Duplantier Gaëlle - Force de police 1

Gaëlle Duplantier est avocate au barreau d’Orléans. Elle est membre de la commission juridique d’Amnesty International. Elle a participé à la rédaction du rapport 2005 (1) qui dénonce les violences policières récurrentes dans notre pays de la part d’agents de la force publique bénéficiant d’une impunité tant de la part de leur hiérarchie que de la justice qui a instauré de fait un traitement préférentiel face aux transgressions de la loi.

Le recours à la force et à la contrainte, privilège accordé par la société à ses forces de police, peut-il être compatible avec le respect des droits de l’homme ?

Gaëlle Duplantier : Le recours à la force et à la contrainte n’est pas contraire à la liberté de chacun tant qu’il reste dans un cadre légal correspondant à des impératifs de sécurité publique et de maintien de l’ordre, notamment quand il s’agit de veiller à mettre fin aux infractions qui sont commises. Ce recours peut être compatible avec les droits de l’homme dès lors que les personnes qui sont investies du pouvoir de l’utiliser, en l’occurrence les forces de police et de gendarmerie, n’en abusent pas et restent dans le cadre fixé par la loi. Ainsi, s’ils peuvent procéder à une interpellation, même musclée, sur des personnes qui se rebellent ou commettent une infraction, ils doivent le faire d’une manière proportionnée au cadre et au contexte (c’est peut-être la même chose cadre et contexte) de la situation.

 

Existe-t-il à votre connaissance des pays qui ont su se doter de garanties permettant que leurs forces de police respectent les droits de l’homme ?

Gaëlle Duplantier : Le contrôle exercé sur le travail des forces de police est un peu partout assez opaque. Les garanties qui existent relèvent de la justice. C’est elle qui est chargée de sanctionner les dépassements des pouvoirs qui sont accordés. C’est ce qui se passe parfois en France, Amnesty International ayant noté dans son rapport que des forces de police avaient été sanctionnés pour avoir eu recours à la force dans des conditions totalement disproportionnées par rapport à l’infraction qui était reprochée à la personne arrêtée. En Grande Bretagne, des vidéos ont été mises en place dans les commissariats, ce qui permet de vérifier si les policiers ne commettent pas des violences illégitimes. Amnesty demande que la France se dote des mêmes dispositifs. Mais on se heurte d’abord à des problèmes budgétaires et aussi à l’hostilité de certains syndicats de policiers qui se montrent frileux, considérant qu’une telle mesure s’inscrit dans une suspicion de principe, comme si cela impliquait qu’Amnesty estime que les violences sont systématiques en garde-à-vue, ce qui n’est pas le cas. Simplement une seule violence commise est une violence de trop.

 

Justement, comment se situe la France au regard du respect des droits de l’homme par ses forces de police ?

Gaëlle Duplantier : La France s’est dotée d’une constitution qui respecte les libertés publiques et individuelles. Notre pays a aussi ratifié un certain nombre de conventions comme celles relatives aux droits de l’homme. C’est donc logiquement qu’ont été mises en place des commissions de contrôle, notamment pour la police une inspection générale des services, destinées à enquêter sur toute accusation portant sur un policier qui aurait dépassé le cadre de ses fonctions, en commettant des violences illégitimes. Il y existe donc bien des enquêtes. Mais, elles sont menées en interne. Et cela comporte deux risques : celui tout d’abord d’éventuelles connivences (il n’est jamais facile de mettre en accusation quelqu’un qui appartient au même corps professionnel) et celui du manque de transparence (on n’est pas toujours tenu au courant des résultats).

 

Ce que vous dénoncez est-il représentatif de la police : dans quelle proportion le retrouve-t-on ?

