Boubault Guy - Police

Guy Boubault est directeur du « Centre de ressources sur la gestion non violente des conflits » et journaliste de la revue bimestrielle « Non violence actualité ». Cette association assure l’édition et la diffusion de documentation destinée à développer la prévention des violences et l'éducation relationnelle au travers de réponses concrètes qui valorisent le respect de l'autre, la démocratie, la citoyenneté et l'apprentissage de la gestion des conflits.

JDA : où s’arrête la violence et où commence la non violence ?

Guy Boubault : pour moi, la violence désigne tout ce qui est atteinte à l’intégrité de la personne, que ce soit au niveau physique, moral ou psychologique. Elle se manifeste sous toutes les formes d’agression qui peuvent porter préjudice à l’autre, provoquant en contrepartie, par effet de spirale, des réactions elles-mêmes violentes. La non violence commence dès lors que l’on refuse cet engrenage, que l’on s’oppose aux comportements inducteurs de violence et qu’on leur préfère des approches alternatives privilégiant le règlement des problèmes avec les parties concernées, sans chercher à vouloir vaincre l’autre et gagner sur lui. C’est une manière de se comporter qui s’intègre dans un choix culturel et un mode de vie. La question de la violence et de la non-violence ne se limite pas à la dimension des relations internationales avec les guerre ou les luttes de libération nationale. Elle concerne aussi la vie de tous les jours. Historiquement, la non-violence a commencé à être pensée comme une alternative dans les luttes sociales et contre la guerre. Depuis une vingtaine d’années, nous sommes dans une recherche complémentaire sur son utilisation pour gérer les conflits quotidiens auxquels chacun est inévitablement confronté (tout le monde ne vit pas de grandes luttes historiques). Ces confrontions de proximité empêchent parfois littéralement de vivre et peuvent être vécues, toute proportion gardée, comme de véritables guerres. Mais, il ne faut pas non plus se contenter d’aborder la dimension individuelle. Les institutions jouent, elles aussi, un rôle essentiel : les structures vont être plus ou moins productrices de violence, selon qu’elles favorisent ou non, par exemple, le dialogue, la négociation ou la médiation. Cela ne signifie pas que, grâce à ces modalités d’intervention, les conflits vont disparaître, comme cela, par enchantement, mais que les garde-fous mis en place permettent de gérer plus sereinement les confrontations et d’aboutir à des solutions respectant chacune des parties en cause.


JDA : justement, l’être humain est-il condamné à toujours céder aux  pulsions violentes qui s’agitent au fond de lui ? Peut-il vraiment réussir à les dominer ?

Guy Boubault : Oui, dès lors que l’on prend les moyens de se former à d’autres comportements. A l’école d’abord, qui devrait développer une éducation à la gestion et à la régulation des conflits. Dans la société ensuite, qui doit mettre en place des structures démocratiques basées sur le respect, la justice, l’équité. C’est de cette manière que l’on peut non pas gommer les pulsions violentes, mais les contrôler, en se donnant un cadre de vie qui protège l’autre et qui nous protège nous même. La société s’est organisée, en se dotant de lois contraignantes qui limitent la liberté de chacun. C’est la seule façon qu’elle ait trouvée pour que ce ne soit pas une jungle qui donne raison au plus fort. Le meilleur exemple qui puisse être pris concerne les violences routières. Je peux avoir envie de conduire à ma propre vitesse, au-delà des limitations, mais le code commun m’impose de respecter des seuils maximums qui sont faits pour protéger l’autre. C’est toujours un peu difficile de se sentir en responsabilité à l’égard de toutes les règles qui nous sont imposées. Mais, c’est la garantie pour que chacun puisse vivre ensemble avec ses voisins, en se respectant mutuellement. Notre société est devenue très individualiste. Mais, il n’y a pas que l’individu qui compte : il y a aussi le citoyen qui doit assumer les règles communes et les conséquences de leur éventuelle transgression. Bien sûr, toutes les lois ne sont pas justes. Si ce n’est pas le cas, il faut s’engager dans une procédure individuelle et collective pour la changer : c’est cela la désobéissance civile ou l’objection de conscience revendiquées par les non violents. Mais ce n’est pas la situation la plus courante. Cela ne doit pas être un prétexte à rejeter la loi : il ne faut pas faire de l’exception, la règle.


JDA : certaines situations d’oppression nationale ont été renversées par la non-violence (Gandhi en Inde). Quasiment toutes les autres ne l’ont été que par la lutte armée (les luttes de libération nationales contre la colonisation, par exemple). N’est-ce pas la preuve du peu d’efficacité de la non-violence ?

