La communication non violente

Une autre communication est-elle possible ?

Dans notre quotidien personnel comme professionnel, nous sommes fréquemment amenés à entrer dans une relation conflictuelle avec nos proches, nos collègues de travail ou le public que nous côtoyons. En réaction à l’agressivité qui ne manque pas de se déployer à cette occasion, nous sommes prompts à porter un jugement de valeur sur autrui et à le cataloguer, en le rendant responsable de nos heurts et malheurs. Une autre approche est pourtant possible qui permet de gérer les relations interpersonnelles d’une manière bien plus conforme au vivre ensemble.
 
La violence commence là où la parole s’arrête, affirme-t-on couramment. Il est vrai qu’il existe une contradiction radicale entre ces deux modes relationnels. Le premier désigne tout acte par lequel quelqu’un agit sur un autre ou le force à agir contre sa volonté. Le second, en s’adressant à l’autre, établit une communication qui le reconnaît dans sa différence. Si la violence est une réaction de confrontation brutale, la parole peut contribuer à différer et parfois à éviter le passage à l’acte violent. L’utilisation du langage comme fondement de la société est aussi ancienne que l’humanité. Dans un ouvrage récent (1), Philippe Breton explique que dans les sociétés primitives, la parole était un outil qu’on utilisait pour s’adresser tout autant aux objets, aux animaux et aux esprits qu’aux hommes. L’individu était le porte-parole ou l’interprète du discours de la communauté, de la tradition, d’un ordre qu’on pensait immuable.
 
 

L’éloge de la parole…

L’une des grandes évolutions du monde moderne, explique-t-il encore, est d’avoir placé la parole au centre, d’avoir fait des humains ses seuls destinataires et d’avoir permis à l’individu d’en devenir l’auteur. Trois innovations qui se concrétisent dans la démocratie (l’argumentation est devenu un idéal de la communication), dans l’émergence de l’individu (considéré comme sujet unique, doté d’une parole unique, enracinée dans une intériorité propre) et bien entendu dans le recul de la violence (la mise en scène publique de la parole a pour vocation de remplacer l’affrontement). La parole possède donc bien des vertus. Elle permet de se détacher de toute interprétation et se dégager de tout récit collectif : les mots ne sont plus soudés aux choses ni à celui qui parle. Ils deviennent un lieu de distance par rapport au monde. L’univers qu’ils traduisent est différent de l’univers ressenti. Ils permettent en outre de vivre dans le passé (par l’actualisation des ses souvenirs) et dans le futur (par l’anticipation de ses actions). Là où il y a parole, il y a progrès pour l’être humain, tant dans ses capacités à prendre en main son destin qu’à changer le monde. Loin d’être un simple outil fonctionnel, la parole est devenue une modalité de l’existence humaine : elle « contient potentiellement, depuis l’origine, la possibilité d’être au service de plus d’humanité, d’un lien social plus symétrique, plus respectueux de l’autre et plus doux à vivre » (1).
 
 

… et ses limites

Pour autant, le simple fait de parler ne constitue absolument pas une garantie de non-violence : il est des silencieux paisibles et des bavards capables d’une cruauté inouïe. La parole peut tout autant servir à s’exprimer, convaincre et informer (ce sont même là ses trois formes : expressive, argumentative et informative) qu’à mentir, manipuler ou désinformer. Elle peut aussi être porteuse de haine et inciter, sinon déclencher la violence. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler du rôle joué au Rwanda par la Radio-Télévision des Milles Collines qui eut un rôle essentiel dans le génocide perpétré en 1994 par le hutus. C’est bien la parole qui propagea alors sur les ondes des appels à la haine raciale, puis au massacre : «  Le peuple doit apporter machettes, lances, flèches, houes, pelles, râteaux, clous, bâtons, fers électriques, fils de fers barbelés, pierres, et dans l’amour, dans l’ordre, chers auditeurs, pour tuer les tutsis rwandais »  pouvait-on entendre alors. La radio n’hésita pas à prodiguer des conseils de méthode : « coupez aux articulations » ou « n'oubliez pas les bébés. » La parole n’est pas en elle-même salvatrice. Simplement, elle donne une chance à deux intelligences d’en venir aux mots plutôt qu’aux mains. Le pouvoir de la parole est justement de permettre de s’opposer à la parole du pouvoir. Si elle est forte, ce n’est pas en tant que telle, mais au travers du couple qu’elle forme avec celui qui la reçoit. D’où l’importance de d’apprendre à l’utiliser avec pertinence.
 
