Le toucher chaste
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Proximité : entre le trop et le pas assez
Dans un contexte largement marqué par les affaires de pédophilie, l’appel légitime à la vigilance laisse-t-il encore une place pour un toucher chaste ? Est-il possible d’avoir un contact physique avec un enfant ou un adolescent sans être soupçonné d’une intention malsaine ou perverse ? S’il convient de préciser les limites du permis, du toléré et de l’interdit, il est tout aussi important de ne pas priver le petit d’homme des caresses et des stimulations sensorielles qui sont nécessaires tout autant à une saine croissance qu’à une bonne estime de soi.
L’être humain s’est éloigné du reste du monde animal qu’il ne voit plus guère que dans l’enceinte des zoos ou dans les documentaires télévisés. Ce qui était familier auparavant ne lasse pas d’étonner, tels ces petits poulains qui, à peine nés, se mettent sur leurs quatre pattes et commencent déjà à marcher, maladroits et groggys malgré tout. Il en va bien différemment pour le petit d’homme qui semble naître prématuré, nécessitant l’attention et les soins permanents pour survivre. L’enfant qui naît d’une union entre un homme et une femme est appelé à vivre longtemps dans la dépendance. Alors que la plupart des espèces atteint la maturité au bout de quelques années, il lui faudra plusieurs décennies pour devenir pleinement mature. Tout au long de cette longue période, ses parents cherchent la bonne attitude à adopter. Ils alternent les actes de protection et d’autonomisation. Pour grandir, l’être humain partage avec les autres animaux le besoin d’être nourri et soigné, mais aussi et c’est tout aussi important, d’être abreuvé d’affection et d’amour.
Du contact fusionnel …
Le célèbre pédiatre et psychanalyste anglais Donald Winnicott, considérait que l’équilibre de l’enfant dépend beaucoup de la manière dont la mère le porte (holding) et de la manière dont elle le soigne (handling). La plupart des bébés aiment les caresses douces et stimulantes. Ce contact affectueux peut réduire leur mauvaise humeur et leur irritabilité. Il contribue à une bonne digestion, soulageant les gaz ou la colique, stimulant les muscles et la circulation sanguine. Mais, il favorise aussi la formation des liens affectifs et la communication, l’adulte entrant bien plus facilement en relation avec les signes non verbaux qu’il émet. Le contact physique va continuer à jouer un rôle essentiel tout au long de l’enfance : un enfant a besoin d’être caressé, chatouillé, cajolé, dorloté, bercé. Il a besoin que l’adulte le prenne dans ses bras, qu’il le mette sur ses genoux, qu’il l’accueille pour faire un câlin, pelotonné contre sa poitrine. Autant de gestes de tendresse qui lui témoignent de cette affection qui le rassure sur le fait qu’il est digne d’être aimé. Chaque famille possède ses propres rites et habitudes. Certaines fonctionnent sur une grande proximité physique, d’autres dans une plus grande distance. Les parents conditionnent la façon que leur enfant aura de toucher quand il deviendra adulte, par l’exemple qu’ils donnent des gestes tendres et affectueux ou encore par le subtil mélange d'interdits et de permissions, de limites et d’autorisations qu’ils initient. C’est avec la pré-adolescence que ces habitudes vont être quelque peu bousculées.
… au contact plus distant
S’il est parfois encore demandeur de moments de proximité physique, le jeune va commencer à les fuir quand ce sont les adultes qui les demandent : cela lui rappelle trop son statut tout récent d’enfant. Mais, dans les modifications qui interviennent dans son rapport au contact physique, n’intervient pas qu’une volonté de se distinguer des comportements jugés infantiles, s’affirment aussi les effets d’une puberté qui sculpte les corps et modèle les âmes. La pudeur qui se manifeste alors, même si elle était déjà présente auparavant, prend une signification bien différente. Dès que les seins se développent, dès que les premières érections se manifestent, l’émotion sexuelle, ne sachant comment se transmettre, va chercher à se cacher. Ce n’est plus la petite fille ou le petit garçon qui montait sur les genoux de l’adulte avec pour seule ambition, de s’imprégner de son affection, mais un être dont la maturation a fait rejaillir des pulsions plus ou moins endormies. Le contact des zones érogènes devenues bien plus excitables peuvent provoquer des sensations érotiques, provoquant gêne et confusion. Le trouble des sentiments est encore accru par l’émergence de désirs sexualisés à l’égard de certains adultes : c’est le beau professeur ou l’animatrice si séduisante dont on tombe parfois amoureux quand on a 15 ou 16 ans. Ces fonctionnements que nous venons de décrire sont assez classiques. Ce qui l’est moins, c’est le cours nouveau qui a marqué notre société depuis une vingtaine d’années et qui est a largement contribué à bouleverser la donne.
