Le communautarisme

Entre le particulier et l’universel

Qu’y a-t-il de plus légitime que de se sentir appartenir à une famille, une communauté, une nation … ? L’affiliation semble nécessaire à l’être humain, pour qu’il ait la conviction d’exister. Pour autant, quelle conscience a-t-il d’être relié à une espèce entière avec qui il partage l’essentiel des fondements de ses singularités ? C’est cette articulation qui fait l’objet du dossier de ce mois-ci. A une période où l’on dénonce facilement la montée des communautarismes, il est utile de s’interroger sur la place que tient encore l’universel.

« Enfant de personne » : c’est le titre d’un ouvrage (1) récent évoquant les difficultés existentielles des adultes « nés sous x » qui n’ont pas connu leurs géniteurs. Les auteurs y illustrent l’importance qu’il y a à se sentir inscrit dans une lignée. Savoir d’où l’on vient, quels sont ses parents constitue un droit élémentaire qui devrait être garanti à tout enfant, revendiquent-ils. Quelle meilleure démonstration de cette nécessité qui s’attache à l’Homme de pouvoir se construire à partir de ses racines ? Cette quête est à relier à la nature avant tout sociale de l’espèce à laquelle il appartient qui le porte à ne pouvoir vraiment exister qu’en interrelation permanente avec ses congénères. L’exemple des enfants sauvages, tel Victor de l’Aveyron, dont François Truffaut a tiré un merveilleux film (2), démontre s’il en était besoin que, privé de la bienfaisante action de socialisation de son groupe d’appartenance, l’être humain ne réussit pas seul à échapper à une animalité primaire. C’est baigné par la parole et l’éducation des adultes qui l’entourent, qu’il va pouvoir accéder progressivement au statut de membre à part entière de sa communauté. Il n’est d’ailleurs pas anodin que pendant longtemps, la principale sanction qui frappa celle ou celui qui avait transgressé la loi du groupe, fut non pas la peine capitale, mais le bannissement, tant une telle mise à l’écart du groupe s’identifiait à la mort sociale de l’individu considéré comme incapable de survivre seul.

 

Le groupe comme facteur d’humanisation

Autre illustration de l’importance de la parole humanisante dans l’émergence de l’être humain, l’« expérience » menée au Moyen Age par l'empereur allemand Frédéric II de Hohenstaufen qui chercha à savoir quelle sorte de langage et quelle façon de parler adopteraient des enfants élevés sans jamais parler à qui que ce fût. Le moine franciscain Salimbene rapporte qu’il demanda à des nourrices d'élever les enfants, de les baigner, de les laver, mais en aucune façon de babiller avec eux ou de leur parler, car il voulait savoir s'ils parleraient l'hébreu, le plus ancien des langages (c'est tout au moins ce que l'on croyait à cette époque) ou le grec, ou le latin, ou l'arabe, ou peut-être encore le langage des parents dont ils étaient issus. Mais il œuvra pour rien, car tous les enfants moururent... En effet, ils ne pouvaient pas survivre sans les visages souriants, les caresses et les paroles pleines d'amour de leurs nourrices. Côtoyer l’autre constitue donc une nécessité, pour se sécuriser, se sentir exister ou chercher le reflet de soi en lui. Bien sûr, la place qu’on lui fait est d’autant plus difficile, qu’il faut se pousser un peu soi-même ! Mais, malgré cette ambivalence, on ne peut se priver très longtemps de ses congénères. Même ceux qui cultivent la solitude que ce soit par accident (tel Robinson sur son île) ou volontairement (comme les ermites) se réfugient malgré tout dans des valeurs éminemment socialisées qui leur rappèlent le monde qu’ils ont quitté : les rites que continue à respecter le naufragé volontaire ou les règles exigeantes auxquelles se contraint l’ascète.

