratoire privilégié pour réfléchir sur les rapports sociaux et leur évolution. Inscrivant le sport dans la théorie du processus de civilisation, il montre avec Eric Dunning que le sport moderne n'a plus grand-chose à voir avec les affrontements guerriers et rituels de l'Antiquité ou du Moyen Age. « Considérer le mouvement sportif moderne comme l'héritier de l'Antiquité [est] une de ces légendes idéologiques qui servent à renforcer l'unité d'un mouvement plein de tensions et de tendances conflictuelles ainsi qu'à rehausser son attrait et son prestige. » (p.178-179)
► « S'accomplir ou se dépasser : essai sur le sport contemporain » Isabelle Queval, Gallimard, 2004
L'idée d'un dépassement de soi, aujourd'hui si courante, est liée, historiquement, à l'avènement de la modernité. La pensée antique, marquée par la notion de finalité naturelle et enfermée dans un monde clos, ne la connaît pas. Il faut attendre les bouleversements scientifiques des XVIe et XVIIe siècles, le passage à l'idée d'univers infini, l'invention du sujet cartésien pour que puisse apparaître l'ambition d'une perfectibilité sans limites. Le sport de haut niveau apparaît aujourd'hui comme un laboratoire expérimental. Au-delà de la question classique sur les fins de l'exercice physique - s'accomplir ou se dépasser ? -, il est le révélateur des conséquences paroxystiques de cette obsession de la performance.
► « D’un sport perverti au sport plaisir » Jacques Personne, L’harmattan, 2006
De la récupération du sport par l’argent et le chauvinisme, l’Etat, les familles et les fédérations sportives en sont tous responsables. La démonstration de l’auteur est d’autant plus implacable que ses propos sont illustrés par des dizaines de citations de responsables et de sportifs qui ne font qu’abonder dans sons sens. Jacques Personne en appelle à la résistance des profs d’EPS qui, mandatés, pour identifier les futurs champions et recordmen, doivent au contraire privilégier le sport plaisir et rester l’antidote par excellence de la spécialisation sportive précoce. Outre les effets destructeurs pour la santé de l’enfant d’un entraînement trop jeune, rien ne prouve que celui-ci deviendra meilleur compétiteur à l’âge adulte. Un livre à lire en priorité.
► « La controverse pied-main : hypothèses sur l’histoire du football » Xavier de La Porte, Ère, 2006
De tous les sports pratiqués à grande échelle, le football est le seul qui proscrive, pour l'essentiel du jeu, la main et ses prolongements. Qu'il soit devenu ce qu'il est, et pas autre chose, est une conséquence logique de cette proscription initiale. L'expansion fulgurante et durable d'un sport qui oblige les joueurs à faire usage de ce qu'il y a en eux de plus malhabile, ainsi que le succès d'un marché qui organise le spectacle du pied, ne sont pas des hasards de l'Histoire. Car il fut un temps où l'on interdisait à quelques centaines de personnes de s'entretuer pour la possession d'un objet vaguement sphérique (à Kingston-on-Thames on raconte que la première partie se joua avec la tête d'un prince décapitée). Car il fut un temps -presque le nôtre- où l'on autorisait des millions de téléspectateurs à se réjouir qu'un petit homme rond et cocaïné (Maradona) invoque «la main de Dieu». Entre Londres et Mexico, le football a eu le génie d'inventer «l'homme qui a des mains à la place des pieds».
► « Football, je t’aime... moi non plus - Le football : l’art ou la guerre ? » Jean-Claude Trotel, L’Harmattan, 2000
Qu'est-ce qui fait vibrer les spectateurs d'un match de football, s’interroge l’auteur ? Ce sport utilise un registre émotionnel proche de la dramaturgie de certaines pratiques guerrières où joueurs et supporters inconditionnels s’affirment et assouvissent leur besoin de pouvoir. Mais c’est aussi un jeu où se jouent de fines tactiques de déséquilibre de l’adversaire qui procurent de forts sentiments esthétiques. L’auteur revendique de réunir le maximum de supporters ordinaires et d’amoureux du beau jeu autour d’une pratique populaire.
► « Football, sociologie de la haine » Camille Dal et Ronan David, L’harmattan, 2006
Charge violente contre un sport dénoncé comme violent par essence, cet ouvrage réunit neuf sociologues et psychologues qui décortiquent au scalpel le football. Vision réaliste mais particulièrement cruel d’une discipline dont les travers sont tout particulièrement dénoncés : « la sauvagerie footballistique des mâles dominants dépasse le cadre délimité du terrain et s’exprime dans les tribunes où les masses alcoolisées et fanatisées en viennent régulièrement aux mains dans des affrontements violents, où les ’’ bons pères de famille’’ se mettent à beugler, hurler, vociférer, en incitant et/ou en approuvant les gestes obscènes que réalisent leur progéniture, tous fiers qu’ils sont de faire pénétrer leur fils dans l’univers des mâles » (p.158-159)