La montée inquiétante des agressions sexuelles
La presse s’est récemment fait écho du bond impressionnant qu’a connu la délinquance sexuelle dans notre pays. Entre 1980 et 2004, le nombre de détenus pour viols ou attentats à la pudeur a été multiplié par sept, passant de 1.118 (5,5 % de la population carcérale totale) à 8.109 (23,5 %). De tels chiffres ne manqueront pas au premier abord d’inquiéter le lecteur qui pourra légitimement se demander si notre pays n’est pas tombé dans une dérive particulièrement perverse. Il convient de relativiser cette impression. Tout simplement parce qu’on ne sait pas vraiment ce qui a véritablement changé. Y a-t-il une plus grande propension de nos contemporains à s’inscrire dans des transgressions sexuelles ? Ou le seuil de tolérance de la collectivité ne s’est-il pas abaissé à l’égard de ces comportements, permettant un meilleur repérage et donc un accroissement des cas identifiés ? Rappelons-nous qu’il y a encore vingt ans, une femme qui osait venir porter plainte dans un commissariat de police pour viol n’était pas vraiment accueillie avec la même bienveillance qu’aujourd’hui. On l’accusait volontiers d’avoir provoqué l’agresseur … et on refusait le plus souvent de prendre en compte sa plainte ! Il en va de même pour l’enfance maltraitée : la sensibilisation de l’opinion publique sur ces questions est un phénomène tout à fait récent. La répression croissante de la violence faite tant aux femmes qu’aux enfants ne serait-elle pas finalement la conséquence d’une prise de conscience progressive ?
Tout mâle est-il un abuseur en puissance ?
Pour autant, l’hypothèse selon laquelle, ce ne serait pas tant le nombre d’agressions qui se serait accru que la capacité de notre société à les repérer et à les réprimer ne pourra jamais être démontrée. Pas plus d’ailleurs que celle, inverse, qui suppose une corruption morale aggravée de notre société. La raison tient dans l’absence totale de statistiques longitudinales fiables. Il n’existe aucun étude permettant de comparer, d’une époque à une autre, la progression, la stabilisation ou la régression de ces agressions. Le résultat de cette situation de flou, d’imprécision et d’inquiétude latente, c’est bien un malaise diffus qui donne à penser qu’en tout mâle de l’espèce humaine gît un agresseur en puissance. De là, à instiller une relation de méfiance et de prudence à son égard, il n’y a qu’un pas ! Une mère qui se met à chatouiller son enfant ou à caresser son corps est vue avec tendresse et bienveillance. Après tout, n’est-elle pas dans sa fonction première que serait le mythique instinct maternel ? Mais, si c’est le père qui le fait, on le regarde plus facilement avec défiance et suspicion. Ce n’est pas naturel, pense-t-on, et on va lui prêter plus facilement de bien mauvais desseins. Pourtant, c’est son parent. Alors imaginez un enseignant ou un animateur ! Là, le soupçon n’est plus de mise : on en est sûr, on a à faire à un pédophile. La première explication à ce que l’on peut appeler une psychose collective, est sans doute liée aux pulsions particulièrement à l’œuvre chez le mâle de l’homo sapiens sapiens.