 

Aujourd’hui comme hier

Le monde moderne a permis de libérer l’individu de la prégnance du collectif qui l’a pendant longtemps corseté. Mais, il ne l’a pas pour autant transformé en électron libre. En allégeant considérablement l’importance de la référence unique qui pesait sur lui, il n’a fait, en réalité que multiplier le nombre de ses affiliations. Il n’y a plus une seule communauté, mais de multiples auxquelles chacun(e) d’entre nous est relié(e), selon les moments de son existence : la famille, les collègues de travail, le groupe d’amis, le club sportif, la chorale ou le cercle philatélique auquel on adhère, sans oublier le syndicat, le parti politique ou l’association de quartier… La démocratie garantit que l’attachement à tel ou tel groupe soit libre, tout comme le renoncement à l’engagement pris, sauf dans le cas des sectes qu’on ne quitte pas si facilement une fois qu’on a eu le malheur d’y entrer. Pour autant, l’individu ne peut guère vivre sans appartenance. Les modalités qu’il adopte pour se relier aux autres peuvent prendre deux formes essentielles. Nous allons les illustrer, en utilisant la métaphore de la plante. Pour vivre, la plupart des espèces végétales déploient des racines qui creusent parfois très profondément pour aller chercher la substance nourricière dont elles ont besoin. Mais cela n’est pas suffisant pour leur permettre d’exister. Encore faut-il qu’elles puissent capter la lumière du soleil. Pour y arriver, elles ne peuvent se contenter de rester au raz du sol, dans la pénombre, mais vont devoir s’élever. En prenant ainsi de la hauteur, elles se donnent toutes les chances de capter la moindre lueur.

 

Entre racines et ligne d’horizon

L’être humain fonctionne d’une manière un peu similaire. Son appartenance à une communauté nécessite qu’il partage les mêmes croyances, les mêmes rites, les mêmes comportements … que son groupe de référence. Il s’imprègne d’une culture spécifique, s’intègre dans un mode de vie particulier. Cette identification constitue les racines de son affiliation. Mais, l’être humain ne peut se limiter au terreau dans lequel il a grandi. Il ne peut se contenter de vivre dans la sécurité rassurante, certes, mais par trop étouffante de sa communauté d’appartenance. Il lui est tout aussi indispensable de lever le regard vers l’horizon pour y découvrir le reste de l’univers. Déjà tout bébé, il va spontanément à la découverte de ce qu’il ne connaît pas. Adulte, la curiosité, l’envie d’expérimenter ou de trouver ses limites le poussent à aller voir au-delà de l’horizon. Certes, pendant des milliers d’années, il se contenta des quelques kilomètres le séparant du marché où il allait vendre sa récolte. Il n’y eut que la conscription pour lui permettre de voir un peu de pays. Mais, même dans cette limite, une vieille tradition le contraignit à aller chercher compagne, au-delà de sa sphère familiale. Ce qu’on désigna comme la « prohibition de l’inceste » s’explique en partie par  la nécessité de ne pas se contenter de ce que l’on a sous le nez. L’obligation de devoir quitter sa famille d’origine pour en constituer une autre est devenue une règle largement répandue.

 

Des risques de la mondialisation …

Voilà donc notre Homme au croisement de deux tentations : se consacrer à son groupe de référence ou se tourner vers les autres groupes … La première se réfère  plus à ce qu’on pourrait appeler le particularisme, la seconde à l’universalisme. Enjeux contradictoires, au demeurant. Pour les uns, l’universalisme est potentiellement source de bien des maux. Bien sûr, s’ouvrir aux autres ne peut qu’amener un grand enrichissement de par le partage et la confrontation à l’altérité, l’intensification des échanges et des rencontres entre langues, musiques et écritures différentes ne pouvant que stimuler l’imagination et la créativité. Encore faut-il que cet élargissement ne débouche pas sur une uniformisation des pratiques culturelles ou des modes de vie et un alignement sur un mode unique. Le risque est bien que ce nouveau modèle vienne éroder tout ce qui façonne la mémoire des hommes, l’histoire, les paysages, les langues dans leur diversité. Ce n’est pas seulement une crainte infondée issue de partisans rétrogrades prêts à ériger des barrières infranchissables pour protéger leur culture comme dans une réserve. C’est tous les jours que la mondialisation nous montre ce pouvoir des grandes entreprises transnationales qui gouvernent le marché de la musique et du cinéma, ou de l’anglais qui s’impose comme langue de communication mondiale. Face à cela, la volonté des peuples à vouloir se gouverner par eux-mêmes et affirmer leur identité apparaît tout à fait légitime.