 

Rompre avec nos vieilles habitudes

Jacques Salomé est l’un de ceux qui rêvent qu'un jour la communication puisse être enseignée à l'école comme une matière reconnue à part entière. Psychosociologue et fondateur du Centre de formation aux relations humaines qui a vu passer 40.000 stagiaires, il a rédigé une quarantaine d’ouvrages traduits pour certains, en dix-sept langues. Son enseignement s’appuie sur ce qu’il a lui-même vécu  au préalable : « j’ai été pendant longtemps un infirme de la communication. Je savais beaucoup de choses, mais je sentais peu de choses » (2). Ce qu’il dénonce, c’est le mode relationnel qui semble la base naturelle et spontanée de tout un chacun : le système S.A.P.P.E. (pour Sourd/Aveugle/ Pernicieux/Pervers/Energétivore). Cela commence par cette habitude des injonctions qui consiste à parler sur l’autre en lieu et place de parler à l’autre : tu dois faire ceci, tu ne dois pas faire cela, tu dois être comme ceci, tu ne dois pas être comme cela. C’est l’abus de la relation klaxonne (tu, tu, tu ...) qui se résume à la volonté de vouloir dicter aux autres ce qu’ils doivent ressentir au lieu de chercher à reconnaître et à respecter ce qu’il ressentent (et qui leur appartient). Cela continue par l’attitude de dévalorisation, largement partagée et qui se manifeste par l’habitude de percevoir la bouteille à moitié vide plutôt qu’à moitié pleine. On voit chez l’autre surtout ce qui ne va pas bien, bien trop rarement ce qui va bien. « J’aurais tant aimé que mon instituteur remarque que sur 100 mots de ma dictée, j’en avais orthographiés correctement 95, au lieu de me donner un zéro à cause des fautes sur les 5 mots restants » explique Jacques Salomé.
 
 

S’écouter pour mieux s’entendre

Et puis, il y a la culpabilisation, cette manie qui nous pousse à rendre l’autre responsable de ce que l’on vit. Tout au contraire, Jacques Salomé nous invite  à inscrire sur le fronton de notre existence en lettre majuscule : « je suis responsable de mes sentiments et de ce que j’éprouve. » Enfin, dernière dérive qui contribue à altérer nos relations avec les autres, cette volonté de maintenir des rapports de domination, l’un cherchant imposer, l’autre, la plupart du temps, entretenant sa propre soumission. Le résultat de ce système se résume au principe d’incommunicabilité.  Inverser la tendance n’est pas utopique. Mais, pour y arriver, il faut néanmoins s’imprégner d’autres mécanismes de communication. Il convient par exemple de commencer par bien distinguer entre les faits (tels qu’ils se produisent) et les mythologies (croyances, filtres interprétatifs de chacun au travers desquels on les perçoit). Il serait tout aussi intéressant de savoir différencier le ressenti individuel (perception que l’on reçoit) du ressentiment (charge émotionnelle réactivée à un moment donné). Si déjà on pouvait bien repérer chacune de ces instances, une hygiène relationnelle pourrait alors s’instaurer. On ne confondrait plus sentiment et relation. Tout au contraire, on saurait accompagner nos émotions et reconnaître l’autre et son propre ressenti. On éviterait les jugements de valeur et on ne dicterait plus nos certitudes et nos croyances.  Tout au contraire, on proposerait sans imposer, témoignerait sans convaincre et influencerait sans soumettre. On éviterait de polluer la relation en instaurant une cohérence relationnelle en sachant demander et refuser, donner et recevoir.
 
