Valeurs pour la société
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Quelles valeurs à transmettre pour la société de demain ?
S’il est bien une réflexion qui revient régulièrement, c’est celle se rapportant à une perte des valeurs au sein d’une population et plus particulièrement d’une jeunesse qui n’auraient plus aucun repère, ni aucune limite. Entre le relativisme moral qui considère que chacun pense et vit comme il l’entend et la référence à un étalon universel qui permettrait définitivement de distinguer le juste de l’injuste, comment peut-on s’accorder sur les valeurs à transmettre aux nouvelles générations ? C’est sur cette pente on ne peut plus savonneuse que le dossier de ce mois-ci est consacré.
Les philosophes qui ont réfléchi aux questions morales ont très souvent été tentés de rechercher des invariants qui relieraient les êtres humains par delà les continents et les civilisations. Cette quête s’est toujours heurté dans le meilleur des cas à une impasse (1), dans le pire à une diabolisation de l’Autre considéré comme un barbare. Pour agir, l’être humain a toujours eu besoin de trouver un sens et une cohérence à son action. Aussi, a-t-il élaboré des mythes, des croyances, des idéologies qui constituent autant de systèmes d’idées qui légitiment et fondent ce qu’il entreprend. Mais, s’il est bien une constante en la matière, c’est que ces valeurs ont toujours été imprégnées par la culture qui les produisait. Ce qu’il y a sans doute de plus partagée dans l’histoire et à travers le monde, c’est l’idée selon laquelle on est dans le vrai et que son voisin, qui ne pense pas comme soi, ne peut que se fourvoyer. Après tout, c’est l’occasion d’un échange d’idées passionné, et bien souvent passionnant. Là, où cette opinion devient dangereuse, c’est quand on ne cherche plus à convaincre l’autre, mais à le convertir à la seule vision considérée comme digne d’exister : celle que l’on professe. On entre alors dans la logique du dogme et de la révélation.
La religion à la rescousse
Cette croyance en une immanence a trouvé un formidable écho dans les fois religieuses qui ont la plupart du temps bétonné les convictions et les valeurs à partir de références ne pouvant souffrir d’aucune exception car considérées comme éternelles et absolues. Ainsi, en va-t-il notamment des religions du Livre, qui ont fondé leur existence sur un ensemble d’écrits constitué par couches successives, produisant au final un texte hétéroclite, largement marqué par l’histoire et les circonstances de sa rédaction. A la Torah, référence sacrée des juifs, a été rajouté le Nouveau Testament des chrétiens, puis le Coran des musulmans, chaque culte s’inspirant respectivement du premier ouvrage, du premier et du second et enfin des trois à la fois. Ce millefeuille conceptuel, recueil de préceptes moraux, de notions juridiques et d’enseignements cultuels est tellement riche et touffu qu’il permet à chacun d’y trouver son bonheur. Les interprétations possibles sont infinies, allant du plus généreux au plus rétrograde. Pendant des siècles, elles ont occasionné nombre de disputes et de guerres fratricides. Les uns s’en inspirent comme d’une philosophie de l’existence leur permettant d’organiser le vivre-ensemble selon des modalités imprégnées de bienveillance et de tolérance. D’autres, convaincus de la nécessité d’une lecture qu’ils veulent littérale et intégrale, prétendent vouloir régir le monde à partir de préceptes élaborés il y a des milliers d’années et imposer à leurs contemporains une soumission théocratique brutale et arriérée à une règle de vie unique.