 

… aux risques du repli sur soi

Mais, à l’inverse, les conséquences des barrières élevées pour préserver la pureté de son propre groupe et la volonté de cultiver la méfiance à l’égard des autres, peuvent être, si l’on n’y prend garde, bien plus catastrophiques. De puissantes inhibitions ont toujours permis d’interdire de tuer « l’un des siens » … des châtiments implacables intervenant en cas de transgression du meurtre élevé au rang de tabou. Il n’en a pas été de même pour l’«autre ». Les massacres perpétrés contre les communautés différentes des siennes furent longtemps rendus possibles par la conviction de la supériorité de son propre groupe. La tentation de désigner l’autre comme un non-humain est aussi vieille que l’humanité. Nombre de tribus vivant encore de façon primitive, se désignent comme les « vrais hommes » (ce qui implique que ceux n’appartenant pas à leur communauté, n’en sont pas). Le terme « barbare » vient du grec ancien barbaroi qui désignait simplement les étrangers non grecs. L’émergence d’une vision unique de l’être humain est finalement des plus récentes. L’un des produits les plus éminents de la modernité est sans conteste cette morale universelle, fondée sur les droits de l’homme, qui préconise que toute personne soit traitée sur un pied d’égalité quels que soit son origine ethnique, sa religion, la couleur de sa peau, ses convictions politiques ...

 

Une menace permanente

Malheureusement, depuis l’adoption, le 10 décembre 1948, par l’Assemblée générale des Nations unies, de la déclaration universelle des droits de l'Homme, on a comptabilisé vingt deux épisodes de génocides à travers le monde, dont trois ont fait plus d’un million de victimes chacun (le Bangladesh en 1971, le Cambodge à la fin des années 1970 et le Rwanda en 1994) et cinq plus de 100.000 victimes (le Soudan et l’Indonésie dans les années 1960, le Burundi et l’Ouganda dans les années 1970). Ces comportements se sont suffisamment répétés dans l’histoire pour considérer qu’il s’agit là d’autre chose que d’accidents ou d’aberrations…  La propension à l’extermination traverse l’histoire de l’humanité comme un fil rouge. Le génocide fait partie de notre héritage millénaire. Il est le produit extrême du communautarisme. Ce sont des tendances fortes qui semblent présentes en permanence, parfois somnolentes, mais toujours prêtes à se réveiller à tout instant. Quand on voit la facilité avec laquelle les communautés bosniaques, serbes, croates se sont entretuées sous l’effet du poison nationaliste, après avoir vécu les unes à côté des autres pendant des années, sans problème particulier, cela fait froid dans le dos. L’être humain serait-il donc condamné à devoir choisir entre un repli sectaire sur sa communauté et une uniformisation de son mode de vie à l’échelle planétaire ? Il suffit de poser la question pour y répondre !

 

Entre la peste et le choléra ?

Il existe de multiples façons d’exprimer sa spécificité, de cultiver son particularisme, sans pour autant les considérer comme les seules dignes d’intérêt, ni combattre tout ceux qui ne s’y rallient pas. On peut être tout à la fois imprégné de sa culture d’origine et tolérant à l’égard de celle des autres. Des millions de personnes à travers le monde vivent pleinement leur mode de vie, sans chercher pour autant à réduire ou à faire disparaître celui des autres. On peut tout autant être très attiré par l’universalisme et chercher avant tout ce qui est commun à tous les êtres humains, sans pour autant mépriser ce qui leur est spécifique. On peut se passionner pour les innombrables expressions de la culture humaine, tout en gardant une préférence pour la tradition dont on est issu. L’on n’est pas obligé de choisir entre le particularisme et l’universalisme. On peut aussi les cultiver et les articuler dans des proportions qui laissent une juste place à chacun de ces dimensions : « penser global, agir local » est un mot d’ordre qui commence à faire sa place aux côtés des revendications assimilationnistes et communautaristes. Telle n’est pas l’intention des partisans de deux modèles qui s’opposent et se combattent farouchement dans notre pays depuis quelques décennies : le modèle républicain encore largement dominant et le modèle communautarisme d’origine anglo-saxonne.