 

La méthode E.S.P.E.R.E ;

Jacques Salomé, friand de formules et de jeux de mots, résume sa méthode par le sigle ESPERE (pour Energie Spécifique Pour une Ecologie Relationnelle Essentielle). Elle consiste à répondre aux cinq besoins relationnels qu’il désigne comme fondamentaux : besoins de se dire, d’être entendu, d’être reconnu tel qu’on est (et non tel qu’on souhaiterait que l’on soit), d’être valorisé, d’évoluer et de rêver. Le point commun de ces besoins, c’est bien la nécessité du respect de l’autre dans ce qu’il ressent. L’important n’est pas tant ce qui se passe que la façon dont cela est perçu. « Dans une relation, nous sommes toujours trois ». Il y a soi et il y a l’autre, chacun tenant un bout de cette relation. Mais, pour Jacques Salomé, cette dernière existe bien d’une façon autonome. C’est bien la confusion entre ces trois parties qui explique l’état de guerre qui oppose si souvent les individus entre eux : chacun a le droit de disposer d’une aspiration qui lui est propre mais pas de vouloir régenter celle de l’autre. C’est la différence entre reconnaître le désir de l’autre et imposer ses désirs à l’autre. Autre postulat, celui qui répartit la communication humaine en quatre fonctions, qui, dans l’idéal devraient s’équilibrer : demander/donner/recevoir/refuser. Chacun doit pouvoir exister dans ces différents domaines, tout déséquilibre étant la marque d’un dysfonctionnement de la relation. Voilà, cela semble simple en apparence, voire simpliste. Et pourtant, ces principes peuvent apparaître comme fondateurs d’une meilleure compréhension entre les membres d’une même société qui se côtoient au quotidien en ayant tendance le plus souvent à s’opposer et à s’ignorer. Il suffit simplement pour en être convaincus d’essayer !
 
 

La communication non violente

C’est ce pensent aussi les partisans de la communication non violente. Son promoteur, Marshall Rosenberg explique (3) que face à ce qu’il perçoit comme insécurisant, l’être humain a tendance à réagir le plus souvent de deux façons : par l’agressivité (parce qu’il se défend ou se rebelle) ou par la fermeture et la soumission (parce qu’il a peur et cherche à se préserver ou à nier ce qui l’effraie). Certes, l’agressivité libère et procure un soulagement à court terme. Quant à la fermeture, elle donne provisoirement l’idée qu’on est à l’abri. Ce sont là des comportements de protection. Mais la satisfaction que l’on pourra en tirer n’égalera jamais celle que nous éprouvons lorsque, de notre plein gré, nous collaborons avec d’autres ou faisons plaisir à quelqu’un. Toujours selon Marshall Rosenberg, il est dans notre nature profonde d’aimer cela par-dessus tout. S’il existe de multiples façons de favoriser l’émergence du goût pour la coopération chez l’être humain, la spécificité de la Communication non violente est d’utiliser, pour ce faire, le langage. Par une attention portée aux mots et à ce qu’ils cachent ou révèlent, se développe en nous une conscience des choix qui sont les nôtres face à ce qui nous arrive. Le simple fait de chercher à comprendre la vraie motivation de la personne qui, en apparence, nous attaque, contribue à nous rendre moins vulnérable à ce qui était censé nous atteindre. Ainsi, nous pouvons créer un espace où la rencontre demeure possible.
 
 

Partir de besoins inassouvis

Si l’objectif est bien de mettre un terme à la croyance selon laquelle ce serait l’autre qui serait à l’origine des sentiments de colère que nous éprouvons, il ne faut pas confondre la cause et l’élément déclenchant. Ce n’est pas l’attitude d’autrui qui provoque notre propre réaction, mais un besoin non assouvi. Notre culture ne nous a jamais appris à identifier ces désirs qui sont au fond de nous et qu’il est au contraire de bon ton de mettre à distance, parce que jugés malsains ou malvenus. Or, ce sont justement ces besoins que la communication non violente nous propose de sonder et d’identifier pour mieux les gérer et tenter de les satisfaire. Mais cette démarche ne se limite pas à s’écouter soi-même. Elle implique aussi de se mettre à l’écoute de l’autre. Trop souvent, dans l’échange verbal, on se laisse aller à donner des conseils, rassurer ou exposer son opinion ou sentiment. Bien différente est l’empathie qui permet, en écartant tout préjugé et toute tentative d’enfermer dans un moule, à être présent à l’autre et à ce qu’il éprouve. Apprendre à traduire nos jugements en sentiments et en besoins : tel est donc le message de la communication non violente qui cherche à créer un courant de respect et de générosité réciproques.
 
