Le partenariat

Le partenariat est-il l’avenir du travail social ?

On en parle beaucoup, on le pratique parfois, on l’ignore souvent, on ne l’exerce pas toujours bien. Le partenariat est à la fois un outil utile et craint, recommandé et abordé avec une certaine méfiance. Etat des lieux.

Décembre 2007, Guéret : une journée d’étude sur la réforme de la protection de l’enfance voit se côtoyer les professionnels du Conseil général, de la Caf, de la MSA, de la Dass, de la PJJ, du Tribunal pour enfants, de l’association éducative locale. Chacun s’y croise, comme il le fait régulièrement sur le marché ou en centre ville. Rien d’étonnant. Avec ses 123.000 habitants, le département n’est pas assez peuplé pour pouvoir se passer des forces de toutes les institutions présentes. Là où certaines régions n’ont guère le choix, comment réagissent celles qui, bien plus peuplées, ont acquis de vieilles habitudes de fonctionnement en huis clos, chacun ignorant superbement ce que fait l’autre ? Evoquer la nécessaire collaboration entre les professionnels de l’action sociale est devenu au cours des dernières années un leitmotiv, pour ne pas dire une litanie. Le partenariat est dans tous les discours. Sur le terrain, il se concrétise bien plus difficilement.

 

Evidence ou exception ?

Cette pratique est évidente et incontournable dans le monde de l’internat éducatif, là où le passage d’informations et de consignes entre l’équipe montante et l’équipe descendante est essentiel à la continuité du travail. Elle l’est beaucoup moins, dès lors où l’intervention est marquée au coin de l’action plus individualisé des professionnels agissant en milieu ouvert. La tradition héritée des trente glorieuses a magnifié la relation individuelle entre l’intervenant et l’usager. La pertinence d’une action commune, mutualisant différentes compétences n’a finalement commencé à s’imposer que très récemment. Si cela s’est réalisé, c’est sous l’effet de la nécessité. Plusieurs réalités concomitantes ont en effet contribué à convaincre de l’impossibilité de continuer à rester seul et de l’opportunité à adopter des démarches bien plus transversales. Ainsi, de l’émergence de nouvelles problématiques, telle la grande pauvreté, par exemple, face à laquelle chacun se sent impuissant isolé dans son coin ; mais aussi, le brouillage d’un dispositif d’action sociale devenu au fil des années de plus en plus spécialisé, de plus en plus complexe et de plus en plus indéchiffrable ; sans oublier le déploiement dans le secteur social de nouveaux métiers, avec comme conséquence induite, la dissolution des frontières professionnelles et le besoin de coordination. Bien sûr, ils ont toujours existé, ce carnet d’adresse, ce réseau personnel, cette collaboration fructueuse qui créent au cours des années un tissu relationnel sur lequel on peut s’appuyer. Mais ce dont il s’agit ici va bien au-delà du service complémentaire demandé au collègue.

 

Forces du partenariat…

Le partenariat n’est pas simplement la juxtaposition d’interventions (voire l’interview de Dominique Paturel), c’est le regroupement de professionnels partageant tous le même projet ciblé qui décident de mettre leur réflexion et leurs efforts en commun, pour mieux répondre aux problèmes d’un usager. On se lie pour se compléter, car on est convaincu que la problématique en cause dépasse de loin les capacités d’un seul professionnel. Pour qu’une telle démarche aboutisse, encore faut-il que les cultures institutionnelles et professionnelles s’y prêtent. Le pré requis, du côté des institutions, c’est le renoncement à vouloir tout contrôler et l’acceptation de voir les relations horizontales échapper aux subordinations hiérarchiques traditionnelles. Il y a là un difficile sacrifice : celui du pouvoir absolu et de la domination. On comprend que certains chefs aient du mal à lâcher leur pré carré.  Du côté des intervenants, la condition première, c’est l’abandon de toute quête de la bonne solution ou de la bonne méthode et le renoncement à vouloir convaincre l’autre de la validité de son point de vue. Travailler en partenariat implique la renonciation à toute volonté hégémonique ou vision dogmatique visant à imposer une approche dominante, au profit d’une concertation entre les différents angles de compréhension, à partir desquels on perçoit l’usager. Aider à rechercher une solution et à mettre en œuvre des propositions, ce n’est pas les imposer, mais balayer le champ des possibles, repérer les limites des interventions de chacun et s’enrichir des connaissances et des expériences de tous. Il s’agit donc avant tout d’accepter de placer ses propres pratiques professionnelles sous le regard critique et dans la conflictualité d’approches différentes. Convenons qu’il s’agit là d’une démarche pas toujours facile à engager tant à la base qu’au sommet.

