La police

Police : entre gardiens de la sécurité et dérive sécuritaire

Le rapport que chacun d’entre nous entretenons avec la police est le plus souvent ambivalent. Nous sommes les uns, les autres prompts à fustiger ce corps d’Etat, en nous plaignant de sa fonction répressive. Dans le même temps, nous n’hésitons pas à lui faire appel quand nous sommes victimes. Le dossier de ce mois-ci risque de frustrer tant le camp des pourfendeurs de flics que celui de ses défenseurs inconditionnels, car nous refusons de nous inscrire dans une logique manichéenne.

Le terme de police désigne tout autant l’ensemble des règles qui régissent le fonctionnement d’une communauté humaine donnée, que l’institution chargée de les faire respecter. Cette double définition est importante, car elle resitue cette fonction à partir de la mission qui lui est confiée par le corps social. Les forces de l’ordre n’interviennent pas comme une puissance qui s’imposerait de l’extérieur de la société, mais en tant qu’émanation de celle-ci. Comme tous les autres organes de l’Etat, la police est la résultante du contrat passé entre les citoyens qui ont renoncé à une part de leur liberté, en confiant à un tiers le soin de faire appliquer les règles du vivre ensemble, tout comme la justice est chargée de sanctionner les transgressions commises ou l’administration de faire fonctionner le service public. Il n’est pas anodin de rappeler ce qui peut apparaître comme une évidence, car cela n’a pas toujours existé. Pendant longtemps, le règlement des conflits fut une affaire strictement privée (1). L’honneur avait alors plus de valeur que la vie humaine, l’homicide pour laver un affront étant considéré comme tout à fait légitime. Le recours à la police n’avait aucune pertinence dans une société où la vengeance individuelle était la norme. Chaque seigneur exerçait la justice sur son territoire et se dotait pour ce faire d’une police privée qui servait avant tout ses intérêts. Aucun crime n’était irrémissible, sauf pour les miséreux ou les étrangers qui n’avaient pas de famille susceptible de s’engager dans une transaction financière venant compenser l’acte commis. Le pouvoir royal, cherchant à prendre le contrôle de l’ordre social, accomplit un long travail de civilisation des mœurs : le roi contraignit progressivement ses sujets à vivre en communauté, en respectant certaines règles collectives. La révolution parachèvera cette œuvre.

 

Avant l’invention de la police…

Ce qui, encore aujourd’hui, peut nous apparaître pesant et arbitraire, étouffant et tatillon est pourtant la condition d’une vie commune respectant des critères de qualité. Pour s’en convaincre, plongeons-nous dans le Paris du XVIIème siècle, ville particulièrement mal « policée ». La cité, qui a vu, au fil des années, affluer une population toujours plus nombreuse, est devenue un véritable cloaque. Ses habitants jettent leurs ordures ménagères n’importe où, devant les maisons ou au coin des rues. Le contenu des latrines attend dans les jardins qu’on veuille bien en prendre livraison. Les artisans laissent leurs matériaux (bois de construction, ferraille, tas de briques et de pierre…) s’accumuler sur la voie publique.  Dans la plupart des maisons, les conduits de cheminée jouxtent les bois de charpente et les fêtes sont l’occasion de tirer des fusées ou de faire péter des pétards, sans que l’on se soucie des risques d’incendie. La nuit est l’occasion de se faire agresser par des bandes de voleurs qui hantent les rues. Le jour n’est pas toujours plus sûr : ainsi, le 6 juin 1644, on a compté pas moins de 14 assassinats dans la même journée. Ceux qui ont les moyens ne sortent plus qu’entourés de laquais armés que leur maître préfère parfois rémunérer en les encourageant à se livrer eux-mêmes à la rapine ! Ce n’est pas que les autorités ont renoncé à prendre des mesures : un service de nettoyage doit passer dans les rues, des règlements précis existent qui interdisent d’abandonner des matériaux dans la rue ou qui obligent chaque particulier à disposer de réserves d’eau ou de sable pour intervenir sur tout début d’incendie. Mais rien n’est prévu pour vérifier l’application de ces règles. Un guet a bien été mis sur pied, composé pour partie de bourgeois se dévouant pour faire des rondes. Très vite les rangs des volontaires, rebutés par les contraintes, se sont éclaircis. Les professionnels qui les ont remplacés n’ont pas fait preuve de beaucoup plus d’efficience. 