Le plus barbare n’est pas celui qu’on croit
Pourtant, les us et coutumes ont connu à travers l’histoire des versions les plus diverses qui soient. Certaines cultures soumettaient les bébés à des tests de viabilité, en les trempant dans des bains glacés ou catégorisaient les enfants malades comme autre chose qu’un humain (un imposteur laissé par des lutins à la place des enfants en bonne santé) qu’on pouvait alors délaisser et laisser mourir (2). Dans la civilisation romaine, c’était au paterfamilias de reconnaître son enfant. Il devait prendre son bébé posé à terre et l’élever vers le ciel, l’établissant alors pleinement dans la communauté humaine. Une loi attribuée à Romulus, l’un des frères fondateurs mythiques de Rome, l’autorisait à exposer le nourrisson, si celui-ci était difforme (après l’avoir soumis à l’examen de cinq voisins). L’exposition prenait plusieurs formes : le bébé, réduit à l’état de déchet dont il fallait se débarrasser, était soit livré aux bêtes féroces, soit jeté dans une cavité conçue à cet effet aux portes de la cité, soit déposé sur le seuil de la maison, une charrette venant alors le récupérer pour l’élever à des fins de prostitution ou d’esclavage (3). Cette description, pour terrifiante qu’elle soit, ne choquait à l’époque personne. Elle entrait totalement dans les valeurs et les repères que la communauté d’alors s’était forgée. Des exemples historiques de cette sorte pourraient remplir des livres entiers.
On est toujours le sauvage de quelqu’un
Ce qui nous semble insupportable et inadmissible a le plus souvent été imaginé dans la cohérence et la sérénité d’une logique qui nous est peut-être étrangère, mais que l’on ne peut à priori définir comme inhumaine, uniquement parce qu’elle nous choque. Une unification des valeurs a semblé possible avec l’avènement de la modernité qui a pu faire croire que le progrès allait enfin améliorer de façon continue le sort des hommes, les superstitions et la soumission à une destinée qui semblait inexorable étant remplacées par la raison scientifique. Cette bouffée d’espoir a été noyée tout au long du XXème dans des flots de sang et d’horreur : guerres, massacres, génocides, famines… perpétrées ou subies au mieux dans la plus grande indifférence, au pire avec la conviction de faire le bien. L’un des épisodes les plus abominables de cette période est sans doute le plan d’extermination des juifs et des tziganes mis en oeuvre par les nazis. Mais cette ignominie ne choque que celui qui croit fermement en l’égalité des êtres humains. Pour celui qui est parfaitement convaincu de l’existence d’une race supérieure aux autres et de la nécessité de la préserver contre les menaces de dégénérescence, la méthode est peut-être un peu radicale, mais dans le fond, le sacrifice des éléments les plus décadents ne peut que sauvegarder la pureté menacée des « élus ». Ce qui nous apparaît comme des actes de barbarie ont pour fondement la volonté d’annihiler l’Autre, en lui déniant toute humanité, de lui retirer tout droit à exister librement, en ne le reconnaissant pas comme appartenant à la même communauté humaine que soi.
Le bon choix pour soi …
Le raisonnement tenu jusqu’à présent pourrait pousser le lecteur à penser que nous serions partisan d’un relativisme absolu et que nous professerions l’idée selon laquelle toutes les valeurs se valant en général, aucune ne prévaudrait en particulier, qu’il n’y aurait pas de choix meilleur qu’un autre et qu’il reviendrait à chacun d’adopter l’option qui lui conviendrait, comme on le fait dans les rayons d’un supermarché, en fonction de ses désirs et de ses goûts personnels. Que nenni ! Loin de nous, l’idée de transformer les valeurs en libre-service. Notre propos cherchait, dans un premier temps, à contester l’idée si largement partagée qu’il existerait une vérité absolue qu’il conviendrait d’identifier et de découvrir. Si la possibilité de trouver une réponse universelle semble impossible, l’irrationnel habitant le cœur humain, bien plus que la raison, pour autant la nécessité subsiste de déterminer la ligne éthique sur laquelle se tenir. Car, abandonner le projet de morale universaliste ne veut pas dire refuser d’établir des bases, des fondations et des assises sur lesquelles donner une légitimité à sa vie ni de déterminer un sens, une orientation, un axe éthique sur lesquelles s’appuyer pour avancer dans son existence. Mais, si nous devons faire des choix, sans nous référer à une « nature humaine » atemporelle, pourquoi choisir plutôt telle valeur que telle autre ?
Mais si ce sont là effectivement des choix subjectifs qu’il faut assumer en tant que tels, sans tenter d’y trouver une quelconque correspondance avec, une objection surgit très vite : Il s’agit simplement de considérer
… et pour les autres ?