 

… et faiblesses

Loin de nous, l’idée d’idéaliser le partenariat. Comme toute méthodologie d’action, il porte en lui, potentiellement, ses effets pervers. Cette coordination peut déboucher sur une forme abusive de contrôle social, faisant sortir l’usager de l’opacité qu’il peut légitimement revendiquer. L'article 9 du Code civil affirme que « chacun a droit au respect de sa vie privée. » Etaler les informations que l’on possède sur une famille pose le problème de son droit imprescriptible à ce qu’on ne sache pas tout d’elle et encore moins qu’on divulgue ce qu’on en sait (ou croit savoir) à son propos. C’est toute la question du partage de l’information entre professionnels et la nécessité impérative de se limiter à ce qui est strictement nécessaire à l’action commune. Autre risque possible, pour les usagers : la force acquise par le réseau des intervenants peut provoquer leur passivité et l’affaiblissement de leurs propres réseaux primaires (familiaux, amicaux, de voisinage …). Prendre des initiatives face à un professionnel isolé n’est déjà pas facile : celui-ci semble savoir plein de choses et disposer des bonnes solutions. La tentation est de se laisser porter par lui en faisant confiance à ce qu’il propose. C’est encore plus vrai face à un réseau de plusieurs professionnels. Ceux-ci peuvent apparaître tellement efficaces et complémentaires qu’on peut sans sourciller s’en remettre encore plus à eux et renoncer à se mobiliser. Mais, certaines fragilités constitutives du partenariat se retournent aussi parfois contre les professionnels eux-mêmes. On peut notamment évoquer la forte dépendance à un contexte donné. Il est tout d’abord marqué par une dimension largement informelle : il peut disparaître lorsque les liens qui le constituent cessent d’être activés. Les relations qu’il implique sont tout autant frappés de labilité : aucun engagement ne peut durablement lier les partenaires qui sont libres de les activer ou de les espacer. Enfin, ce qu’on remarque très souvent, c’est la forte personnalisation qui les caractérise : qu’une ou deux personnes qui prenaient une part active à son animation viennent à partir et il se délite. La question de la pérennisation du partenariat se pose, sans qu’aucune réponse véritable n’ait jamais pu être apportée. Ce qui est vivant à un moment périclite à un autre. Ce qui renaît parfois ne réapparaît jamais sous la même forme, ni avec la même intensité, ni la même implication. Ce qui fait en apparence la fragilité du partenariat fait aussi son authenticité et  sa légitimité. Cette forme d’organisation ne se plie ni à la contrainte, ni à la servilité. Sa dynamique tient tout entier dans l’équité réciproque et libre choix de celles et de ceux qui s’y inscrivent. Et la liberté donnée à chacun de cheminer de concert, si elle est justement le gage de la qualité et de l’efficacité de l’action partagée en commun, garantit en même temps, y dès qu’on s’engage la possibilité de la quitter à tout moment, interdisant dès lors toute contrainte à le faire.

 

 

Dynamiser un réseau de placement familial

Comment réussir à mutualiser des acteurs éparpillés et isolés de l’accueil familial tout en réactivant l’emploi rural ? Recette de l’expérience mayennaise qui a bien pris. 

C’est dès 1991 qu’a lieu, dans le cadre d’un Programme local pour l’enfance lancé par la Mutuelle Sociale Agricole, un premier recensement des ressources du département de la Mayenne, permettant d’élaborer un état des lieux du tissu économique rural. Ce qui apparaît alors, c’est que l’une des rares sources de création nette d’emplois se situe dans les services de proximité pouvant répondre aux besoins des populations. C’est le cas notamment de l’accueil familial qui concerne un certain nombre de conjoints d’exploitants agricoles : prise en charge familiale d’enfants ou de jeunes en difficultés sociales, mais aussi de personnes âgées, accueil thérapeutique d’une population porteuse de maladie psychique ou de handicap… Entre 1992 et 1995, des actions sont engagées par l’Association de formation pour le développement des initiatives au pays (l’AFoDIP) auprès tant des familles d’accueil rurales en activité que celles qui souhaiteraient les rejoindre. Il en ressort un sentiment fait à la fois d’isolement professionnel et personnel, mais aussi d’absence de reconnaissance. Le diagnostic qui s’ensuit fait état de la disparité des conditions de travail respectives, du déficit avéré face à la demande (nombre de demandes d’accueil ne se trouvent pas satisfait) et du potentiel de développement social local que constitue cette activité.