 

Le cheminement de la C.N.V.

La méthode proposée par Marshall Rosenberg tient en quatre étapes. Il s’agit tout d’abord de bien séparer l’observation de l’évaluation, en essayant d’objectiver les constats effectués et de comprendre la situation, en se passant de tout jugement ou de toute évaluation ( qu'est-ce qui chez l'autre contribue à mon bien-être ou au contraire à mon agacement, voire mon agressivité ?).  Ensuite, il nous faut identifier les sentiments qu'éveille la situation (en les différenciant de nos interprétations et de nos jugements), en sachant exprimer ce que nous avons ressenti, à cette occasion (Suis-je en ce moment joyeux, triste, fâché, etc. ?). Ce n’est guère facile, tant nous craignons que les fragilités ainsi exposées soient utilisées contre nous. Troisième phase : identifier les besoins liés à ces sentiments (aspirations profondes, motivations, etc.). La nécessité de préciser les besoins insatisfaits à l’origine de nos contrariétés. Ce n’est qu’après avoir cheminé à travers toutes ces étapes, que nous pourrons formuler une demande en vue de satisfaire ces besoins (présentée de façon positive, concrète et réalisable). Cette démarche, en partant de ce que chacun ressent au fond de lui même permet d’apporter une réponse qui puisse enfin correspondre véritablement aux fondements du conflit. Nous essayons tous de satisfaire nos besoins. Nous nous portons mieux lorsque nous savons répondre à nos besoins dans un esprit de coopération plutôt que d’une manière agressive. Chacun de nous a des ressources personnelles remarquables s’il reçoit la compréhension bienveillante qui lui permet de se mettre en lien avec celles-ci. Une des expériences qui nous comble le plus est de participer au bien-être d’autrui et au nôtre. Lorsque nous vivons de tels moments, nous avons davantage le sentiment que ce que nous faisons a du sens et notre estime de nous s’accroît.
Les démonstrations de Jacques Salomé que de Marshall Rosenberg ont la même particularité : s’attaquer de front aux modes relationnels les plus courants. Chacun(e) d’entre nous a pu se retrouver dans tout ou partie des descriptions faites ici quant aux dialogues dans lesquels nous sommes fréquemment engagés. Changer les choses est compliqué, car il faut redresser bien des mauvaises habitudes acquises tout au long de notre enfance, mais aussi dans le quotidien de notre vie d’adulte. Mais les résultats que l’on peut en attendre sont tellement prometteurs et les solutions proposées sont finalement si simples … que rien, absolument rien ne nous empêche d’essayer, sauf à se satisfaire de l’état actuel des relations humaines.
 

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation  ■ n°70 ■ juin 2006

 

(1) « Eloge de la parole » Philippe Breton, La découverte, 2003
(2) Conférence tenue en mars 2000, à Saint Nazaire
(3) « Les mots sont des fenêtres : introduction à la communication non-violente » Marshall B. Rosenberg, La découverte, 2005

 

 
Par où commencer ?
« La non violence consiste à faire émerger ce qu’il y a de positif en nous. Laissons-nous envahir par l’amour, le respect, la compréhension, l’appréciation, la bienveillance et l’attention envers les autres, plutôt que par les comportements égocentriques, égoïstes, avides, haineux, pleins de préjugés, de suspicion et d’agressivité qui dominent la plupart du temps notre pensée. Nous entendons souvent les gens dire « ce monde est sans pitié et si l’on veut survivre, il faut devenir impitoyable aussi » Permettez moi d’être en désaccord avec cette affirmation. Ce monde est ce que nous en avons fait. S’il est sans pitié aujourd’hui, c’est parce que nous l’avons rendu impitoyable par nos comportements. Nous ne pouvons changer le monde que si nous changeons nous même, et cela commence par notre langage et notre façon de communiquer. »
Arun Gandhi, fondateur et président du M. K. Ghandi Intitute for Nonviolence