Pour répondre à cette question, nous proposons d’inverser la logique classique : on n’adhère pas à une valeur parce qu’elle est vrai, mais elle devient vraie parce qu’on y adhère. De la même façon, ce n’est pas parce qu’une valeur est bonne qu’elle devient transmissible, mais parce qu’elle est de fait transférable qu’il faut la distinguer et la choisir soigneusement à partir de ce qu’elle véhicule. Expliquons-nous : qu’on le veuille ou non, nous constituons pour les jeunes générations un modèle d’identification. Que nous le revendiquions ou non, les plus jeunes se construisent à partir des adultes qui les côtoient. Que les enfants et les adolescents décident de s’inspirer des comportements dont ils sont les témoins quotidiens ou, au contraire, qu’ils les rejettent, n’y change rien. C’est bien à partir de ce à quoi ils sont confrontés qu’ils élaborent ce qui deviendra leur mode de conduite et leur personnalité adultes. Il revient donc à tout adulte en contact avec un jeune à prendre conscience et à assumer la responsabilité de ce qu’il montre. Et, en la matière, toutes les valeurs ne produisent pas les mêmes effets, loin de là. Nous allons tenter d’en faire la démonstration. Notre société a été marquée au cours des dernières décennies par d’importantes évolutions qui ont contribué à désagréger les communautés, à affaiblir l’emprise des traditions et à isoler l’individu. Ces mutations se sont accompagnées d’une forte affirmation de représentations et de valeurs spécifiques.
Soyez rentables !
La nouvelle éthique qui a ainsi émergé privilégie la production à moindre coût, la maximalisation du profit, la conquête des marchés, l’immédiateté des échanges… avec comme conséquences, la marchandisation généralisée des biens naturels d’abord, des relations interpersonnelles ensuite. Le mal être contemporain qu’on relie volontiers à l’affaiblissement des valeurs collectives s’est encore accru avec ce sentiment d’impuissance devant l’impossibilité de mettre l’économie au service de la société et des citoyens et la transformation de l’individu en un simple rouage d’une mécanique qui l’écrase au lieu de le servir. Cet idéal prétendant convoquer chacun au service d’une économie entrée dans une quête de performance et une guerre de position où la seule alternative serait de gagner ou de disparaître (5) a progressivement envahi tous les pores de la société. Les secteurs non concurrentiels relevant de l’Etat, du service public ou du monde associatif ont été eux aussi concernés par les notions de rentabilité, de compétitivité, d’efficacité mesurée à l’aune de la quantité réalisée. On ne compte plus par exemple les demandes de bilans d’activité du secteur de l’animation où il ne doit être question que de chiffres : augmentation de la fréquentation, multiplication du nombre des activités, la qualité de ce qui s’y déroule n’apparaissant pas pertinent. Les nouvelles techniques de management ont imposé toute une série de manies qui se sont progressivement généralisées, sans qu’on n’y prenne garde.
La logique comptable
C’est d’abord ce discours de l’insignifiance qui recouvre la complexité par l’évidence (vision binaire du monde entre ce qui réussit et ce qui échoue), qui neutralise les contradictions par le positivisme (il faut avancer coûte que coûte sans se laisser perturber par ce qui pose problème), qui éradique les conflits d’intérêts par l’affirmation de la loi du plus fort (vaincre ou disparaître).Ce qu’il faut, c’est du chiffre. Peu importe les conséquences. Le passé est oublié, le présent dévalorisé. Seul compte l’exaltation de l’avenir : toujours plus haut, toujours mieux, dans une progression sans obstacle. Cette simplification à outrance du monde exclut toute erreur, toute faute, toute imperfection et toute impureté, dans un monde où chaque désir doit être satisfait et chaque manque supprimé. Autre dérive récurrente : le syndrome de la quantophrénie. Cette manie qui consiste à croire que la réalité peut être comprise et maîtrisée à condition de pouvoir la mesurer, et qui met au point des instruments qui semblent apporter de la transparence là où règne l’arbitraire, de l’objectivité là où domine la contradiction et enfin de la sécurité dans un monde instable et menaçant. Les considérations comptables et financières l’emportent aujourd’hui sur les considérations humaines et sociales. L’indice de bonheur est indexé non sur le bien-être, la qualité de la vie ou l’épanouissement individuel, mais sur la croissance économique. Mais, n’est-ce pas justement l’augmentation des richesses produites qui peuvent fournir les moyens de satisfaire les besoins humains ?