 

 

Promouvoir l’accueil familial

En 1996, l’AFoDIP répond à un appel à projet lancé par la Délégation aux implantations industrielles, une fondation issue d’EDF qui se propose de favoriser les actions de développement en milieu rural. Son dossier qui propose de dynamiser l’accueil familial est validé. Un comité de pilotage se réunit qui va regrouper d’un côté les institutionnels (la MSA, l’UDAF, la DDASS, le Conseil général, le Conseil régional, la direction départementale du travail de l’emploi et de la formation professionnelle, la direction départementale de la PJJ) et de l’autre les acteurs de l’accueil familial du département (Sauvegarde,  l’accueil familial thérapeutique de la pédopsychiatrie, l’ASE, l’accueil assuré par l’association Chanteclair, les Accueil familiaux spécialisés  de l’ADAPEI, et de l’APEI Nord Mayenne, l’association tutélaire des majeurs protégés ainsi que l’association des directeurs d’établissements sociaux et médico-sociaux TEAM). Etaient en outre présentes un certain nombre de familles d’accueil en exercice. Une si belle assemblée regroupant tant de monde portait en elle-même le risque de s’embourber ou de créer une superbe usine à gaz. Ces dérives seront finalement évitées. Un certain nombre de rencontres permette une connaissance mutuelle. Trois décisions sont prises : trois objectifs sont définis (promouvoir le placement familial, proposer une soutien aux familles d’accueil, structurer le métier), un comité technique est désigné pour mettre en œuvre de façon opérationnelle ces objectifs et un chargé de mission est recruté pour les appliquer (l’UDAF sera choisi comme maître d’ouvrage afin de permettre la création d’un emploi jeune).

 

Cheville ouvrière

Le rôle de ce permanent va être essentiel. David Motais présente son état d’esprit à son arrivée sur ce poste : « je n’avais pas l’intention de dire aux différents acteurs comment il fallait qu’ils fassent. Je me considérais bien plus comme un tiers qui devait être à la fois en situation, à disposition et fédérateur ». Sachant maintenir un juste équilibre entre les exigences institutionnelles et les besoins émergeant du terrain, il réussit à constituer un véritable maillage et à articuler les différents acteurs en présence qui jusque là agissaient chacun dans son coin. Pour autant, la logique du réseau fut préservée : chacun y venait avec ses propres représentations, mais était libre de ses décisions. Les résultats se firent très vite sentir. Le regard sur l’autre évolua. « On a très vite bénéficié d’une meilleure relation. On n’était plus sur la défensive. On partageait nos réalités et problèmes, avec respect et écoute. Les échanges permettaient de vivre dans une ambiance convivialité, rompant avec la concurrence, la compétition, le jugement qu’on avait peu ou prou connu auparavant » confirme Jean Claude Depagne, Directeur du CAFS de l’APEI Nord Mayenne. Les accueils sauvages purent être régularisés, un tarif unique d’accueil fut bientôt expérimenté et généralisé, l’accueil temporaire des majeurs put être développé, une campagne de recrutement permit l’agrément de 40 familles supplémentaires. Le 26 septembre 2006, les équipes éducatives et les familles d’accueil se retrouvèrent à plus de 300, sur une même journée de formation autour du nouveau statut des assistantes familiales. Un tel succès ne pouvait que provoquer une volonté de continuer et de pérenniser ces acquis. Des journées d’étude furent montées courant 2007 et début 2008. Pour les 270 familles d’accueil (dont trois quart dépendent de l’ASE) de ce département fort de 300.000 habitants, il y a clairement un avant et un après la constitution de ce réseau. Cela vient encore de se concrétiser récemment par l’obtention d’une vieille revendication : la mise en place de groupes de parole.

 

 

Des RADARS pour les tutelles

Seul, on n’y arrive pas toujours. A plusieurs on limite, sans les éliminer, les risques de blocage. Illustration en Vendée.

Dans beaucoup de départements, les associations travaillant sur un même secteur se connaissent, se côtoient, mais ne se mélangent guère. L’histoire et la culture spécifiques à chaque institution, l’instinct de territoire, un sentiment de compétition plus ou moins diffus … expliquent ce chacun pour soi. Pourtant, ces mécanismes n’ont rien d’inéluctables. A preuve, l’expérience de partenariat tout à fait originale vécue en Vendée, depuis 2002.