 

République contre communauté

Le premier cherche à imposer un mode de vie unique de Brest à Strasbourg et de Lille à Marseille, transcendant les particularismes qu’il abhorre. Il a imposé aux Bretons, Corses, Basques, Alsaciens, Normands ou Béarnais un puissant mouvement d'acculturation, via l’école et le service militaire, relié dans la seconde moitié du XXème  siècle par une télévision diffusant un modèle culturel unique. Le second considère que la nation n’est constituée que d’une addition de communautés différentes qui vivent une existence propre et qui doivent être reconnues dans leurs droits spécifiques. Le premier punissait les enfants bretons qui parlaient leur langue à l’école en leur attachant un sabot au cou. Le second revendique la représentativité de chaque communauté dans toutes les instances de la société, comme aux USA, où le cinéma et la télévision doivent impérativement mettre en scène des représentants de chaque minorité, proportionnellement à leur importance respective. Cette opposition s’est illustrée récemment autour de la question du port du voile islamique. Pour les uns, accepter cette pratique à l’école permettait de faire dans la communauté nationale une place à une minorité musulmane si souvent discriminée. Pour les autres, cela revenait à renier la construction d’une identité commune à tous les enfants, comme l’école en a l’ambition et ouvrir la porte à la division par ethnie, religion ou conviction. Finalement, la loi a préservé le droit à vivre son particularisme partout, sauf en un lieu dont on a voulu privilégier la neutralité idéologique.

 

Pour une synthèse entre particularisme et universalisme

Contrairement à ce qu’on peut croire, ces deux positions ne sont pas si opposées l’une de l’autre ! Car, le républicanisme, en prétendant dépasser les particularismes locaux de l’hexagone, ne fait que s’inscrire dans une dynamique supra-communautaire : en voulant privilégier la collectivité « nationale », il n’a fait que s’opposer aux autres nations, considérées comme communautés concurrentes. Car, ce sont bien les ferveurs républicaines marquées au sceau du nationalisme et du patriotisme qui ont contribué à plonger l’Europe dans l’horreur de trois guerres, dont les deux dernières ont été particulièrement meurtrières (1870/ 1914-1918/1939-1945). Quant aux aventures coloniales, elles se donnèrent pour objectif de civiliser des peuples considérés comme inférieurs. Il s’agit donc bien de dépasser ces deux logiques qui ont démontré leur incapacité à proposer des solutions qui préservent la dignité et l’équité, le repli sur son groupe impliquant la haine de l’autre. Au risque de se faire accuser, de part et d’autre, il apparaît pertinent de faire droit à ce qu’il y a de spécifique chez chaque communauté, tout en favorisant la connaissance de ce qui la relie à toutes les autres communautés, reconnaître l’originalité de chaque culture, tout en favorisant ce qu’il y a d’aussi original et créatif dans la culture des autres, préserver l’identité de chacun, tout en agissant pour faire émerger ce qu’il y a de commun avec tous. Comme par exemple, en CVL, articuler la découverte des cultures différentes de la sienne, tout en respectant les règles de vie commune : organiser un repas où l’on mange avec les mains et exiger le reste du temps que l’on mange avec des couverts, transformer certaines coutumes religieuses ou culturelles en moments de fêtes pour tout le centre, sans pour autant systématiser le respect scrupuleux des rites et des tabous de tous et de chacun, lors des boums proposer des musiques ethniques et d’autres plus universelles … Garder cet équilibre n’est pas une gageure. C’est une posture qui s’appuie sur la reconnaissance simultanée du spécifique et du général, de l’individuel et du collectif, du local et du global. Pour l’appliquer, encore faut-il au préalable en être convaincu.

 

(1) « Enfant de personne » Geneviève Delaisi et Pierre Verdier, éditions Odile Jacob, 1999

(2)  « L’enfant sauvage » de François Truffaut, 1969, MGM Home Entertainment

 

A lire interview Brohan Jean-Luc - Communautarisme

 

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°62 ■ oct 2005

 

 

 

On est toujours le barbare d’un autre

Hérodote, l’un des premiers historiens, rapporte une anecdote (1) qui met en scène le roi Darius, ayant régné au Vème siècle avant Jésus Christ. Le souverain demanda un jour aux Grecs qui vivaient en son palais, s’ils étaient prêts à manger le cadavre de leur père. Les Grecs lui répondirent horrifiés que jamais, ils ne le feraient. Il fit alors venir des Indiens qui pratiquaient cette coutume et leur demanda s’ils étaient prêts à brûler le corps de leur père. Les Indiens rejetèrent cette idée avec autant d’énergie. Hérodote en conclut que les traditions des différents peuples avaient la même valeur. Point de vue bien peu partagé à l’époque. Vingt cinq siècles plus tard, l’être humain n’a guère évolué, considérant que les coutumes propres à sa communauté sont les meilleures et que celles des autres sont plus ou moins barbares !