D’autres valeurs existent…
C’est du moins ce qu’on nous répète à l’envi. Ce que l’on constate est tout à fait différent : si la richesse s’accumule, la pauvreté, elle, ne recule pas. Si la connaissance explose, l’ignorance stagne. Si la création se développe, les destructions s’intensifient. Si le bien-être s’affirme, la souffrance s’accroît. Si la protection se renforce, l’insécurité se déploie. Simplement, ce n’est pas du même côté, ni au même endroit que l’on voit émerger cette même réalité contradictoire et paradoxale. Il y a donc un problème … et un sérieux. Mais cela n’est pas une fatalité, c’est un choix auquel chacun souscrit ou non. Une résistance est possible. D’abord sous la forme d’une action militante tant syndicale que politique. Nous ne l’évoquerons pas ici. D’autres tribunes sont là pour relayer cette démarche qui implique chacun à titre privé. Ce qui nous intéresse plus, dans le cadre de ce dossier, ce sont les actions engagées qui ne se projettent pas dans un avenir meilleur, mais qui tentent de le construire au quotidien. Les professionnels en relation avec l’enfance et l’adolescence peuvent faire le choix de s’inscrire dans des modes de fonctionnement valorisant la compétition et la mise en avant des meilleurs. Que ce soit dans l’enseignement, dans les activités sportives ou dans l’animation socioculturelle, ce qui peut être privilégié, ce sont les capacités de chacun(e) à faire mieux, à aller plus vite, à être plus efficace que son voisin.
… qui peuvent être mises en pratique
Mais, l’on peut tout autant favoriser l’esprit d’entraide, de coopération et de solidarité. Cela fait longtemps que de telles pratiques ont été expérimentées avec succès. Et d’abord dans ce qu’on appelle les pédagogies « nouvelles », telles celles de John Dewey (USA), Maria Montessori (Italie), Ovide Decroly (Belgique), Édouard Claparède et Célestin Freinet (France) etc … qui proposent une école active, ouverte sur la société, préparant à la citoyenneté. Les élèves ne cherchent plus à se surpasser les uns par rapport aux autres, mais à progresser tous ensemble dans une acquisition du savoir où chacun apporte sa contribution. Le domaine de l’animation socioculturelle n’est pas en reste. Il est traditionnel de proposer aux enfants des jeux basés sur la compétition entre équipes adverses. Mais, il existe aussi des jeux tout aussi agréables et féeriques qui s’appuient sur la confiance réciproque, le partage et l’échange, l’objectif ne pouvant être atteint que si tout le monde collabore. L’idée est bien de démontrer qu’on peut agir avec autant d’efficacité en s’y mettant à plusieurs et non pas seulement en devançant l’autre. C’est la même logique que l’on retrouve dans les réseaux d’échange réciproques de savoir qui mettent en scène des personnes qui demandent et d’autres qui offrent, mais qui n’entrent pas pour autant en relation sur une base commerciale. Celui qui propose un service, le rend avec le plaisir non de s’être enrichi financièrement, mais d’avoir, à cette occasion, à la fois rencontré un autre, mais aussi modifié le regard qu’il pouvait avoir sur lui-même et sur ses propres compétences. (5)
Le lien vaut mieux que le bien (4)
On n’est plus là dans la transaction marchande, mais bien dans la notion du don et du contre don (6). Ce qui l’emporte, ce n’est pas tant de mesurer l’échange à l’aune de ce que cela rapporte à chacune des deux parties concernées, que l’établissement de relations qui, au-delà du service mutuel, structurent une reconnaissance et un respect réciproques. On passe d’une dimension conquérante où il s’agit de faire une bonne affaire, au besoin sur le dos de son interlocuteur, à un registre de gratification qui considère l’autre comme son égal en dignité. Cette démarche innovante a pris une place toute particulière dans notre société, se retrouvant dans