L’agressivité reconnue et encouragée chez le garçon
Car, au sein de l’espèce humaine, le prédateur est sans conteste l’homme. La turbulence du garçon est sinon encouragée, du moins naturalisée, dès le plus jeune âge. Dès la naissance, tout parent trouve que son garçon est plus alerte et plus robuste, alors que sa fille lui apparaîtra plus douce, plus jolie, plus délicate. Il légitime l’enfant de sexe masculin dans ses attitudes agressives, là où il reprend bien plus facilement la fille. Cette dernière sera d’ailleurs affublée du qualificatif de « garçon manqué », si elle sort de la réserve et de la passivité qu’on attend d’elle. A l’adolescence, le taux de testostérone augmente de 800 %. Mais, il est huit à dix fois plus concentré chez le garçon que chez la fille, provoquant une agressivité décuplée d’autant moins contrôlée que l’élagage neuronal du cortex préfrontal n’est pas encore terminé, ce qui freine la capacité à réfléchir avant d’agir et à peser les conséquences de ses actes. Pour se sentir exister, un garçon utilise donc plus volontiers l’opposition que le charme. A l’âge adulte, les faits de violence sont pour l’essentiel masculin. La population carcérale ne dépasse pas 5% de femmes. Le Conseil de l'Europe a réalisé une étude montrant que, dans la communauté, chaque semaine, une femme est tuée par son mari ou son concubin. Cette violence serait la principale cause de décès et d'invalidité avant le cancer, les accidents de la route et la guerre. Il y a donc des raisons objectives à craindre l’attitude des êtres humains de sexe masculin.
Une nouvelle façon d’être père
Mais, l’ère du soupçon dans laquelle on est entré depuis quelques décennies, est aussi liée à la nouvelle place prise par les hommes dans la parentalité. Ce qui fut longtemps considéré comme la chasse gardée des mères, a commencé à être revendiqué par les pères. La philosophie de « l’âge tendre » qui s’appuyait sur l’idée dominante que tant qu’il était petit, l’enfant avait surtout besoin d’une présence maternelle, a volé en éclat. On s’est mis à parler de figure maternante et à se rendre compte que les papas pouvaient être d’aussi bons parents que les mamans elles-mêmes, y compris auprès des tout jeunes bébés ! On a vu apparaître des « papa poules » experts en biberon, en bain, en changement de couche et en câlins. La revendication des hommes à vouloir réinvestir leur rôle parental a coïncidé avec celle des femmes exigeant leur place sur le marché du travail et refusant de se laisser résumer à la seule fonction maternelle. Résultat : on a vu les mâles de l’espèce humaine se rapprocher du corps des enfants, au point d’apparaître dans une attitude de maternage, impensable il y a encore vingt ans, à l’image de ces célèbres photos, présentes dans la publicité et vendues en poster, où l’on voit un homme adulte torse nu, tenant un nourrisson contre sa poitrine ! Le vieux schéma consistant à réduire la fonction de la mère à l’apport de tendresse et celle du père à l’apport d’autorité est totalement dépassé. Pour autant, être père ou mère ne se confondent pas.
La différence entre les hommes et les femmes
Ce qui distingue le sexe masculin du sexe féminin dans la façon d’être parent est à la fois biologique et culturel. Un enfant n’a pas le même contact avec une maman et avec un papa. Quand les mères favorisent plutôt les longs câlins, les pères sont spécialistes dans le jeter de bébé (lancer l’enfant en l’air et le rattraper dans ses bras). Les premières se sentent souvent plus proches du pôle attachement et les seconds sont plus à l’aise dans une éducation qui favorise l’exploration et l’autonomisation de l’enfant. L’espace du toucher masculin s’affirme plutôt du côté de l'extérieur, de la maîtrise, de la conquête et de la confrontation, celui des femmes relevant plus de l’intérieur, de l’efficacité, de la purification et de la réparation. Là où les femmes enveloppent et enrobent de délicatesse, de grâce et de finesse ce qui vit autour d'elles, les hommes cherchent, par le contact, à dominer et à contrôler. Si chacun est capable d’apporter réconfort et stimulation, tendresse et interdits, affection et punitions, le genre vient effectivement moduler la façon d’être parent ainsi que la manière d’aimer l’enfant. Et la manière d’être reste beaucoup dans la séduction chez les femmes et plus physique chez les hommes : les dames excellent plus dans le visuel, là où les messieurs préfèrent le tactile et le kinesthésique. Que le lecteur se rassure : cette nature bien plus agressive de l’homme ne le condamne pas à devenir inévitablement un agresseur.