 

… et après

Pour répondre à cette situation, Louis XIV prend le 15 mars 1667 un édit qui constitue l’acte de naissance de la police moderne. Il crée la fonction de lieutenant de police, avec pour ambition de garantir la sécurité et l’ordre public. Gabriel Nicolas de La Reynie, nommé à ce poste de premier policier de France, va remplir sa charge avec diligence et efficacité. Il commence par disperser la « cour des miracles », ce quartier de Paris regroupant les délinquants qui sévissaient dans la capitale. Il fait installer des lanternes publiques (avant la fin de l’année 1667, il y en aura 2.736). Il fait placer des pompes à eau dans chaque quartier, les faisant inspecter tous les mois pour vérifier qu’elles sont opérationnelles. Il interdit la construction mitoyenne des cheminées avec les poutres et les solives et prescrit aux propriétaires un ramonage régulier, prévoyant des amendes en cas de non-respect de ces obligations. Une série d’ordonnance s’efforce de débarrasser les rues de tout ce qui rend la circulation difficile, voire dangereuse : tonneaux et ballots, bancs et étalages et même enseignes géantes qui débordent parfois jusqu’au milieu de la chaussée, au risque de blesser piéton et cavaliers. Il organise un système de nettoyage des rues qui sera financé par une taxe servant à payer non seulement les entreprises chargées d’intervenir, mais aussi des contrôleurs dont la mission est de vérifier la qualité de cette prestation. Il fait vérifier que chaque maison est équipée de latrine et que celle-ci est vidangée en dehors de la ville. Il réforme le guet en exigeant que les rondes se fassent selon des horaires et un trajet à chaque fois différents.

 

Une réforme réussie

Rôle étonnamment moderne dévolue à ce nouveau service : la régulation des problèmes de circulation des carrosses et des charrettes (qui doivent arborer une plaque d’immatriculation), l’organisation de la ville (obligation faite en 1779 d’apposer des panneaux précisant le nom des rues à chacune de leur extrémité), la préservation de l’hygiène (réglementation de l’introduction de substances chimiques dans les aliments)… Gabriel Nicolas de La Reynie n’est pas seul pour vérifier que toutes ses prescriptions sont respectées. Il s’entoure de commissaires et s’appuie aussi sur les notables. En quelques mois, la physionomie de la capitale a totalement changé. La réforme de Louis XIV a dépassé toutes ses ambitions. Dans sa première décennie d’existence, la police est plébiscitée. Elle est perçue comme facteur de régulation des tensions urbaines. Elle contribue à rendre la vie en commun plus supportable. Contraignante et répressive parfois, elle peut apparaître arbitraire et tyrannique. Mais il n’y a que ceux qui n’ont pas connu le Paris coupe-gorge transformé en cloaque des années précédentes qui s’en plaignent. Un écrivain anglais, réputé pour détester la France rapporte que dorénavant, l’on peut se promener à n’importe quelle heure avec une bourse pleine d’or, sans avoir rien à craindre. Le climat de confiance est revenu. Aujourd’hui encore, l’action de la police apparaît essentielle pour réguler le vivre ensemble et faire appliquer les règles. La seule alternative à cette institution, c’est soit le retour à la vengeance privée et à la vendetta, soit la constitution de milices de citoyens assurant eux-mêmes la sécurité des biens et des personnes.

 

Défense de l’ordre établi

Mais la lune de miel entre la police et les citoyens pâlit très vite. Car la police ne s’occupe pas que des conditions d’existence commune. Elle intervient aussi comme instrument de répression politique. Censure exercée sur la presse et sur l’édition, surveillance et espionnage des opposants, emprisonnement pour délits d’opinion… dans les décennies qui vont suivre sa création, elle est utilisée tant par les régimes autoritaires que révolutionnaires pour préserver le pouvoir en place. La tentative de la troisième République (1870- 1940), de l’inscrire dans des principes républicains, comme émanation d’un gouvernement démocratiquement élu, fait naufrage avec le régime de Vichy qui lui fait appliquer les pires lois scélérates. Si l’on excepte des engagements individuels de policiers ayant payé chèrement leurs actes de résistance à l’occupant nazi, la police, en tant que corps constitué, a largement contribué à la politique de collaboration et de déportation des juifs, en faisant preuve de docilité et d’obéissance. A la libération, ses rangs seront épurés. Mais la police de 1940 est à l’image de la société française d’alors : multiple et plurielle. Sa compromission doit beaucoup à la culture de discipline et de soumission qui sont les qualités essentielles qui lui sont demandées. Le choix de l’honneur aura été pour elle, comme pour le reste des français, une voie qu’empruntera une poignée d’individualités. La police ne s’est pas seulement fait remarquer historiquement par son implication dans la défense du pouvoir en place.  Elle s’est aussi souvent distinguée par son recours à une violence souvent excessive. L’utilisation de la contrainte prête naturellement aux dérapages. Mais les bavures, loin d’être combattues, ont été considérées sous tous les régimes comme partie intégrante du paysage et comme les faux frais de toute politique sécuritaire efficace.