ce qu’on appelle le tiers secteur de l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, associations …) qui prend en charge dans un but non lucratif les besoins non satisfaits par l’Etat et le secteur concurrentiel (6). C’est là le fondement d’un autre rapport à l’autre qui ne privilégie pas la compétition et la valeur argent, mais le vivre avec. Ce qui importe, ce n’est pas tant de savoir qui va l’emporter, mais comment gagner ensemble (8). Ce n’est pas la lutte de tous contre tous, mais une relation humaine fondée sur la solidarité, la coopération et la bienveillance réciproque. Cette valeur n’est pas naturelle, elle se cultive. Elle illustre néanmoins ce qui peut être mis en œuvre au quotidien auprès des jeunes générations, en réponse aux logiques comptables qui ne respectent l’être humain que pour autant qu’il soit rentable. Mais, il ne s’agit pas seulement d’un outil éducatif. Il est temps de ne plus se laisser faire, notamment face aux employeurs du secteur social et associatif par trop tentés parfois d’utiliser les méthodes de managering libérales. Il est même possible d’agir en tant que consommateur éclairé, en essayant d’influencer directement les comportements du secteur concurrentiel (voir « d’autre valeurs que celles du marché »). Nous avons commencé par démontrer la relativité des valeurs. Nous terminons par un appel à la résistance pour promouvoir des valeurs humanistes qui sont au cœur de l’éducation populaire. Le paradoxe n’est qu’apparent, le renoncement à trouver la vérité ne s’étant jamais opposé à une démarche d’engagement.
Jacques Trémintin – Journal de L’Animation ■ n°59 ■ mai 2005
(1) Voir à ce propos la démonstration qu’en fait Gérard Mendel dans son dernier ouvrage « Construire le sens de sa vie. Une anthropologie des valeurs » La Découverte, 2004, cf bibliographie
(2) « Les instincts maternels » Sarah Blaffer Hrdy, Payot, 2002
(3) « Le peuple des silencieux » Philippe Caspar, Fleurus, 1994
(4) « La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social » Vincent de Gaulejac, Seuil, 2005
(5) cf. dossier « Les réseaux d’échange et de savoir » JDA n°8
(6) cf. dossier « Quelle place pour le bénévolat aujourd’hui » JDA n°56
(7) cf. dossier « La place de l’économie sociale et solidaire » JDA n°19
(8) cf. dossier « La médiation, les médiations » JDA n°40
Lire interview Elie Henri - Valeurs
Inhumain avec les vaches ?
La religion védique voue un culte sacré aux vaches qui se déplacent librement et sont spontanément nourries et respectées par la population. Première raison : cet animal fournit de précieuses ressources : un lait nourrissant et aux propriétés médicinales, une bouse constituant un excellent combustible, simple et de meilleur rendement que le charbon, une urine aux qualités antiseptiques. Seconde raison : la conviction qu’un être humain qui tue un animal innocent renaîtra dans l'espèce de l'animal qu'il a tué et devra être tué de la même façon. Une visite proposée à un indou dans un abattoir occidental nous ferait à coup sûr apparaître comme ayant atteint le fin fond de la barbarie !
Un relativisme qui traverse l’histoire
Protagoras a été l’un des premiers philosophes à douter des vérités éternelles. "L'homme est la mesure de tout " affirmait-il au Vème siècle avant JC. Blaise Pascal, reprenant Montaigne, lui répond 1.200 ans plus tard " Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà". Les règles de vie que se fixent les sociétés, expliquait-il alors, sont relatives d'un lieu à un autre, l'homme étant incapable d'établir des lois justes. Ces propos illustrent bien le scepticisme qui a toujours existé, certains penseurs affirmant qu’il n'existe, dans l'ordre moral, que des opinions variant selon le lieu et le moment où elles sont formulées. Les sciences humaines accréditeront cette doctrine sous le nom de relativisme culturel.