L’homme peut-il être éducateur ?
Il peut participer sereinement aux soins des enfants et à leur éducation. Il peut côtoyer de près les jeunes pubères des deux sexes, sans être soupçonné d’en vouloir faire ses proies sexuelles, à un moment ou à un autre. Il faut réhabiliter sa place et ses intentions. Il y a juste une infime minorité d’individus perturbés qui se comporte d’une manière abusive. Pour l’immense majorité des adultes, la relation au corps de l’enfant est saine et respectueuse. La plupart ne se pose d’ailleurs même pas la question. Et, c’est très bien ainsi. Ceux qui s’interrogent néanmoins sur les limites à respecter, on pourrait simplement répondre : celles respectées déjà spontanément ! Car, dans l’immense majorité des cas, la juste distance est adoptée, sans qu’il soit nécessaire d’aller chercher midi à quatorze heure ! Les adultes imitent les comportements positifs et respectueux dont ils ont bénéficié ou les modifient, à partir des expériences désagréables qu’ils ont vécues. Bien sûr, il y en a toujours qui se contentent de reproduire ce qu’ils ont subi, sans esprit critique, souvent par loyauté à l’égard de leurs parent. Mais, les multiples conseils qui s’étalent à longueur de journaux ou d’antenne favorisent un meilleur respect du corps et de la personnalité de l’enfant. Mais, si l’on veut vraiment rassurer et donner quelques repères, on peut s’inspirer des apports de la proxémie.
Quelle est la bonne distance ?
Cette discipline auquel a plus particulièrement travaillé Edward T. Hall, s’intéresse aux espaces dans lesquels s’établissent les relations entre individus. Tout espace s'organise avec un dedans, un dehors, explique-t-il. Il possède un centre, une frontière, une limite, des zones privées, des zones publiques. Selon la culture, le milieu et les relations hiérarchiques, les distances varient, les zones se rétrécissent ou s'étendent. Mais, il existe une constante : chacun d’entre nous possède son espace personnel, une espèce de bulle psychologique qui lui est propre et qu’il n’aime pas voir brusquement envahie (nous préférons généralement signifier aux autres à quel moment ils peuvent s’en rapprocher et y pénétrer). On distingue plus précisément entre la distance intime (7 - 15 cm) qui permet d’entendre un murmure ou une information confidentielle, la distance personnelle (45 à 125 cm) qui reste l’espace privilégié pour échanger sur des sujets privés, la distance sociale (2 m à 3 m) qui est le lieu des rapports professionnels et sociaux et, enfon, la distance publique (3, 50 m à 7 m 50) qui est celle utilisée, par exemple, par un orateur. Lorsque les individus ne respectent pas les règles établies, c’est-à-dire lorsqu’ils franchissent des limites non conformes aux attentes des autres, cela crée généralement un malaise. Respecter l’autre (qu’il soit d’ailleurs enfant, adolescent ou adulte), ce serait donc identifier la zone préférentielle qu’il utilise et s’y conformer. Toute une série de facteurs interviennent dès lors pour déterminer la bonne proximité : degré d’intimité, contexte, circonstances, invitation, implicite ou explicite… toutes choses que notre éducation nous a appris à identifier. Cela implique une écoute attentive et un repérage des limites induites par l’autre. Cela se fait le plus souvent naturellement. Dès lors, que l’on souhaite trouver la bonne distance, il faut tenter de le faire consciemment.