 

Etat des lieux

Elles sont trois associations à se partager la prise en charge des tutelles sur le département. La première a commencé à agir dès 1945 : c’est l’UDAF qui s’est fortement structurée autour de la gestion des patrimoines, grâce à des services juridique et comptabilité particulièrement performants. Seconde association à apparaître chronologiquement : la Sauvegarde, née en 1958 à la demande de l’UDAF, de la CAF, de la MSA et des juges des enfants qui souhaitaient spécialiser la prise en charge des tutelles aux prestations enfants (gestion financière des allocations familiales). Spécificité locale à cette Sauvegarde: ce n’est qu’en 1963 que ses attributions s’étendront aux AEMO judiciaires, administratives, aux investigations d’orientation éducatives, enquêtes sociales, médiations ... Partout ailleurs, c’est plutôt dans le sens inverse que cela s’est passé. Troisième intervenant : l’Association pour la réadaptation et l’intégration par l’accompagnement (ARIA 85), produit de la fusion en 2002 de deux associations distinctes (APAJH et ASVAS). Grosse institution regroupant 20 établissements et services, 400 salariés, 2 000 personnes accompagnées : une organisation en 3 pôles d’activités (médico-sociales enfance handicapée, sanitaires adultes malades psychiques et action sociale et insertion adultes handicapés)…et 700 dossiers de majeurs protégés. Trois associations qui auraient tout à fait pu cheminer parallèlement, en continuant à ne pas trop se rencontrer. Une personnalité charismatique a permis de changer la donne.

 

S’organiser en réseaux

Jean-Jacques Geoffroy, directeur du service des tutelles de la Sauvegarde, connu et apprécié dans le département entretient alors d’excellentes relations avec les directeurs des deux autres associations. Ensemble, ils décident de répondre à l’appel à projet lancé en 2000 par la fondation de France : « respect du droit au choix, droit au risque et responsabilité des personnes âgées prises en charge à domicile ». Même si beaucoup de mesures de tutelle se déroulent sans difficultés majeures, il en est qui se heurtent à des complications qui peuvent très vite apparaître comme non maîtrisables : usagers présentant des comportements dérangeants, asociaux, violents, dangereux pour eux-mêmes, comme pour les autres. Chacun essaie d’agir au mieux. Mais, isolé dans son coin, il peut se sentir impuissant à faire avancer une situation bloquée. Le projet sur lequel se mettent à travailler les trois associations, c’est la mise en réseau des intervenants, pour tenter de faire face ensemble aux situations les plus complexes. Cette initiative obtiendra en janvier 2002 le grand prix national de la Fondation de France. S’ensuit la signature d’une chartre inter associative où chacun s’engage à travailler dans le long terme, dans une logique de coopération institutionnelle. Tout est prêt pour la création des Réseaux d’aide décisionnelle aux réponses sociales (RADARS) qui deviendront opérationnels à compter de 2004.

 

Les RADARS à l’œuvre

Cette instance d’aide à la décision, présente en quatre lieux du département, se réunit chaque mois sur une demi-journée. Elle se fixe plusieurs objectifs : prévenir les situations de crise et les réponses dans l’urgence, soutenir les populations en risque d’exclusion, mieux coordonner les interventions et proposer des éclairages pouvant déboucher sur des pistes de travail et des orientations possibles quand la situation n’évolue plus. Le RADARS peut être saisi par toute personne oeuvrant dans l’intérêt de l’usager. Se retrouvent donc le référent de la situation qui va être évoquée, des membres permanents (cadres des trois associations, représentant de la psychiatrie et de l’aide à domicile), des membres du réseau proximal (partenaires de proximité directement impliqués dans la situation), des membres du réseau distal (personnes ressources proposant une expertise) et éventuellement l’usager lui-même. Chaque participant est tenu à une stricte observance des règles de confidentialité : ne doit être abordé que ce qui est nécessaire à l’étude de la situation. A quatre ans de distance, un premier bilan peut être tiré de cette expérience. Tous les opérateurs ne se sont pas encore emparés de cette opportunité, tant chez les délégués à la tutelle que dans les institutions extérieures. Mais, basées sur la libre adhésion de tous ceux qui y participent, une telle instance ne saurait s’imposer. Toutes les situations abordées ne trouvent pas obligatoirement de solutions. Elles ont au moins fait l’objet d’un échange collectif. L’irruption des usagers a un peu déstabilisé certains professionnels… pas les bénéficiaires qui apprécient d’être, le temps d’une réunion, le centre d’intérêt de tant de personnes. Enthousiasmé par ce dispositif, le ministère a proposé de le labelliser. Cette proposition a été écartée. Il y aurait eu trop de risque de figer un modèle qui doit au contraire faire preuve de souplesse et de capacité d’adaptation méthodologique. Reste à pérenniser un tel dispositif et à le développer d’un point de vue quantitatif et qualitatif. Perspectives que ses promoteurs sont décidés à concrétiser.

 

Lire Interview Paturel Dominique - Réseau et partenariat

 

Jacques Trémintin – Non paru - 2008