(1) Hérodote, Enquête, III, 3

 

Un pacifisme à géométrie variable

Le deutéronome décrit comment Yahvé dicta à Moïse les dix commandements. L’un des plus célèbres, le cinquième, affirme « tu ne tueras pas ». Quelques versets plus loin, le même Yahvé intervient pour justifier les juifs dans leur œuvre d’extermination de pas moins de sept peuples dont le seul tort est de les concurrencer sur le même territoire. Voilà, en apparence, des propos bien contradictoires : d’un côté, le décalogue interdit de tuer, de l’autre Yahvé appelle au génocide ! Pas si contradictoire que cela, si l’on se rappelle que La Torah distingue clairement entre le « peuple élu » et les autres … Le cinquième commandement doit donc s’entendre comme « tu ne tueras pas quelqu’un de ton peuple », sous-entendu, « pour les autres, tu peux y aller » ! ! ! Précepte malheureusement universel vérifié sous toutes les latitudes …

Lire : « Traité d’athéologie. Physique de la métaphysique » Michel Onfray, Grasset, 2005

 

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?

Le principe républicain qui veut que chacun soit traité non en fonction de son origine sociale, sexuelle ou ethnique, mais seulement de ses mérites est, on s’en aperçoit chaque jour, bien théorique. Son simple énoncé formel a connu récemment un important accroc. Au départ, il y eut une quête légitime : contraindre par la loi à la parité homme/femme dans les représentations politiques. Et il est vrai que notre pays fait bien pâle figure en terme d’égalité de genre dans les cercles du pouvoir. L’unanimité aurait presque été atteint pour plébisciter ce projet, s’il n’y avait eu quelques voix discordantes (au premier rang desquels le couple Badinter) pour dénoncer le doigt dans l’engrenage : après avoir obtenu une représentation égale des hommes et des femmes, à quand un quota pour les noirs, les asiatiques, les catholiques, les juifs, les musulmans, les homosexuels et les familles monoparentales … ?

 

« Au nom d'une critique de "l'Etat jacobin" centralisé et de "l'intégrisme laïcard", et grâce à une rhétorique "victimiste" assimilant la laïcité républicaine "orthodoxe" au "racisme", à "l'exclusion" ou même à "l'islamophobie", les Islamistes sont parvenus ces dernières années à faire admettre le communautarisme islamique - et l'atteinte aux principes d'égalité des sexes, puis la revendications de véritables "droits d'exceptions" ou "d'immunités territoriales" mettant à terme l'unité et l'intégrité de la République en danger - comme la seule alternative à "l'intolérance autochtone", une variante post-moderne du "droit à la différence" prenant en quelque sorte acte de la globalisation et de l'effacement de l'Etat national au profit d'un différentialisme néo-tribal. » Alexandre Del Valle (www.objectif-info.com)

 

 

 

Fiche n°1 : La balade des gens qui sont nés quelque part

Georges Brassens est décidément fréquemment sollicités dans nos dossiers. Un proverbe dit qu’un dessin vaut mieux que de longs discours : les textes du poète Sètois remplacent parfois bien des démonstrations.

C'est vrai qu'ils sont plaisants tous ces petits villages
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités
Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages
Ils n'ont qu'un seul point faible et c'est être habités
Et c'est être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts
La race des chauvins, des porteurs de cocardes
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Maudits soient ces enfants de leur mère patrie
Empalés une fois pour toutes sur leur clocher
Qui vous montrent leurs tours leurs musées leur mairie
Vous font voir du pays natal jusqu'à loucher
Qu'ils sortent de Paris ou de Rome ou de Sète
Ou du diable vauvert ou de Zanzibar
Ou même de Montcuq il s'en flattent mazette
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Le sable dans lequel douillettes leurs autruches
Enfouissent la tête on trouve pas plus fin
Quand à l'air qu'ils emploient pour gonfler leurs baudruches
Leurs bulles de savon c'est du souffle divin
Et petit à petit les voilà qui se montent
Le cou jusqu'à penser que le crottin fait par
Les chevaux même en bois rend jaloux tout le monde
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

C'est pas un lieu commun celui de leur connaissance
Ils plaignent de tout cœur les malchanceux
Les petits maladroits qui n'eurent pas la présence
La présence d'esprit de voir le jour chez eux
Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire
Contre les étrangers tous plus ou moins barbares
Ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Mon Dieu qu'il ferait bon sur la terre des hommes
Si on y rencontrait cette race incongrue
Cette race importune et qui partout foisonne
La race des gens du terroir des gens du cru
Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si vous n'aviez tiré du néant tous ces jobards
Preuve peut-être bien de votre inexistence
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Georges Brassens (1972)

 

 

Fiche n°2 : Faut-il servir de la nourriture pure ?