Gaëlle Duplantier : La difficulté, c’est qu’on n’est pas au courant de tout ce qui se passe. Pour autant, je suis convaincue que la majorité des forces de police et de gendarmerie fait très bien son travail. Tout en disant cela, j’affirme parallèlement que les dérapages ne sont pas admissibles. Les forces de l’ordre constituent un service public chargé de faire respecter la loi et il n’est pas acceptable qu’elles se permettent de commettre à leur tour des infractions à l’encontre de ceux à qui elles reprochent d’avoir transgressé la loi. Quand bien même il n’ y aurait qu’un dérapage par an, ce serait un de trop. On attend de ces professions qu’elles nous protègent et non qu’elles nous agressent et nous assaillent sous prétexte qu’elles viennent rétablir l’ordre. Les violences policières en France sont certes dans une proportion faible. Mais, elles existent. C’est ce que nous dénonçons dans notre rapport. De tels actes ne devraient pas se produire. Et quand ils ont malgré tout lieu, ils devraient être sanctionnés. Toute personne agressant un agent de la force publique fait l’objet d’une condamnation proportionnellement bien plus importante que dans le cas contraire.

 

Votre rapport fait peu de place aux 130 fonctionnaires de police tués en service entre 1989 et 1999. N’êtes-vous pas de partis pris ?

Gaëlle Duplantier : Nous reconnaissons que le métier d’agent de la force publique est dangereux. Si 130 fonctionnaires sont décédés, c’est énorme. Cela ne devrait pas exister non plus. Mais, il est abusif d’établir ainsi un parallèle. La profession de policier ou de gendarme comporte un risque inhérent à la fonction qui expose à des situations dangereuses. Pour le délinquant ou le délinquant présumé, ce n’est pas la même situation. Notre rapport évoque l’exemple de ce chauffeur de taxi interpellé qui est frappé par la police et qui en ressort avec des contusions importantes : je ne pense pas que cela fasse partie des risques du métier de chauffeur de taxi de subir de telles violences. Quand bien même, et ce n’est pas prouvé par la procédure, il aurait commis une infraction au code de la route !

 

Que pensez-vous de l’action de la commission nationale de déontologie de la sécurité ?

Gaëlle Duplantier  Cette commission a sorti un rapport en même temps qu’Amnesty. Elle fait un travail intéressant, disposant d’autres moyens d’investigation que notre association qui ne peut pas toujours enquêter en profondeur sur les cas qui lui sont soumis. C’est d’ailleurs pourquoi nous nous sommes limités dans notre rapport à 18 cas que nous avons suivis de A à Z, depuis le moment où nous avons été informés jusqu’au procès quand celui-ci a eu lieu. Cette commission a été instituée par l’Etat et est constituée de personnalités tout à fait respectables. Il est intéressant que se multiplient les instances chargées de se pencher sur les violences policières.

 

Quelles devraient être les trois premières mesures à prendre pour faire en sorte que la police respecte les droits de l’homme ?

Gaëlle Duplantier : Ce n’est pas parce que la police exerce un métier très difficile, confrontée fréquemment à la violence que cela justifie qu’elle réagisse elle aussi par des actes de violence. Il faut mettre en place une meilleure formation, beaucoup plus poussée en ce qui concerne les libertés publiques et individuelles. Il faudrait également accompagner les policiers travaillant notamment dans les quartiers difficiles, en prévoyant un suivi régulier avec des psychologues, ainsi qu’un soutien de la part de policiers plus aguerris. Ainsi, on pourrait plus facilement éviter des dérapages qui interviennent, parfois, par manque d’expérience.  Enfin, il faut créer un organisme indépendant chargé d’enquêter sur les faits de violence attribués à des forces de police, mais qui ait aussi le pouvoir d’ordonner l’ouverture d’une procédure judiciaire contre les agents mis en cause.

 

(1) « Pour une véritable justice. Mettre fin à l’impunité de fait des agents de la force publique dans les cas de coups de feu de morts en garde à vue, de torture et autres mauvais traitements » Amnesty International, France, 2005 

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal De l’Animation  ■ n°66 ■ fév 2006