Lire interview Hayez Jean-Yves - Toucher chaste
Jacques Trémintin – Journal de L’Animation ■ n°63 ■ nov 2005
Des besoins de contact vitaux
Dans les années 1960, Harry Harlow a pratiqué une expérience auprès de singes nouveaux-nés qu’il a élevés pendant une année en complète isolation. Si les animaux sont restés en vie, leur comportement social s’est complètement détérioré : ils restaient dans un coin de leur cage à se bercer d’avant en arrière. Mis en présence de deux substituts maternels, l'un en lainage, dégageant de la chaleur au moyen d'une ampoule interne, et l'autre en grillage nu, les jeunes singes passaient bien plus de temps au contact du substitut maternel apportant chaleur et douceur qu'auprès du substitut froid et métallique, même lorsque c'est ce dernier qui leur procurait le lait. La démonstration fut ainsi faite que la première fonction de la tétée est d'assurer un contact fréquent affectif et intime entre les corps de l'enfant et de sa mère.
Plus on se touche, plus on se respecte ?
La proximité physique est-elle source de confusion et de dérapage sexuels entre adultes et enfants ? L’étude des mœurs du monde animal réalisée par les éthologues montre que l’attachement qui se tisse entre les parents et leur progéniture tend à rendre la relation sexuelle impossible. Tout se passe comme si un blocage pulsionnel intervenait dès lors qu’un mécanisme de tendresse réciproque s’établit. L’espèce humaine possède la particularité de s’être en partie émancipée de ses instincts animaux. Si cette constante s’appliquait malgré tout aussi à elle, on pourrait en déduire que les contacts physiques, qui contribuent largement à l’investissement affectif réciproque, loin de représenter un risque constituerait, pour l’immense majorité des individus qui bénéficie d’une vie affective équilibrée, une garantie contre les agressions des adultes contre les enfants.
Le philosophe et les porcs-épics
« Les porcs-épics, quand l'hiver est glacé, cherchent un peu de chaleur en se serrant les uns contre les autres. Mais les piquants de chacun s'enfoncent dans les chairs de l'autre et les déchirent. Les porcs-épics s'écartent alors les uns des autres et sont ressaisis par le froid. De rapprochements en écarts et d'écarts en rapprochements, ils trouvent enfin cette voie moyenne où ils n'auront ni trop froid, ni trop mal, où ils passent compromis entre la douleur et le gel. Ainsi en est-il des hommes. Ils ne peuvent ni tout à fait vivre en commun, ni tout à fait vivre en solitude. » Arthur Schopenhauer (1788-1860)
La bonne distance
« La personne en souffrance psychique est souvent à la recherche d'une relation fusionnelle, recherche affective, maternage, retour au "ventre" maternelle ... L'accompagner à "grandir" n'est pas forcément lui faire plaisir, ni répondre à sa demande affective, ni l'agresser non plus, d'ou cette difficulté à rester entre ces deux pôles, maternage (fusion et régression) ou rejet désaffectivé (trop loin solitude et angoisse). Trouver et gérer la "bonne" distance thérapeutique est une sécurité psychologique pour l'aidé et l'aidant ... la bonne distance est très variable suivant chacun ... trop près je risque de tomber dans une relation de type fusionnelle, trop loin je ne vais rien entendre de la souffrance de l'aidé ... »
Maurice Liegeois (www.serpsy.org )
Fiche n°1 : Je touche les enfants
« Au début de ma carrière, il m’arrivait de rester à parler avec mes élèves après le cours. Aujourd’hui, j’évite de le faire, surtout quand je risque de me retrouver seul avec elle (ou avec lui). Je ne veux pas avoir d’ennuis, car on ne sait jamais ce que la jeune pourrait aller raconter, ensuite. Quand je ne peux pas faire autrement, je demande à plusieurs élèves de rester présents ou bien on sort dans un endroit public. Il y a eu trop de problèmes depuis quelques années concernant des accusations malveillantes. J’adore ce métier de prof, mais pas au point de ne pas me protéger » Ce témoignage d’Alexandre Viscas, professeur de Français en collège, est loin d’être isolé. C’est pour réagir contre cette psychose, qu’un groupe de professionnels et de bénévoles a signé le texte ci-dessous. L’exploitation des affaires de pédophilie, par les médias relayée logiquement par des mouvements d'indignation populaire risque fort de rendre encore plus solitaire la situation des enfants eux-mêmes. A force d'attirer le soupçon sur ceux qui s'occupent d'eux, on peut aboutir à une déshumanisation des relations qu’ils tissent avec les adultes, alors même que ce dont ils ont besoin, c’est de maintenir un dialogue de proximité.