         
Ecouter avec empathie
« L’empathie est une compréhension empreinte de respect de ce que les autres vivent qui est avant tout fondée sur la présence : nous sommes pleinement présent à ce qu’ils sont et à ce qu’il éprouvent. Trop souvent, nous avons tendance à nous laisser aller à donner des conseils ou à rassurer ainsi qu’à exposer notre propre opinion ou nos sentiments. Dans la relation à l’autre, il n’y a d’empathie, qu’à partir du moment où nous parvenons à écarter tous préjugés et jugements à son égard et que nous laissons la possibilité de s’exprimer avant  de porter notre attention sur la recherche de solutions ou sur sa demande de réconfort. »
 Marshall B. Rosenberg
 

Etre écouté avec empathie
« Lorsque quelqu’un vous entend vraiment sans vous juger, sans essayer de vous prendre en charge ou de vous enfermer dans un moule, cela fait un bien incroyable … A partir du moment où j’ai été écouté et entendu, je parviens à percevoir mon univers sous un jour nouveau et à aller de l’avant. Il est étonnant de voir à quel point tout ce qui semblait insoluble trouve une issue dès lors que quelqu’un écoute. A quel point ce qui semblait irrémédiablement confus se dénoue de façon relativement claire lorsque l’on est entendu »
Carl Rogers

 


Fiche n° 1 : S’intéresser aux  communications non verbales de l’enfant

Si les bébés et les jeunes enfants n’ont pas beaucoup de mots pour parler, ils ont beaucoup de langages pour se dire.  On peut distinguer chez eux, cinq types de langages. L’un des premiers est l’expression gestuelle. Ce sont ces signaux produits en permanence par le corps dans ses échanges avec l’environnement. Le regard, le sourire, la respiration, les tensions,  le rythme, l’énergie tout autant que les silences sont autant de messages le plus souvent difficilement contrôlés par l’émetteur mais très vite interprétés par le récepteur et qui ont autant sinon plus de signification qu’une affirmation verbale. Puis viennent les passages à l’acte qui constituent de brutales irruptions dans la réalité  comme autant de décharges agressives liées à une trop grande angoisse, à un refus insupportable ou à un conflit. Que ces actes se manifestent sous forme d’auto-agression ou d’agression dirigée vers autrui, ils ne sont ni spontanés, ni gratuits et doivent être interprétés pour ce qu ’ils sont : la manifestation de l’absence de médiatisation par la parole ou le symbolique. On peut aussi s’intéresser aux rituels innombrables mis en place par les enfants pour apprivoiser le monde extérieur et tenter de l’intégrer: « doudou » au moment de l’endormissement, petits tas faits avec la nourriture dans l’assiette, façons de marcher sur le bord du trottoir sans mettre les pieds sur l’arête ou l’interstice.  La somatisation prend une place toute particulière: ce qui ne se dit pas en MOTS va se manifester sous la forme de MAUX. Le corps est un puissant émetteur de messages qui va exprimer les souffrances, les conflits les interrogations et les non-dits. Répondre à cette somatisation en cherchant les causes et en médicalisant, c’est répondre de travers et rater le sens de ce qui se dit. Il faut au contraire apprendre à l’enfant à mettre des mots sur son vécu et lui faciliter ainsi l’accès à la symbolisation. Dernière manifestation de langage non verbal : la symbolisation. L’enfant ne perçoit dans la réalité qu’une infinie partie à la fois morcelée et discontinue. C’est en grande partie grâce au jeu qu’il va se relier  au monde qui l’entoure en lui permettant d’expérimenter l’éventail des possibles et de s’exercer à la maîtrise de son environnement. Tous ces supports doivent être perçus et interprétés au-delà de leur strict expression: il convient alors de répondre plus à ce qui se cache derrière qu’à la simple partie visible de l’iceberg.

D’après « Papa, Maman, écoutez-moi vraiment/ Pour comprendre les différents langages de l’enfant » Jacques Salomé , Albin Michel, 1989

 

 


Fiche n° 2 : Quand je te demande de m'écouter !

Quand je te demande de m’écouter et que tu commences à me donner des conseils, je ne me sens pas entendu.

Quand je te demande de m’écouter et que tu me poses des questions, quand tu argumentes, quand tu tentes de m’expliquer ce que je ressens ou ne devrais pas ressentir, je me sens agressé.
Quand je te demande de m’écouter et que tu t’empares de ce que je dis pour tenter de résoudre ce que tu crois être mon problème, aussi étrange que cela puisse paraître, je me sens parfois plus en perdition.