Les jeux de coopération
Contrairement à certains sports qui privilégient la victoire et la valorisation des compétences individuelles, les jeux de coopération favorisent les capacités de communication, les aptitudes à partager avec les autres et à leur faire confiance. Les principes qui les régissent s’opposent à ce que propose trop souvent le monde des adultes : même si l’activité présente un défi et doit rester stimulante, tout le monde doit vivre des situations de succès, personne ne doit être soit mis en évidence, soit éliminé, les gestes d’échange et de collaboration priment. Quand il y a réussite, celle-ci est due à l’engagement collectif et non pas individuel.
« Dans une étude ethnographique et psychologique sur une communauté hindoue, Richard Schweder et ses collaborateurs, soutiennent que la distinction entre normes morales et normes conventionnelle est typique d'une société qui fonde la morale sur l'idée de droits, comme en Occident, et étrangère, au contraire à une société qui fonde la morale sur l'idée de devoirs. Dans les sociétés très religieuses, où l'idée de devoirs prime en effet celle de droits, l'ensemble des normes peut être présenté comme légitime parce qu'émanant de la même source divine. Une telle conception n'est à première vue guère compatible avec la distinction entre morale et convention, distinction qui est habituellement faite en invoquant deux sources de légitimité, l'une de principe, l'autre de convention.»
Dan Sperber « Fondements naturels de l'éthique » Odile Jacob, 1993
Fiche n°1 : Une valeur universelle : le droit à la dignité ?
"Agis toujours de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen" affirmait Emmanuel Kant. Illustration de cette conviction, lorsqu’au sortir de la barbarie de la seconde guerre mondiale, l’Organisation des Nations Unies s’atèle à la rédaction de la « Déclaration universelle des droits de l’homme », le préambule qui va être retenu diffère de ce qui avait été écrit dans le texte datant de 1789. Parler de l’égalité des droits, comme le firent à l’époque les révolutionnaires, est un noble objectif, mais présente le seul défaut de ne jamais être atteint. C’est pourquoi, on lui préféra la notion d’« égale dignité ». Le sens commun attribue au terme de dignité l’idée d’une manière convenable de se comporter ou de se présenter. Or, dans cette acception, on peut manquer de dignité sans manquer d’humanité. Ce dont il s’agit ici, c’est du dépassement de l’homme dans son unité et de l’interpellation de son essence et de sa permanence. Ce qui caractérise la race humaine, c’est le besoin, la nécessité et la faculté à vivre au sein de son espèce. L’intérêt envers ses congénères est donc pour lui constitutif de son existence même. Ce qu’Emmanuel Lévinas a traduit en disant : « toute la dignité de l’homme vient du souci qu’il manifeste pour autrui ». Le souci de garantir à chacun le même traitement et la même dignité pourrait constituer la base d’une valeur universelle. Ce qui reviendrait à appliquer à l’autre ce qu’on accepterait pour soi et pour sa famille. Ce qui pourrait constitue l’un des fondements de toute société démocratique et la finalité de tout droit digne de ce nom. Dès lors, il n’y aurait plus de droit qui soit spécifique aux hommes ou aux femmes, aux pauvres, aux enfants, aux élèves, aux familles, etc ... il n’y a qu’une marche vers le respect de la même dignité pour tout être humain. Ce n’est pas parce que tout au long de l’histoire, cette dignité humaine a été largement maltraitée, qu’on ne peut la choisir comme quête emblématique.