Le débat entre particularisme et universalisme trouve une application concrète dans les centres de vacances et de loisirs qui sont parfois confrontés, tout comme les cantines des écoles et des collèges, à une demande pressante des familles et des enfants pour que la nourriture proposée soit conforme aux prescriptions religieuses ou culturelles.

Ainsi, la religion juive orthodoxe préconise-t-elle de manger de la viande Cacher. Pour ce faire, il faut  d’abord mettre la viande sous l'eau pour la débarrasser du sang qui s’y trouve. La deuxième étape consiste à la mettre au contact du sel pour que le sang susceptible d'être extrait pendant la cuisson soit absorbé par le sel. La troisième étape consiste à rincer soigneusement (à trois reprises) le sel gorgé du sang impur.

La religion musulmane préconise, elle aussi, de manger des produits licites (dits « halals ») opposés aux produits interdits (dits « haram »). La liste des aliments impurs est fixée par le Coran : le porc et ses dérivés, le cheval, les animaux non abattus selon le rite islamique ou mort avant l’abattage, les animaux abattus au nom d’un autre dieu qu’Allah, l’alcool, les animaux carnivores, les oiseaux de proie et les animaux terrestres sans oreille apparente, le sang et ses dérivés, les aliments contaminés par l’un des produits ci-dessus. Le rite islamique de purification des aliments implique que le sacrificateur soit musulman pratiquant, que l’animal soit dirigée vers la Mecque et que l’égorgement s’effectue en tranchant la carotide et les jugulaires tout en prononçant une formule religieuse. Si l’une des conditions n’est pas respectée, la viande est considérée interdite à la consommation.

Pendant longtemps, et encore maintenant, le religion catholique revendiquait l’abstention de viande le vendredi (c’est pourquoi nombre de cantines, encore aujourd’hui, ne servent ce jour-là que du poisson).

 Mais, il serait injuste de s’en arrêter là. La religion n’est pas la seule à fixer des tabous alimentaires. Chaque ethnie africaine possède ses  propres règles spécifiques. Ainsi, cette recommandation fréquente faite aux femmes de ne pas manger d’œufs, au risque de devenir stériles. La modernité n’est quant à elle pas exempte de telles pratiques : en occident, une mode s’est développée au cours des dernières décennies : ce sont les régimes ovolactovégétarien (excluant toute viande), lactovégétarien (excluant viande et œufs),  ovovégétarien (excluant  viande, tous produits animaux et laitiers),  pescovégétarien (excluant toute viande, mais autorisant le poisson ainsi que les sous produits d'origine animale) et végétalien (excluant tous produits ou sous produits d'origine d'animale et n’autorisant essentiellement que des fruits, des légumes et des céréales). Si l’on rajoute les consommations de produits issus de la culture biologique qui incitent certains invités à emporter leurs propres aliments quand ils vont manger chez des amis, on aura fait le tour des originalités des tabous alimentaires. Mais il faut aussi évoquer les traditions culinaires très contradictoires selon les continents. Le lait animal est couramment consommé et apprécié en Asie, en Afrique, en Europe et en Amérique, mais rarement consommé en Chine. La langouste, le crabe et la crevette sont considérés comme des mets de choix en Europe et en Amérique du Nord, mais sont répugnants pour de nombreux peuples d'Afrique et d'Asie, surtout pour ceux qui vivent loin de la mer. Les Français mangent de la viande de cheval, pas les Anglais. De nombreux peuples consomment avec délice de la viande de singe, de serpent, de chien et de rat ou mangent certains insectes, alors que d'autres trouvent ces aliments repoussants. De telles prescriptions, totalement ridicules pour certains, parfaitement respectables pour d’autres, rendent potentiellement difficiles l’organisation des repas quotidiens, en collectivité, dès lors que les convives sont d’horizons multiples et diverses. On peut imaginer le casse-tête de Maryvonne, brave serveuse au centre aéré de la commune : « il ne faut pas que je me trompe, récapitulons : le petit Samuel mange cacher mais pas hallal, Farida halal, mais pas cacher, Ahmed ne mange pas de porc, mais volontiers les autres viandes, sans qu’elles soient ni halal, ni cacher, Lucien mange du poisson, mais aucun viande, Soizig amène ses radis bio de la maison etc... » La question qui se pose dès lors est très pragmatique : faut-il respecter toutes les spécificités… ou bien aucunes ? Est-ce aux collectivités de se plier aux spécificités innombrables que l’on peut rencontrer en matière culinaire ou aux individus de faire preuve de tolérance en pratiquant leurs tabous quand c’est possible, acceptant de ne pas les respecter quand leur application est rendue particulièrement complexe ?