 

Deux poids, deux mesures ?

Le 17 septembre 1998, le gardien de la paix Serge Rouet, 30 ans, qui intervenait à Gargenville (Yvelines), avec cinq de ses collègues pour mettre fin à un différend entre voisins, est tué d’un coup de fusil. Le meurtrier, Samuel Lamy, 28 ans, a été condamné le 28 juin 2002 par la cour d’assises des Yvelines à 25 ans de réclusion criminelle. L’avocat général avait requis la perpétuité, rejetant les arguments de l’accusé qui a toujours affirmé ne pas avoir su qu’il avait affaire à des policiers (2). Le 20 décembre 1997 Le policier Carvallo abat le jeune Fabrice Fernandez, vingt-quatre ans, d’une balle en pleine tête, tirée à bout touchant dans un commissariat de Lyon. Le policier sera condamné à 12 ans de prison ferme. Quoi de plus normal : la justice ne doit pas faire de différence entre les citoyens. Malheureusement, c’est là un cas assez exceptionnel. Il est plus fréquent de constater une bienveillance étonnante de la justice à l’égard des bavures policières. Le 16 avril 2000, le policier Stéphane Andolina abat à Lille, lors d’une tentative de vol de voiture Riad Hamlaoui, âgé de 25 ans. Les jurés de la cour d’assises du Nord ont condamné le policier à trois ans de prison avec sursis, en assortissant toutefois cette peine avec une interdiction d’exercer le métier de policier et de porter une arme. L’avocat général, qui avait requis six ans d’emprisonnement pour « homicide volontaire » n’a pas été suivi. La Cour « a estimé qu’une nouvelle incarcération ne serait utile ni à la société ni aux victimes », a expliqué le président Michel Gasteau. « Pour injuste que soit la mort de la victime, elle résulte plus d’un ensemble de maladresses que d’une intention criminelle » (3).

 

Un déficit de considération

Le métier de policier ou de gendarme constitue une profession à risque. Les agents de la force publique sont souvent amenés à se porter au devant des situations dangereuses. Quand il s’agit d’arrêter un forcené, d’intervenir dans des violences entre personnes, de protéger des biens privés ou publics, c’est à eux que l’on fait appel, c’est sur eux que l’on compte. Entre 1989 et 1999, 130 fonctionnaires de police ont été tués en service. L’analyse des circonstances qui ont présidé à ces morts tragiques montre que 45 % des victimes ont perdu la vie lors d’un accident mortel de la circulation, 27 % à l’occasion de fusillades lors d’opération, 18% au moment d’interpellations qui tournent mal, 15 % lors de contrôles de véhicules et 12 % pendant des interventions sur des forcenés (4).  Le fait que des personnes intervenant pour sauvegarder la sécurité des citoyens, pour faire respecter les lois ou pour se porter au-devant d’individus qui leur semblent suspects, perdent leur vie, n’est ni anodin, ni banal. Ce ne sont pas là des circonstances privées. C’est dans le cadre du service que la société leur demande de rendre qu’ils connaissent cette fin tragique. De tels évènements méritent un respect et une reconnaissance qui ne sont pas si souvent accordés. Certes, les ministres et autres officiels ne sont pas avares de leurs discours. Mais le simple citoyen, qui affectionne tout particulièrement les romans, films ou séries policiers, ne pense au quotidien qu’à « bouffer du flic », sans mesurer toujours ce qu’il doit à ces fonctionnaires en terme de confort pour sa vie quotidienne.