Si tu fais pour moi, tu contribues à ma peur, tu accentues mon inadéquation et peut-être renforces-tu ma dépendance.

Quand je te demande ton écoute, je te demande d’être là, au présent, dans cet instant si fragile où je me cherche dans une parole parfois maladroite, inquiétante, injuste ou chaotique. J’ai besoin de ton oreille, de ta tolérance, de ta patience pour me dire au plus difficile comme au plus léger.

Oui, simplement m’écouter… sans excusation, ni accusation, sans dépossession de ma parole, sans tentative d’appropriation de ce que je te dis.

Écoute, écoute-moi quelquefois !

Tout ce que je te demande, c’est de m’écouter. Au plus proche de moi. Simplement accueillir ce que je tente de te dire, ce que j’essaie de me dire, car c’est cela le plus difficile.
Ne m’interromps pas dans mon murmure, n’aies pas peur de mes tâtonnements et de mes imprécations. Mes contradictions comme mes accusations, aussi injustes soient-elles, sont importantes pour moi.

Je ne me sers pas de toi, mais c’est vrai, j’ai besoin de toi à ce moment-là.
Par ton écoute, je tente de dire ma différence, j’essaie de me faire entendre surtout de moi-même. J’accède ainsi à une parole propre, à une parole mienne, celle dont j’ai été longtemps dépossédé.
Oh non ! Je n’ai pas besoin de conseils ou de réassurances dans ces moments-là ! Je peux agir par moi-même et aussi me tromper. Je ne suis pas impuissant, parfois démuni, découragé, hésitant, pas toujours impotent.

Si tu veux faire pour moi, tu contribues à ma peur, tu accentues mon inadéquation et peut-être renforces-tu ma dépendance.

Quand je me sens écouté, je peux enfin m’entendre.

Quand je me sens écouté, je peux entrer en reliance. Établir des ponts, des passerelles, certes, incertains et fragiles entre mon histoire et mes histoires, mais j’avance.
Je peux relier des événements, articuler entre elles des situations, donner du sens à des rencontres ou simplement accepter mes émotions. Dans la trame de mes interrogations, tisser ainsi l’écoute de ma vie.

Oui, ton écoute peut être passionnante.

S’il te plaît, écoute-moi et entends-moi.

Et, si tu veux parler à ton tour, attends juste un instant, que je puisse terminer et je t’écouterai à mon tour, mieux, surtout si je me suis senti entendu dans cet espace de moi, plus ouvert à toi.

Jacques Salomé

 


Fiche n°3 L'objectif de la CNV selon Marshall Rosenberg :

Exprimer avec clarté ce qui se passe en moi sans faire de reproche ni de jugement

  1. les observations de ce qui contribue ou non à mon bien-être
  2. Comment je me sens en relation avec ces actions.
  3. les besoins qui sont à l'origine de mes sentiments

"Lorsque je vois (entends)...je me sens...parce que j'ai besoin..."

Exprimer mes demandes clairement et sans qu'il y ait d'exigence

  1. les actions concrètes que je voudrais voir entreprises

"et j'aimerais que tu.../que vous..."

Recevoir avec empathie ce qui se passe en l'autre sans entendre critique ni reproche

1. Les observations de ce qui contribue ou non à son bien-être
2. Comment elle/il se sent en relation avec ces actions
3. Les besoins qui sont à la source de ses sentiments

"Lorsque tu vois (entends)... est-ce que tu te sens...parce que tu as besoin... "

Recevoir avec empathie les demandes de l'autre sans entendre la moindre exigence

  1. Les actions concrètes qu'elle/il voudrait voir entreprises

"et souhaiterais-tu que je...?"