 

 

Fiche n°3 : Le témoignage de Thomas Janus

Nous étions dans  l’Hérault avec un petit groupe d’adolescents. Le dernier jour du séjour, les jeunes viennent me demander d’aller assister au bal prévu dans un village proche. Je trouvai cette idée intéressante, car cela permettait de passer une dernière soirée festive. Nous nous déplaçons donc et arrivons avant que l’orchestre n’ait commencé. J’ai été très attentif au début à la façon dont cela se déroulait. Tout s’est très bien passé tout au long de la soirée. Mon groupe composé moitié de garçons, moitié de fille restant ensemble. A minuit, j’ai annoncé le retour. Les petits jeunes sont venus négocier de pouvoir rester jusqu’à la fin du bal annoncé à 1h00 du matin. J’accepte, mais annonce que, devant conduire le minibus toute la journée du lendemain, je souhaite aller me coucher. L’animatrice, m’accompagne et revient au village (ce qui lui prend dix minutes).  Je m’endors comme un loir, entendant à peine le retour du groupe. Ce n’est que le lendemain matin que j’appris ce qui s’était passé. A peine l’orchestre eut-il terminé qu’une vingtaine de jeunes (dont l’un des musiciens, lâchant promptement son instrument) se sont précipités vers mon groupe d’adolescents, commençant à les insulter, les bousculer et les frapper. Le groupe réussit en partie à s’égayer, coursé par leurs agresseurs. Un des ados voulant se réfugier dans un café fut éjecté par le patron qui ne voulait pas de détériorations dans son établissement. Ce fut l’animatrice restée sur place qui dut aller le chercher. Elle eut le réflexe d’entourer les épaules du jeune de son bras, de baisser sa tête en le plaquant contre sa poitrine. Elle put ainsi traverser un groupe hostile qui n’osa pas s’attaquer à elle. Elle fut vite entourée par des adultes habillés en blanc qui constituèrent un cordon sanitaire et l’accompagnèrent jusqu’au minibus où s’étaient regroupés les autres jeunes. Le groupe a pu regagner sans soucis le centre qui nous accueillait. Nous sommes repartis le lendemain comme prévu. Ce que m’inspire cet épisode ? Trois réflexions. D’abord, à chaque fois que j’entends parler de batailles rangées entre jeunes de banlieue, je me dis qu’il n’est pas nécessaire d’appartenir à un quartier défavorisé pour être mêlé à ce genre de violence. Les campagnes profondes de notre pays sont parfois aussi très fortes en la matière. Ensuite, chez les petits mâles de l’espèce humaine, la prégnance de la défense du territoire est très forte : c’est sans doute le simple fait d’être étranger à ce village qui a déclenché l’agression. Enfin, j’ai mieux compris comment peuvent se déclencher si facilement des massacres comme ceux du Rwanda. La comparaison va peut-être vous sembler exagérée, mais il y avait dans ce début de bagarre de fin de bal, tous les ingrédients que l’on retrouve dans des évènements infiniment plus dramatiques : la haine stupide de celui qui n’appartient pas au même groupe, la volonté de le faire fuir par la terreur, le désir de faire mal … Notre travail d’éducation doit être permanent pour combattre ces tendances nauséabondes.