 

Des dérapages inadmissibles

Inversement, un corps professionnel à qui la société délègue le monopole de la violence doit se montrer tout particulièrement vigilant dans l’exercice du pouvoir exorbitant qui lui est ainsi accordé. Le 14 octobre 2005, Dominique Barella, magistrat et président de l’Union syndicale des magistrats conseillait au ministre de la justice de proposer à son collègue de l’intérieur de  « faire cesser les viols commis par des policiers, les agressions sexuelles de policiers à l’égard de leurs collègues féminins, les claques à des mineurs de 8 ans ». Les actes inutilement brutaux commis par certains « cow boys » rejaillissent sur l’ensemble d’un corps dont le dévouement n’est plus à démontrer. La crédibilité de la police dépend en grande partie de la confiance qu’on peut lui accorder. Une police mal aimée est une police fragilisée, inefficace et dangereuse dans ses réactions. Pourtant, couvrir les bavures a été une tactique systématisée par beaucoup de ministres de l’intérieur: « La police doit savoir être respectée. Cela implique qu’elle soit sûre de la détermination du gouvernement qui est bien décidé à lui donner les moyens d’agir et à la couvrir si par malheur un accident arrivait » affirmait ainsi Charles Pasqua, en 1986. Ce à quoi Bernard Delaplace, secrétaire général de la Fédération autonome des syndicats de police, répliqua aussitôt : « Quand on est responsable, on ne dit pas : Allez-y, foncez ! Je vous couvre ! Pour s’étonner ensuite des dégâts ».

 

Vers une meilleure limitation des bavures ?

La transparence et la lutte résolue contre les atteintes aux droits de l’homme ne sont pas là pour porter atteinte ni à l’honneur, ni au fonctionnement de la police, mais au contraire pour mieux en légitimer l’action. Reconnaître l’existence des dérives ne ferait pas s’effondrer l’institution. Alors même qu’une formation d’élite se justifierait pour les agents en contact avec les terrains difficiles, avec un contenu plus soutenu en terme  psychosociologique, dans la gestion tant du stress que des conflits et la lutte contre les discriminations, les écoles de police évitent prudemment ce véritable tabou. Nicolas Sarkozy, ministre actuel de l’intérieur affirmait en 26 juin 2002 : « Je ne tolèrerai aucune entorse aux règles républicaines justement parce qu’elles remettent en cause votre autorité (…) je vous demande (…) aucune complaisance envers quelque dérives que ce soit » Y a-t-il un rapport de cause à effet ? Toujours est-il qu’au cours des émeutes de novembre 2005, France 2  a filmé en direct des violences exercées à l’encontre d’un jeune homme interpellé à La Courneuve. A la suite de cet incident grave, un policier a été placé en détention provisoire, cinq autres placés sous contrôle judiciaire. Les deux policiers auteurs présumés des coups l’ont été pour « violences commises par personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions en réunion », délit passible de cinq ans d’emprisonnement. Soupçonnés d’avoir rédigé un faux procès-verbal d’interpellation pour maquiller la bavure, ils sont également poursuivis, ainsi qu’un troisième, pour « faux commis en écriture publique ou authentique ». Les deux derniers ont été mis en examen pour « non-empêchement par une action immédiate sans risque pour soi ou pour les tiers d’un délit contre l’intégrité corporelle d’une personne ».

 

L’honneur de la police

Sous la pression des syndicats de policiers, le policier a été libéré. On peut légitimement s’interroger sur la réaction de la justice, si la scène de violence policière n’avait pas été filmée. On attend donc de voir dans quel délai et avec quelle sévérité le jugement interviendra. Mais, un signe fort a été lancé. Au mois de novembre 2005, Henri Poncet, général de corps d’armée a été mis en examen pour avoir donné l’ordre d’exécuter un civil ivoirien. Un des plus haut gradés de l’armée, chef de la force «Licorne» en Côte d’Ivoire est ainsi appelé à rendre des comptes à la justice. Cette mise en cause exemplaire, tout à l’honneur de l’Etat français, doit servir d’exemple pour ce qui se passe parfois dans la police. Au terme de notre cheminement, le lecteur qui a été baigné dans une réflexion rejetant les jugements à l’emporte-pièce s’interroge : comment au final réagir face à la police ? A la différence des nations qui ont connu une longue période de dictature et où les forces de l’ordre ont été imprégnées pendant des décennies par l’arbitraire et les abus systématisés, notre pays bénéficie d’une longue tradition démocratique. Nous ne sommes pas, loin de là dans un Etat policier. Deux attitudes apparaissent tout aussi incontournables l’une que l’autre : défendre le rôle de la police comme force irremplaçable de régulation sociale et ne plus tolérer les atteintes aux droits de l’homme qui sévissent en son sein. La société civile joue un rôle important de vigie et de balise d’alerte. Les bavures doivent être prises entre deux feux : celui des membres des forces de l’ordre eux-mêmes qui devraient se faire un honneur de les combattre et celle du public qui ne doit plus hésiter à les dénoncer, en adressant des témoignages au procureur de la république, en saisissant la presse ou en contactant les associations de droits de l’homme.