« Je suis enseignant, éducateur, animateur, je touche des enfants et des enfants me touchent. Le pire, c'est que je n'en ai aucune honte. J'ai touché des enfants et je les touche encore. J'ai passé ma main dans leurs cheveux ou le long de leur dos quand ils ont réussi quelque chose de difficile pour eux. Je le fais toujours. J'ai pris leur bras, et je le fais toujours, et je pose ma main sur leur épaule pour les faire asseoir, parce qu'ils s'éparpillent en déplacements inutiles. Ma main d'adulte peut se faire lourde ou légère, sur leur épaule d'enfant, pour qu'ils se stabilisent ... J'ai pris la main de certains d'entre eux pour les aider à écrire sur la ligne. J'en ai pris sous le menton, pour me regarder dans les yeux, certaines fois... J'en ai pris d'autres par l'épaule, et je les ai serrés contre moi, contre mon corps d'adulte, parce que leur chien (ou leur grand-père) était mort. J'en ai maîtrisé d'autres physiquement, pieds et mains immobilisés contre moi, parce qu'ils avaient pété les plombs. J'en ai empêché d'autres de se faire du mal à eux-mêmes. J'en ai pris dans mes bras, ses bras à lui autour de mon cou et mon bras à moi autour de ses fesses, pour monter dans le bus, s'installer dans un canoë ou faire de l'escalade, parce que dans la vie courante, il circulait en classe en fauteuil roulant. J'en ai pris des dizaines, par les mains, par le cou, par la taille, ou pelotonnés dans mes bras, au cours des multiples séances de piscine où j'étais le médiateur entre le connu et l'inconnu de l'eau. Oui, je touche les enfants, et pour certains, sans doute plus que leurs parents. Je touche les enfants car je suis aussi infirmier, pour une écorchure, une dent qui tremble ou un mal de ventre. J'avoue que je touche les enfants, Monsieur le Juge. Quand ils vont bien, quand ils vont mal, quand ils sont malades.
Mais je dois dire aussi que les enfants me touchent !! Pendant les sorties, quand les plus petits ne quittent pas ma main, en classe, quand ils m'agrippent pour que je m'occupe d'eux, à chaque moment de la journée, en classe ou à la récré, pour me prouver qu'ils existent. " Les enfants me touchent, Monsieur le Juge ..."
Fiche n°2 : L’animateur a-t-il le droit d’aimer les enfants et les jeunes dont il s’occupe ?
L’amour envers les autres est conditionné par le fait de s’accepter d’abord soi-même. Mais, on ne peut s’aimer soi-même que si on a été au préalable aimé et accepté. On le sait bien, parler d’amour déclenche dans les professions socio-éducatives des poussées d’urticaire intellectuel, renvoyant à la dame d’œuvre, au boy-scout, à la midinette, au bénévole rétro-catho ou pire à de douteuses motivations d’origine sexuelle … Il est de bon ton d’y opposer une saine référence professionnelle faite de prise de distance et de contrôle de la situation. Pourtant, chacun de nos actes est motivé par le désir d’être aimé ou par la peur de ne plus l’être, et cela que nous soyons salariés ou usagers. C’est donc à contre-courant des conceptions déjà dominantes à l’époque, que l’équipe du Centre familial de jeunes de Vitry a conçu la notion d’attitude authentiquement affective (AAA). Premier principe de cette pratique, l’authenticité qui s’oppose au « faire semblant ». Il n’est guère possible de manifester un intérêt fort et sincère à un adolescent, si au fond de soi-même, il nous inspire répugnance ou méfiance. D’ailleurs, le jeune sait très vite identifier et percer à jour l’adulte qui lui fait face et repérer s’il est aimé ou non de lui. Aussi, mieux vaut-il passer la main, quand on sent de profondes réticences en soi. Le second principe de l’AAA, c’est l’engagement affectif qui s’oppose au principe de neutralité. Ce dont il s’agit, c’est de montrer au jeune qu’il est doté d’une valeur et qu’à ce titre il mérite d’être aimé. Mais, la démarche est fondamentalement dynamique : engager à fond ses investissements affectifs, tout en gardant à l’esprit que l’adolescent garde à tout moment le droit de les attaquer ou de les nier. Et cela doit pouvoir se faire sans que la relation ne soit entamée, ni que la présence de l’un ou l’autre ne soit remise en cause. C’est justement cette continuité et cette persévérance qui montrent que si l’adulte visé a su résister à l’épreuve, c’est qu’il est peut-être digne de confiance. Cette