 

 

Bibliographie

►     « La Citoyenneté multiculturelle, Une théorie libérale du droit des minorités » Will Kymlicka, éditions La découverte, 2001

L’auteur, philosophe canadien et spécialiste du multiculturalisme, défend la nécessité pour nos sociétés devenues multiculturelles, de reconnaître aux minorités des droits spécifiques pour leur permettre de préserver leur identité face à la culture majoritaire. Il s’agit, pour lui, de dépasser la conception « ancienne » de la citoyenneté « au bénéfice de conceptions nouvelles de l’Etat » faisant une large place à un « multiculturalisme d’immigration » et à un « fédéralisme multinational ». Et ce, sans pour autant remettre en cause ni la liberté individuelle, ni la justice sociale, ni l’unité nationale : « Dans une société qui reconnaît des droits spécifiques aux groupes, les membres de ceux-ci participent à la communauté politique non seulement en tant qu’individus, mais également par l’entremise de leur groupe ; leurs droits dépendent donc en partie de leur appartenance à un groupe ». La démonstration ne se limite pas aux seules nations anglo-saxonnes, elle se veut aussi valide pour le reste du monde et notamment l’Europe : « Les groupes qui forment la majorité au sein de leurs Etats respectifs deviendront, après tout, des minorités au niveau de l’Union européenne prise dans son ensemble ». Quant à la France dénoncée comme le premier ennemi de l’avancée du tout-communautarisme, elle est brocardée pour revendiquer depuis toujours l’indépendance du Québec mais ne voulant accorder aucune reconnaissance spécifique aux musulmans (l’affaire du voile) et aux indépendantistes Corses !

►     « La République enlisée. Pluralisme, communautarisme et citoyenneté »Pierre-André Taguieff, Editions des Syrtes, 2005

Les idées multiculturalistes et multicommunautaristes remettent en cause le modèle français de républicanisme civique. La tolérance est devenue obligatoire : toutes les croyances doivent être respectées, toutes les histoires reconnues, tous les « besoins d’identité » satisfaits. L’Etat se réduirait à un simple arbitre entre communautés distinctes, qui veillent à ne pas se mélanger. Fondés sur un passé constellé de « souffrances » et de «discriminations», les droits des minorités font l’objet d’une protection pénale et médiatique. C’est le libéralisme politique qui a été l’un des premiers, en une époque d’intolérance religieuse, à penser le pluralisme et la liberté de pensée et de conscience. Ce qui n’a rien à voir avec les mesures de discrimination positive qui ne font qu’aggraver la fragmentation conflictuelle de l’espace civique, en provoquant la baisse de l’estime de soi chez ses bénéficiaires et ressentiment chez les autres. Pour l’auteur, c’est le pluralisme qui se trouve directement menacé aujourd’hui bien plus par les idéologies du multiculturalisme que par le vieux fonds nationaliste xénophobe et identitaire. Pour autant, face aux discours concordant du nationalisme xénophobe (« la nation en danger ») et à ceux des multicommunautaristes (« la fin du national »), la nation résiste, et réussit encore son œuvre d’assimilation, l’école continue, bon an mal an, son œuvre d’intégration culturelle, preuve que le modèle républicain est en définitive plus robuste qu’il n’y paraît.

►     « Communautarisme versus libéralisme quel modèle d’intégration politique ? »Justine Lacroix, éditions de l’université de Bruxelles, 2003

Qu'est ce qu'une communauté politique ? Une «grande famille» unie par un patrimoine commun et des significations partagées ? Un «club» fondé sur le principe de l'avantage mutuel ?  Une simple «maison commune» ? Telles sont quelques-unes des questions sous-jacentes à la controverse qui oppose, depuis une vingtaine d'années, les auteurs dits «libéraux» aux auteurs dits «communautariens». C'est à l'élucidation de ce débat que se consacre Justine Lacroix. L'auteur est ici animée d'un double souci : réhabiliter le libéralisme politique - trop souvent assimilé à une philosophie aux vues étroitement individualistes - et saisir la «vraie» nature du communautarisme - fréquemment confondu, dans le monde francophone, avec une forme de multiculturalisme attaché à la défense des droits des minorités. L'objet de ce décryptage est ainsi d'éclairer une interrogation qui concerne aujourd'hui toutes les sociétés complexes et pluralistes et, plus directement, les Etats participant à la construction européenne, à savoir : qu'est ce qui rend une société politique possible ? Ou encore : sur quels principes peut-on asseoir l'intégration politique d'un ou de plusieurs peuples ?