(1)     « Histoire et dictionnaire de la police. Du Moyen-Âge à nos jours » Michel Aubouin et all, Robert Laffont, 2005

(2)     Dépêche AFP, 04/07/2002

(3)     Dépêche Reuters, 04/07/2002

(4)     http://perso.wanadoo.fr/victimesdudevoir/Victimes.htm

 

Lire interview Boubault Guy - Police

 

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°66 ■ fév 2006

 

 

Faut-il craindre les contrôles d’identité ?

Le 22 février 2002, à Paris, Karim Latifi, consultant en informatique de nationalité française, se retrouve dans une rue bloquée par plusieurs véhicules de police. Il sort et s’approche des policiers. Ces derniers lui demandent ses papiers. L’un d'entre eux le pousse vers un escalier. « Je suis déséquilibré ; il sort sa matraque et me frappe à la tête, puis se rue sur moi, me tape au visage, cette fois-ci avec sa jambe. Je suis terrifié, je sens presque le sol vibrer entre ma tête et mon épaule. Je crie au secours. Je me traîne plus loin. Une dizaine de policiers se ruent sur moi. C'est un déluge de coups de poing, de pied, de matraque et d'insultes, "sale Arabe", "fils de pute". » (Citation extraite de Libération, 9-10 mars 2002.) Sa tête a commencé à enfler ; son nez était cassé. Dans le véhicule qui l'emmenait au commissariat de police, il aurait été l'objet d'insultes racistes tout au long du trajet. L’affaire a été classée sans suite le 10 juillet 2002.

 

Vos papiers !

« La scène se passe le 4 février 1991, à Paris, à la station de métro République. Un usager s’adresse à un brigadier:

            ’’- Je vous observe, vous contrôlez toujours les mêmes gamins ...

              - Comment ça, les mêmes ?

              - Les basanés, les fripés, les mal sapés ...

              - On contrôle qui on veut ! Et circulez, sinon on vous embarque !

              - Ah oui ? Pour quel motif ?

              - Vous m’outragez !

             - Je vous outrage parce que je remarque que vous ne contrôlez qu’une partie de la population? Mais je m’étonne que vous fassiez des contrôles d’identité. C’est interdit. Vous n’avez pas le droit de palper non plus.

              - Toi, tu veux vraiment qu’on t’embarque !

              - Allez-y, qu’un s’amuse un peu..’’

            Et l’usager sort une carte tricolore. Le brigadier marque un garde-à-vous: « excusez-moi, monsieur le Commissaire »

« La police hors-la-loi » Maurice Rajsfus, (p.302)

 

Instructions officielles

« S’il existe pour le policier la moindre possibilité d’éviter, sans conséquence grave pour lui-même ou pour autrui (…) l’attaque injuste (…), il doit opter pour cette solution plutôt que d’utiliser son arme. Par exemple, si un véhicule se dirige délibérément sur le policier et que celui-ci à la possibilité matérielle et le temps de s’écarter (…), il doit privilégier cette solution plutôt que d’utiliser son arme. Une fois le véhicule passé, les conditions de la légitime défense n’étant plus réunies, l’usage de l’arme par le policier est à proscrire » Gestes et techniques professionnels d’intervention, Ministère de l’intérieur

 

 

« Quand une patrouille de police ne peut engager son véhicule dans les rues d'une cité, sans être immédiatement victime de projectiles de toute sorte, quand à Strasbourg sur une intervention, 4 policiers se trouvent confrontés à une bande d'une cinquantaine de " sauvageons ", qu'ils se mettent en situation de meurtre à l'égard de ces policiers, il est admirable que ces policiers ne fassent pas l'usage de leurs armes, alors qu'ils sont en légitime défense. (…) Lorsque un policier tire en légitime défense sur un véhicule qui tente de l'écraser, c'est malhonnête de faire croire qu'il tire sur un " beur ". Il tire avant tout sur un conducteur dont il n'aperçoit que la silhouette au volant d'un véhicule avec lequel il tente de l'assassiner. Ce n'est qu'après et en dehors du contexte de la dangerosité de l'action qu'on constate les " qualités " du conducteur. Il est arrivé qu'il soit " beur ", mais il est d'autres cas ces dix dernières années où il s'agissait aussi de truands patentés non " beurs " et pas forcément jeunes. »