 © 1966 Marshall B. Rosenberg Tous droits réservés

 


Fiche n°4 : un exemple de gestion de conflit en CVL par la communication non violente

Michel, l’animateur sent sa colère monter. Le groupe doit repartir. Le car est en train de faire tourner son moteur. Et il manque Mathias et Farid qui ont demandé de pouvoir aller acheter un souvenir au village. Ils s’étaient engagés à revenir dans le quart d’heure. Cela fait une heure qu’ils auraient dû être là. Enfin, les voilà. Michel explose : « Non, mais vous avez vu à quelle heure vous arrivez ? On ne peut vraiment pas vous faire confiance. Vous ne respectez rien. Ni vos engagements, ni le groupe qui vous attend depuis une heure. » « Ca va, tu vas pas nous gaver pour un peu de retard. On n’arrivait pas à se décider sur ce qu’on voulait acheter » répond Mathias. « Montez dans ce car et tenez-vous tranquille. On règlera ça plus tard. Mais ça ne se passera pas comme cela ! » leur réplique Michel. Cette scène classique d’un centre de vacances et de loisirs pourrait-elle se dérouler autrement, si elle était gérée par la méthode de la communication non violente ?

1. Observation «Nous avions rendez-vous ici il y a une heure, le car vous attend pour partir » Il convient ici de faire très attention à la communication non verbale (soupirs, intonation de voix), afin que, dans l'énonciation, on reste le plus possible collé à la réalité.

2. Sentiment « Je suis en colère de vous avoir attendu, car…», « je suis déçu de votre attitude, car … », « j’étais inquiet, car … » Commencer la phrase par 'Je' permet de prendre la responsabilité de ses sentiments et de montrer que l’on en est responsable. En disant plutôt « je me sens » plutôt que « je sens »,  on est plus sûr de ne pas mêler l'expression des sentiments avec des jugements de valeur. Il est alors possible d’exprimer toutes ses insatisfactions : les reproches sont alors reliés à ce qu’on ressent et non à un procès d’intention.

3. Besoin «… j'ai à coeur de vous faire confiance (il y en a peut-être d'autres : être garant du fonctionnement du groupe, respecter le contrat de l’autocariste qui doit partir à une heure précise, être rassuré sur un éventuel accident…)» Etre à l'écoute du besoin/des besoins qui est/sont à l'origine du sentiment que nous éprouvons.

4. Demande « La prochaine fois que vous serez dans une telle situation, l’un d’entre vous peut-il venir me prévenir soit en me contactant sur mon portable, soit en se déplaçant ? » ou « pouvez-vous tenir compte du groupe qui vous attend ? »  Conclure par une demande claire, concrète, ouverte (réponse : "oui/non"), réaliste, réalisable et qui laisse le choix. Pour énoncer ce que nous attendons vraiment ... on peut se poser la question : « Qu'est-ce que j'ai envie que la personne fasse pour contribuer à ce que mon besoin soit satisfait? »

 

A lire interview : Wilson Geneviève - Communication non-violente

 

Bibliographie
« Heureux qui communique/ Pour oser se dire et être entendu » Jacques Salomé, Albin Michel, 1994
L’auteur présente la communication comme une sève fertile qui circule dans les relations humaines. Pourtant, de nombreux disfonctionnements et blocages provoquent une dévitalisation et une déperdition aboutissant à nombre de souffrances et de peurs profondes. Cela provoque à la fois compensation et détresse. Compensation tout d’abord dans la fuite en avant  dans l’agir tant au niveau professionnel que militant (syndicaliste, associatif ou politique). La détresse ensuite qui se manifeste de diverses manières: le culte du paraître, le besoin effréné de loisirs et de voyages lointains et inaccessibles, la surconsommation, l’absorption massive de médicaments. Le déficit de communication transformerait ainsi la personne humaine en un être infirme relationnel, inadapté dans le partage et handicapé dans la relation proche. Mais comment donc permettre au relationnel de reprendre le dessus sur le réactionnel, l’harmonie sur l’incompréhension et l’intolérance, la convivialité sur les frustrations et les incompréhensions ? Jacques SALOME propose d’instaurer une véritable « écologie relationnelle » qui permettrait d’utiliser sainement les signes verbaux et non-verbaux, infra-verbaux et ultra-verbaux, afin d’établir des échanges qui soient significatifs et valorisants».