Guy Boubault : Il est important de rappeler que la violence constitue la culture de base de nos sociétés. C’est, depuis des millénaires, la réponse quasiment systématique que l’humanité ait trouvée pour régler ses différents. Si l’on veut sortir de cette préhistoire, il faut adopter d’autres voies. Gandhi ou Martin Luther King ont montré qu’il était possible d’agir autrement. Mais ce sont là des réponses très récentes qui datent de moins d’un siècle. On en est au début d’une histoire nouvelle et les expérimentations sont effectivement peu nombreuses. C’est pourquoi, il semble difficile d’entrer dans une comptabilité comparative respective de ce qu’a permis la violence et de ce qu’a permis la non-violence, en terme d’émancipation et d’avancée sociale. Il faut regarder cela à l’échelle de la perspective historique et considérer que l’on est au départ d’une nouvelle façon de résoudre les conflits. Ce qui montre que les mentalités évoluent, c’est par exemple cette décision de l’ONU de décréter la période 2001/2010 comme la décennie pour la paix et la non-violence. On est à mi-chemin du parcours. Il y a déjà un certain nombre d’acquis comme cette nomination toujours par L’ONU d’un groupe d’experts internationaux chargé d’étudier des solutions pour régler des conflits internationaux par d’autres moyens que la violence (comment arrêter les guerres et en sortir en reconstruisant la réconciliation entre les peuples). Autre illustration, ce vote du Conseil de l’Europe en faveur d’une loi interdisant les violences envers les enfants, y compris dans la famille. La culture non-violente est donc bien en marche.

JDA : y a-t-il  des situations où l’utilisation de la violence s’avère indispensable : la non- violence peut-elle toujours tout résoudre ?

Guy Boubault : Avant de faire l’inventaire des exceptions pour lesquelles on ne pourrait pas utiliser la non violence, il me semble essentiel de construire d’abord la règle, en listant toutes les circonstances où elle est possible. Et je crois qu’on est loin d’en avoir fait le tour. On peut entamer de longs débats sur l’efficacité ou non face à des situations extrêmes. On peut aussi noter qu’il y a toujours eu des résistances non violentes, même si cela a souvent été très individuel, ponctuel et inorganisé. Il est plus intéressant de travailler à faire en sorte que ces réactions spontanées croissent et se développent. Pour y arriver, il faut de l’information et de la formation. On n’est pas d’emblée compétent pour vivre des relations sociales harmonieuses. A un moment donné, on ne va pas forcément bien s’y prendre pour faire face à un conflit et le moment d’après, ayant tiré les leçons, on y arrivera mieux. C’est un cheminement qui passe par tout un processus d’éducation qui commence par le petit enfant dans l’apprentissage relationnel avec sa famille et qui doit continuer tant à l’école que dans la gestion des relations sociales en général. C’est la condition à une vie régie par des règles non violentes.


JDA : face au monde actuel qui ne se distingue pas par une régression de la brutalité, l’éducation à la non-violence n’est-elle pas un combat perdu d’avance ?

Guy Boubault : Oui, la non violence est un combat. Non, il n’est pas perdu d’avance. On peut être impatient, c’est légitime et l’on peut surtout être déçu que cela n’avance pas suffisamment vite. Car, la culture de la violence est loin d’avoir disparu. Elle a malheureusement de beaux jours devant elle. Le combat pour la non violence démarre, mais il y a quand même déjà des résultats. On en trouve les traces un peu partout dans la société, comme par exemple avec l’émergence des différentes formes de médiation (familiale, scolaire, interculturelle …). Notre société évolue, d’une manière bien sûr trop lente, vers des rapports sociaux de plus en plus pacifiés, que ce soit au niveau personnel ou collectif, au niveau national qu’international. On commence à se rend compte que commencer par faire la guerre peut avoir des résultats désastreux. Les réflexions qui en découlent et qui tentent d’éviter d’en arriver à des conflits armés semblent aller dans le bon sens. Les opinions publiques évoluent aussi dans ce sens là. Dans un pays vieillissant comme la France, on se raccroche très vite aux réflexes sécuritaires, mais l’éducation à la paix progresse, malgré tout.

 

Contact : Non violence actualité BP 241 - 45202 Montargis cedex Tél. : 02 38 93 67 22 www.nonviolence-actualite.org

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°66 ■ fév 2006