Jacques Heuclin Maire de Pontault-Combault Député de Seine et Marne octobre 2001

 

 

 

Fiche n°1 : Le témoignage de Thomas Janus

La qualité des relations avec la police ou la gendarmerie dépend en grande partie de la personnalité de ceux à qui nous avons à faire. Il arrive de recevoir la visite de gendarmes au tout début d’une colo. Ils prennent contact afin de connaître les responsables d’un groupe d’enfants qui va séjourner sur leur territoire. Ensuite, tout dépend de la survenue ou non de difficultés. J’ai déjà eu l’occasion de leur faire appel une année, alors qu’un groupe d’adolescents avait pris comme tête de turc l’un d’entre eux. Pour se rendre intéressant un jeune lui avait appliqué une cuillère chauffée à l’aide d’un briquet sur la plante des pieds. De peur d’être encore plus stigmatisée, la victime n’avait rien osé dire. Il souffrait pourtant d’une sérieuse brûlure. C’est le groupe de jeunes qui en a parlé au petit déjeuner, pour s’en vanter. Apprenant cela, j’ai demandé à la gendarmerie d’intervenir, considérant qu’il s’agissait là d’une agression sous forme d’un acte de torture. Le groupe d’adolescents a très mal réagi, me traitant de balance. Mais je n’ai pas cédé, leur expliquant que d’une part je n’étais pas leur copain mais un adulte garant de la sécurité de tous et qu’ensuite cela dépassait les limites de ce qu’on pouvait traiter en interne par une simple mesure disciplinaire. Les gendarmes ont interrogé le jeune qui avait commis cet acte. Ce jour-là, ils se sont contentés de menaces verbales. Cela a calmé tout le monde. Bien entendu, j’ai parallèlement sanctionné l’agresseur. Nous travaillons aussi avec les policiers ou gendarmes qui interviennent au titre de la prévention routière. Ils travaillent sur des pistes fixes aménagées. Mais ils peuvent aussi se déplacer emmenant en camion tout le matériel. Le contact avec les jeunes est toujours de grande qualité. Les intervenants se montrent alors très pédagogues et ils passent très bien. Mais les relations entre force de l’ordre et jeunes ne sont pas toujours aussi simples. Il m’est arrivé d’être quelque peu en difficulté face aux témoignages de certains jeunes expliquant les contrôles à répétition dans le même quartier, les humiliations ou réflexions racistes de la part de certains policiers. J’ai essayé alors d’expliquer que tous n’agissaient pas ainsi. Mais, je sentais que mon argumentation était peu crédible… Un adolescent m’a raconté avoir été surpris au petit matin chez lui, alors qu’il dormait encore. La veille, il avait refusé de se présenter à une convocation au commissariat. Les policiers sont venus à 7h00 du matin. Ils ont sonné à la porte et sont entrés en force quand le père est venu ouvrir. Ils sont montés quatre à quatre l’escalier, sont entrés  dans la chambre, ont sauté sur le jeune qui était encore dans son lit, lui ont passé les menottes et l’ont entraîné au commissariat. Tout cela a été fait en totale illégalité, après avoir violé le domicile personnel, sans commission rogatoire. J’ai donné au jeune la procédure à suivre pour saisir la Commission de déontologie. Mais il n’en a rien fait. Ayant reçu des claques, m’affirmait-il, il avait peur qu’ils s’en prennent encore à lui. Je pense qu’il ne faut pas amalgamer tous les policiers. Mais, parfois, c’est bien difficile d’aider les jeunes à faire la part des choses.