Fiche n°2 : Un exemple d’application du principe du droit à la dignité humaine
Dans le monde, l’OMS estime à 2 millions le nombre d'excisions qui s'ajoutent chaque année aux 135 millions de fillettes et de femmes déjà excisées, pour la majorité originaires des pays d'Afrique. En France, malgré le tabou entourant cette atteinte à l’intégrité punie par la loi comme « mutilation », entre 10 et 20.000 fillettes seraient menacées. Rappelons que cette pratique recouvre différentes « opérations » : la clitoridectomie (ablation partielle ou totale du clitoris), l'excision (ablation d'une partie plus ou moins importante du clitoris et des petites lèvres), l'infibulation (ablation des grandes lèvres, suturées bord à bord, l'ouverture vaginale ne laissant plus place qu’à un minuscule orifice). Les conséquences sur la santé des femmes peuvent être graves, parfois mortelles. Hormis la douleur intense au moment de l'acte lui-même, des complications infectieuses, gynécologiques, obstétricales peuvent survenir, immédiates (hémorragie ...) ou tout au long de la vie de la femme (incontinences, fistules, kystes ...). L'origine de ces pratiques est inconnue, mais elle est antérieure au Christianisme et à l'Islam. Elles semblent se référer à la nécessité de bien distinguer les sexes. Si la circoncision aurait pour fonction de débarrasser le garçon de son âme féminine (prépuce), l’excision place définitivement les filles dans le genre féminin en leur enlevant la partie masculine de leur anatomie (le clitoris) et en faisant en sorte que les femmes demeurent vierges jusqu'au mariage et fidèles ensuite. Ces pratiques se perpétuent depuis des millénaires. Ce sont les mères qui le font pratiquer sur leur propre fille sous l’œil bienveillant des hommes de la communauté. Par habitude, par tradition, pour être sûr que leur enfant trouvera un mari … C’est donc une pratique totalement intégrée et normalisée, dont la barbarie n’est d’abord apparue qu’à l’opinion occidentale, quoique de plus en plus rejointe par des africains conscients de l’horreur de cette pratique. Pourtant, il y a une vingtaine d’années, un certain nombre d’ethnologues se sont élevés contre les interdictions de ces pratiques qui relevaient, de leur point de vue, d’un ethnocentrisme digne de l’esprit dominateur colonialiste ! Autant il est inadmissible de s’en prendre aux coutumes distinctes des nôtres au seul prétexte justement qu’elles sont différentes, autant est-il tout aussi insupportable de tolérer les atteintes à la dignité humaine au prétexte qu’elles ne sont pas vécues comme tel par leurs victimes.
Fiche n°3 : Les idéaux et leurs limites
L’être humain est prompt à s’enflammer pour ses valeurs et à mourir sur les champs de bataille pour elles. Quoi de plus beau, après tout, que de risquer sa vie au nom d’un idéal … sauf que la vie, on n’en a qu’une. Mieux que mille discours, Georges Brassens a su avec humour et sagesse évoquer cette question dans un poème mis en musique en 1972.
Mourir pour des idées
Mourir pour des idées, l'idée est excellente
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eu
Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente
Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi
Avec un soupçon de réserve toutefois
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente,
D'accord, mais de mort lente
Jugeant qu'il n'y a pas péril en la demeure
Allons vers l'autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l'allure, il arrive qu'on meure
Pour des idées n'ayant plus cours le lendemain
Or, s'il est une chose amère, désolante
En rendant l'âme à Dieu c'est bien de constater
Qu'on a fait fausse route, qu'on s'est trompé d'idée
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente
Les saint jean bouche d'or qui prêchent le martyre
Le plus souvent, d'ailleurs, s'attardent ici-bas
Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire
C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas
Dans presque tous les camps on en voit qui supplantent
Bientôt Mathusalem dans la longévité
J'en conclus qu'ils doivent se dire, en aparté
"Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente
Des idées réclamant le fameux sacrifice
Les sectes de tout poil en offrent des séquelles
Et la question se pose aux victimes novices
Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles ?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente
Encor s'il suffisait de quelques hécatombes
Pour qu'enfin tout changeât, qu'enfin tout s'arrangeât
Depuis tant de "grands soirs" que tant de têtes tombent
Au paradis sur terre on y serait déjà
Mais l'âge d'or sans cesse est remis aux calendes
Les dieux ont toujours soif, n'en ont jamais assez
Et c'est la mort, la mort toujours recommencée
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente
O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu! laissez vivre les autres!