inconditionnalité constitue justement le troisième principe de l’AAA qui s’oppose à tout chantage affectif. Poser des conditions à l’attention que l’on porte à un jeune, peut apparaître un bon moyen de pression. Il s’avère en réalité le plus souvent contre-productif et souvent destructeur. Car, c’est considérer que le comportement du jeune relève de sa seule bonne volonté. Ne pouvant parfois s’empêcher d’agir, celui-ci se vivra alors comme un mauvais objet qui n’a plus rien à perdre. Mais le chantage ne doit pas non plus fonctionner dans l’autre sens, l’éducateur cherchant à préserver ses bonnes relations, en évitant tout conflit. Il doit se montrer tantôt ferme, tantôt plus libéral, en fonction des seules circonstances. Il doit donner de l’entendement à la bienveillance qu’il déploie : c’est là le quatrième principe, celui qui peut être défini comme un investissement conscient tout à fait opposé au spontanéisme affectif. La relation à établir ne peut être de l’ordre d’impulsions librement exprimées, au gré des humeurs de l’éducateur qui ne contrôlerait plus alors ni ses réactions d’enthousiasme, ni ses réactions de dépits, ni ses comportements de séduction, ni ses comportements d’agressivité. L’adolescent subirait au prétexte d’authenticité, les états d’âme de l’adulte. Toute autre est l’AAA qui donne du sens à ses affects qui sont conçus dans un but précis : aider le jeune à retrouver une estime de soi et une valorisation personnelle lui permettant de progresser dans sa relation aux autres. Il ne s’agit donc pas que le professionnel utilise cette relation en la centrant sur lui. Et, c’est là le cinquième et dernier grand principe que nous évoquerons ici : la relation affective doit bien être centrée sur le jeune et non sur la recherche du comblement d’un manque chez l’adulte. A une extrémité, l’on trouve une relation qui se prétend neutre et qui est volontairement désaffectivée. A l’autre bout de la chaîne, un copinage qui abolit les différences de statut et de génération. Entre le face à face froid et distant d’un côté, le rapport fusionnel et confusionnel de l’autre, il y a cet engagement affectif, authentique, inconditionnel, conscient et centré sur l’enfant ou l’adolescent.
« Mauvais objet, mauvais sujet » Claude Martin, éditions Jeunesse et droit, 2004,
Fiche n°3 : Témoignage de Thomas Janus
La question de la proximité physique ou affective avec les enfants fait l’objet, je trouve, d’un tabou dans les échanges en CVL. Il semble « évident » par exemple que les animateurs référents de chambre soient du même sexe que les enfants dont ils s’occupent. Cela ne se pose pas toujours dans les familles où c’est souvent indifféremment le père ou la mère qui donne le bain à l’enfant. Pourquoi instaurer d’emblée une suspicion en posant le risque qu’un animateur se charge d’une chambre de petites filles ? Cela peut sembler plus délicat dès qu’on arrive à l’adolescence. Une seule fois, j’ai été confronté à un débat : cela se passait en stage de renouvellement Bafd. Une collègue Directrice nous a expliqué le rôle qu’elle s’était dévolu dans une colo de petits : la vérification que les petits garçons se nettoyaient bien en décalottant le gland de leur sexe quand ils prenaient leur douche. Outre la dimension sanitaire contestable de cette pratique issue d’une vieille tradition hygiéniste (on sait aujourd’hui que cela peut provoquer des irritations aux conséquences négatives), on peut imaginer les conséquences, en terme de soupçons, si ça avait été un homme qui avait procédé à de telles opérations. Dans ma pratique, je donne la consigne à mes animateurs quel que soit leur sexe, de ne jamais hésiter à soigner un enfant en lui appliquant une pommade, ni de prendre un petit sur leurs genoux, pour le consoler s’il a fait un cauchemar la nuit. Quant à la proximité affective, il est tout aussi courant d’entendre dire que s’attacher à un enfant serait risqué, car ce serait se placer en compétition avec les parents. C’est là, je trouve, ne pas comprendre que l’enfant se construit à partir de l’apport de nombreux adultes et que personne n’a le monopole de l’affection à son égard. Il a besoin que tous les adultes qui l’entourent lui dispensent la bienveillance et la tendresse qui lui sont indispensables pour grandir.