 

 

Fiche n°2 : la Commission nationale de déontologie de la sécurité

La loi du 6 juin 2000 a institué une Commission nationale de déontologie de la sécurité, en lui donnant pour fonction de «veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ». Cette instance est constituée de huit membres (parlementaires, magistrats, personnalités qualifiées ...). Elle ne peut être saisie directement par les citoyens, mais doit l’être par un député ou un sénateur. Mais il est aussi possible à ces parlementaires, ainsi qu’au Premier ministre de lui soumettre une situation, de leur propre chef, sans réclamation préalable d’une victime. Il appartient, ensuite, à la Commission de décider si la situation qui lui est soumise entre dans ses compétences et d’apprécier si le cas mérite son intervention. Dans cette hypothèse, elle se doit de se forger une opinion aussi précise que possible et de donner un avis indicatif. Mais là s’arrête ses facultés. Elle ne dispose, en effet, d’aucun pouvoir répressif, pénal ou disciplinaire et ne peut qu’auditionner, consulter et aller vérifier sur place. Sont concernés par les attributions de cette Commission en premier lieu, les autorités publiques (police nationale, gendarmerie nationale, administration pénitentiaire, administration des douanes, police municipale, gardes champêtres ou forestiers) et les services publics (surveillance des transports en commun). Mais les services privés de sécurité relèvent aussi de sa compétence (services de gardiennage, de surveillance, de protection des personnes, de transport de fonds, services d'ordre privés, y compris bénévoles). La commission a vu le nombre de ses saisines s’accroître au cours des années : 40 en 2002, 73 en 2003,  97 en 2004, sans doute 110 en 2005. Le budget qui lui est imparti a curieusement diminué, étant amputée pour l’exercice 2005 de près de 20 % (1). Difficile dans ces conditions d’exercer sérieusement son rôle de vigie. Premier président honoraire de la Cour de cassation, Pierre Truche, le président de la Commission, a alerté dès janvier 2005 le directeur des services administratifs et financiers des services du premier ministre. Puis il a écrit au directeur du budget, le 23 mai.  En désespoir de cause, Pierre Truche a adressé le 5 juillet un courrier au premier ministre, Dominique de Villepin. Sans plus de réponse ! Le président de la CNDS a donc décidé de rédiger une nouvelle lettre, envoyée le 5 septembre à l’ensemble des députés, auxquels revient le droit de saisir la Commission. Il les alertait sur le " retard préjudiciable à l’examen de l’ensemble des dossiers " et sur " l’affaiblissement d’une institution indépendante au service des citoyens ".

(1)   d’après l’article de Piotr Smolar publié dans Le Monde du 9 septembre 2005

 

 

Fiche n°3 : le code de déontologie de la police

Article 2 : La police nationale s'acquitte de ses missions dans le respect de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois.

Article 6 : Tout manquement aux devoirs définis par le présent code expose son auteur à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale.

Article 7 : Le fonctionnaire de la Police Nationale est loyal envers les institutions républicaines. Il est intègre et impartial ; il ne se départit de sa dignité en aucune circonstance. Placé au service du public, le fonctionnaire de police se comporte envers celui-ci d'une manière exemplaire. Il a le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine, leur condition sociale ou leurs convictions politiques, religieuses ou philosophiques.

Article 9 : Lorsqu'il est autorisé par la loi à utiliser la force et, en particulier, à se servir de ses armes, le fonctionnaire de police ne peut en faire qu'un usage strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre.

Article 10 : Toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité et la protection de la police ; elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de police ou de tiers, aucune violence ni aucun traitement inhumain ou dégradant. Le fonctionnaire de police qui serait témoin d'agissements prohibés par le présent article engage sa responsabilité disciplinaire s'il n'entreprend rien pour les faire cesser ou s'il néglige de les porter à la connaissance de l'autorité compétente. Le fonctionnaire de police ayant la garde d'une personne dont l'état nécessite des soins spéciaux doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne.

Article 17 : Le subordonné est tenu de se conformer aux instructions de l'autorité, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. Si le subordonné croit se trouver en présence d'un tel ordre, il a le devoir de faire part de ses objections à l'autorité qui l'a donné, en indiquant expressément la signification illégale qu'il attache à l'ordre litigieux.