« Les mots sont des fenêtres : introduction à la communication non-violente » Marshall B. Rosenberg, La découverte, 2005
La plupart d'entre nous avons été éduqués dans un esprit de compétition, de jugement, d'exigence et de pensée de ce qui est " bon " ou " mauvais ". Au mieux, ces conditionnements peuvent conduire à une mauvaise compréhension des autres, au pire, ils provoquent colère ou frustration, et peuvent conduire à la violence. Une communication de qualité entre soi et les autres est aujourd'hui une des compétences les plus précieuses. Au travers d’exemples,  d’exercices, de récits et d’illustrations issus de son expérience et des formations qu’il dispense, l’auteur propose une méthode qui mérite qu’on s’y attarde quelque peu. Par un processus en quatre points, Marshall Rosenberg met ici à notre disposition un outil très simple dans son principe, mais extrêmement puissant, pour améliorer radicalement et rendre vraiment authentique notre relation aux autres. Ce n’est guère facile, tant nous craignons que nos fragilités soient utilisées contre nous. Nous avons tellement l’habitude de répondre selon le proverbe « la meilleure défense c’est l’attaque ». Mais, c’est la voie qui doit nous apprendre à manifester une compréhension respectueuse à tout message reçu, à briser les schémas de pensée qui mènent à la colère et à la déprime, à dire ce que nous désirons sans susciter d'hostilité, à communiquer en utilisant le pouvoir guérisseur de l'empathie. Bien plus qu'un processus, c'est un chemin de liberté, de cohérence et de lucidité qui nous est ici proposé.

« Développer des relations de coopération en milieu professionnel pour sortir des rapports de force » Michel Bernard, Chronique Sociale, 2005
Trop souvent, s’établit une relation qui tourne en rond autour de l’accusation de l’un et de la justification de l’autre, qui polarise le débat autour de l’accord et du désaccord et qui répartit les interlocuteurs entre les rôles de victime et de bourreau, enfermant et phagocytent ainsi tout dialogue. Comment éviter ces pièges stériles et sortir des conditionnements qui induisent nos regards ? Par l’écoute de soi et des autres, le choix d’une stratégie d’action qui tienne compte des besoins de chacun, le renoncement aux jugements qui réduisent l’autre à des étiquettes et qui emprisonnent notre perception sont les démarches privilégiées par l’auteur. Il nous propose une procédure en trois étapes. Tout d’abord, établir le plus objectivement possible les faits constitutifs du différent. Approfondir ensuite, les termes du conflit en allant chercher les besoins insatisfaits ou en souffrance à l’origine des difficultés chez soi et chez l’autre. Enfin, après que dans le conflit, l’on soit passé de l’émotion, de l’étiquetage et du jugement négatif à la prise de conscience de la nécessité de prendre en compte les besoins de chacun, il est temps de formuler le problème. Cette façon de procéder peut permettre d’éviter le registre de la plainte ou celui de la violence qui ne font qu’exprimer des besoins non reconnus ou insatisfaits.
 
« Cessez d'être gentil soyez vrai : Être avec les autres en restant soi-même » Thomas d’Asembourg, éditions de l’homme, 2004
Nous sommes souvent plus habiles à dire leurs quatre vérités aux autres qu'à leur exprimer simplement la vérité de ce qui se passe en nous. Nous n'avons d'ailleurs pas appris à tenter de comprendre ce qui se passe en eux. Nous avons davantage appris à être complaisants, à porter un masque, à jouer un rôle. Nous avons pris l'habitude de dissimuler ce qui se passe en nous afin d'acheter la reconnaissance, l'intégration ou un confort apparent plutôt que de nous exprimer tels que nous sommes. Nous avons appris à nous couper de nous-même pour être avec les autres. La violence au quotidien s'enclenche par cette coupure : la non-écoute de soi mène tôt ou tard à la non-écoute de l'autre, le non-respect de soi mène tôt ou tard au non-respect de l'autre. Cessez d'être gentil, soyez vrai ! est un seau d'eau lancé pour nous réveiller de notre inconscience. Il y a urgence à être davantage conscients de notre manière de penser et d'agir. En illustrant ses propos d'exemples percutants, l'auteur explique comment notre tendance à ignorer ou à méconnaître nos propres besoins nous incite à nous faire violence et à reporter sur d'autres cette violence. Pour éviter de glisser dans une spirale d'incompréhension, il s'agit de reconnaître nos besoins et d'en prendre soin nous-même plutôt que de nous plaindre du fait que personne ne s'en occupe. Ce livre est une invitation à désamorcer la mécanique de la violence, là où elle s'enclenche toujours : dans la conscience et le coeur de chacun de nous.