Bibliographie
► « La sexualité des enfants » Jean-Yves Hayez, Odile Jacob, 2004,
Le monde adulte a parfois encore du mal à reconnaître une vie sexuelle chez l’enfant. Certains pourtant, l’admettent tellement bien, qu’ils mêlent leur propre sexualité à celle du petit d’homme. Jean-Yves Hayez, pédopsychiatre, nous démontre ici qu’il est possible d’aborder cette question en écartant ces deux extrêmes. L’auteur, loin de répartir les comportements en « normaux » et « anormaux », définit des fonctionnements qu’il appelle « suffisamment sains », et d’autres qu’il désigne comme préoccupants dès lors qu’ils ne se limitent pas à une dimension transitoire, mais s’inscrivent dans la longue durée. Confronté à ce qui peut l’ inquiéter, l’adulte doit donc avant tout veiller à modérer sa réaction, non pour banaliser, que pour éviter que sa réponse ne soit plus traumatisante que l’attitude qui le trouble. Même s’il doit affirmer son rôle d’éducation et de soins en instituant clairement les bonnes frontières entre le permis, le toléré et le défendu, il doit aussi aborder la sexualité des enfants abordée dans toute sa complexité.
► « Le corps adolescent » Annie Biraux, Bayard, 2004
La modernité a été marquée par la levée des tabous sur la sexualité, l’allègement des contraintes sociales, la disparition des pressions morales et religieuses, ainsi que de la tradition. Conséquence, le corps s’est émancipé et a été investi comme jamais il ne l’avait été jusqu’alors. Mais le souci généralisé d’esthétisation qui s’en est suivi, est devenu culte de l’illusion, au point de faire de l’apparence extérieure l’unique horizon objectal de la personne. L’exaltation de la forme a tellement pris le pas sur les contenus que la valeur de l’individu en est venue à se mesurer à l’aune de la marque du vêtement qu’il porte. C’est sans doute pour cela que, par réaction, le corps a concentré tous les conflits et tiraillements entre les forces propres aux pulsions et les exigences de l’environnement. La transformation, depuis une cinquantaine d’années, de la psychopathologie de l’adolescence, avec la multiplication des troubles mettant en cause la constitution de l’image et de l’estime de soi, la construction du sentiment de continuité et d’existence semble confirmer ces troubles liés au statut actuel du corps.
► « La tendresse » Sylvie Consoli, Odile Jacob, 2003
La peau est un des organes les plus fantastiques dont est doté le corps : barrière imperméable, presque étanche, elle isole contre les variations de température et défend contre les infections, se régénère toute seule. Elle est, en outre, parcourue par une innervation particulièrement dense qui la rend d’une grande sensibilité au toucher. Mais elle n’a pas seulement que des fonctions biologiques. Elle tisse aussi, des interrelations étroites avec le psychisme et constitue un support essentiel aux relations humaines. Pouvoir toucher est aussi important que pouvoir se dégager du toucher. C’est ce paradoxe que décline Sylvie Consoli, à partir d’une multitude d’illustrations et de vignettes cliniques rencontrées au cours de sa double activité de dermatologue et de psychanalyste. Toucher et écouter, explique-t-elle, sont étroitement liés et se complètent à merveille pour réconcilier le sujet avec con corps, son image de soi et son estime de soi.