 

 

 

Bibliographie

►  « Histoire et dictionnaire de la police. Du Moyen-Âge à nos jours » Michel Aubouin et all, Robert Laffont, 2005

Voilà une somme considérable de connaissances proposées par plus de cinquante auteurs qui retracent la genèse de la police depuis les forces recrutées par les multiples autorités du Moyen-Âge qui s’arrogeaient le droit de faire justice jusqu’au processus d’unification, de centralisation et de modernisation commencé sous le régime de Vichy et qui s’est terminé en 1966. On découvre au travers le l’histoire de l’institution, de nombreuses curiosités tels le statut de la préfecture de police de Paris qui a toujours gardé, quelles que soient les réorganisations, son autonomie, la participation de nombreux policiers à la journée d’action du 14 février 1947, avant que n’intervienne l’interdiction du droit de grève pour ce corps professionnel, ou encore le rappel des fameux cabinets noirs où des générations de policiers ont, à la demande du pouvoir, ouvert le courrier des citoyens. « La police traîne une image désastreuse, mais paradoxalement flatteuse et fascinante dont les affaires politico-policières de la IV ème et de la Vème République expliquent la rémanence » (p.392). Le chemin est long qui reste à parcourir, avant d’arriver à une police populaire, enfin acceptée qui agirait pour permettre à chacun d’admettre les normes sociales comme une vertu civique.

►  « La police hors-la-loi. Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968 » Maurice Rajsfus, Le Cherche Midi Editeur, 1996

L’ouvrage de Maurice Rajsfus, véritable « livre blanc » des bavures policières, n’est pas dirigé contre des fonctionnaires qui sont pour la plupart des braves gens doués de raison mais contre l’action quotidienne et délétère de certains d’entre eux qui agissent en toute impunité. Les dérives sont couvertes jusqu’à l’absurde: démentir l’évidence, dénigrer les victimes (souvent qualifiées de « connues des services de police »), inculper d’outrages à agent ceux qui osent se plaindre. Ce violent réquisitoire est, en même temps, un vibrant appel à l’instauration d’une autre culture institutionnelle. L’objectivité voudrait que lorsqu’un fonctionnaire fait une faute, on le dise franchement et publiquement au lieu de le camoufler, donnant l’impression d’un vaste réseau de complicité. La formation des policiers est passée en cinquante ans de trois semaines à six mois. Pour autant, les épreuves sportives et de précision de tir sont encore bien plus valorisées que la connaissance du droit et du code de procédure pénale. On est loin des trois ans de formation des policiers britanniques chez qui on cherche avant tout à développer la maîtrise de soi !

►  « Polices et discriminations raciales. Le tabou français » Sophie Body-Gendrot et Catherine Withol de Wenden, Les éditions de l’Atelier, 2003

L’administration a élevé au rang de culture le déni face aux plaintes des citoyens contre certaines pratiques discriminatoires, les présumant a priori de mauvaise foi. Et pourtant, il faut parfois beaucoup de courage pour les dénoncer. La capacité des agents de la force publique à mettre en forme le récit de l’incident et à porter plainte pour rébellion et/ou outrages, avant même que la victime n’aie eu le temps de se retourner, a de quoi décourager les plus téméraires. De toute façon, la parole des policiers assermentés prime presque toujours sur celle du citoyen moyen ...surtout s’il est bronzé ! Les signalements transmis au numéro vert 114, institué dans le cadre de la lutte contre les discriminations, démontrent qu’un certain nombre de contrôles se terminent par des insultes et des tabassages et que les provocations, les gardes à vue arbitraires, les refus d’enregistrer une plainte, les réflexions sur les origines ethniques, les crachats, les amendes injustifiées, le harcèlement systématique, les constats dressés, lors d’un accident, défavorables à la personne qui n’était pas en tort, en raison de sa couleur de peau, autant d’abus de pouvoir policiers à caractère xénophobe ne sont pas exceptionnels. A ce compte, le divorce entre la police et une partie de la population n’est pas prêt de se résorber.

►  « Pour une véritable justice. Mettre fin à l’impunité de fait des agents de la force publique dans les cas de coups de feu de morts en garde à vue, de torture et autres mauvais traitements » Amnesty International, France, 2005

L’année 2004 a été marquée par une augmentation de 18,5 % des allégations de violences policières illégitimes. Le rapport d’Amnesty dénonce la justice à deux vitesses qui s’applique selon qu’on est agresseur de policier ou policier agresseur. Le climat d’impunité qui règne au sein des forces de l’ordre ne fait qu’encourager les dérives racistes et ségrégationnistes. A travers des cas précis, qui ont été vérifiés et authentifiés par les enquêteurs de l’association, sont dénoncés les mauvais traitements, tortures, agressions, violences diverses ayant parfois abouti à la mort d’usagers. Amnesty en appelle à la création d’un organisme garantissant des enquêtes impartiales, indépendantes et exhaustives aboutissant à un traitement qui ne soit pas préférentiel au prétexte qu’on a à faire aux membres des forces de l’ordre.