La vie est à peu près leur seul luxe ici bas
Car, enfin, la Camarde est assez vigilante
Elle n'a pas besoin qu'on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds!
Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
D'accord, mais de mort lente
« Poèmes et chansons » Georges Brassens (Seuil, 2001)
Fiche n°3 : D’autres valeurs que celle du marché
Faire attention à ce qu’on achète
Finis les biens fabriqués dans le tiers monde, par des ouvriers payés un ou deux €uros par jour ? Pas tout à fait. Mais De l’éthique sur l’étiquette agit en faveur du respect des droits de l'homme au travail dans le monde et de la reconnaissance du droit à l'information des citoyens sur la qualité sociale de leurs achats. Cette association demande aux enseignes de la grande distribution et aux grandes marques internationales, de veiller à la bonne qualité sociale des produits qu'elles commercialisent, en s’engageant sur un code de conduite qui veille notamment à ce que leurs pratiques d’achat encouragent le progrès social chez leurs fournisseurs et sous-traitants, en respectant ce code et en acceptant une vérification indépendante par un organisme multipartite. Pour progresser vers ces objectifs et faire pression sur les décideurs économiques et politiques, elle mobilise l'opinion publique par le biais de diverses campagnes et l’action du réseau de ses 114 collectifs locaux (conférences, expositions, interventions en milieu scolaire...).
Contact : Collectif De l'éthique sur l'étiquette c/o Fédération Artisans du Monde
53, bd de Strasbourg - 75010 Paris http://www.ethique-sur-etiquette.org/
Faire attention à qui on achète
Finis les produits achetés à bas prix à des petits producteurs ? Pas tout à fait. Mais, le commerce équitable prétend commercialiser leurs produits à des prix plus rémunérateurs que les cours mondiaux. Elle leur garantit une relative stabilité des prix et la mise en place de conditions et de délais de paiement, voire des possibilités de préfinancement, qui leur évitent de brader leurs produits ou d'avoir recours à des prêts usuriers. Le prix équitable est négocié. Il doit pouvoir couvrir tous les coûts de production du produit, y compris environnementaux et sociaux, assurer aux producteurs un niveau de vie décent et une part d'investissement. Mais, cette démarche va au-delà d’un échange commercial différent. Elle soutient aussi les organisations de producteurs, sensibilise le grand public et mène des campagnes visant à modifier les règles et les pratiques du commerce international conventionnel. Depuis 30 ans, Artisans du Monde construit avec ses partenaires du Sud une économie solidaire au service d’un développement durable qui permet la maîtrise par les peuples et les sociétés de leurs choix économiques, politiques, sociaux, culturels et écologiques dans un objectif de démocratie.
Contact : Fédération Artisans du Monde 53, bd de Strasbourg - 75010 Paris http://www.artisansdumonde.org
Faire attention où va son argent
Finis les placements qui sont utilisés dans la seule logique du profit immédiat ? Pas tout à fait. Mais l'épargne éthique constitue un investissement socialement responsable investi dans des sociétés cotées en Bourse qui respectent plusieurs critères : environnement, politique sociale, relations avec les fournisseurs et les sous-traitants, etc. et excluant parfois certains secteurs comme l’armement, le tabac, l’alcool... En intégrant d'autres paramètres que celui de la rentabilité financière, l'épargne éthique vise à responsabiliser les entreprises déjà présentes sur le marché financier. L'épargne solidaire, encore plus engagée dans cette recherche de responsabilité, permet de financer des projets solidaires qui ne trouvent pas de financements dans les circuits financiers classiques. Ces projets agissent directement contre l'exclusion : entreprises créées par/pour des personnes en difficulté, logement de familles en situation précaire, activités sur des territoires marginalisés. Ils peuvent aussi favoriser le développement durable ou encourager la solidarité Nord Sud. Tout ou partie de l'argent investi dans les produits d'épargne solidaire permet le financement d'activités solidaires, avec un rendement financier qui peut être équivalent aux autres produits d'épargne, à quoi vient s’ajouter, dans la majorité des cas, un avantage fiscal. Le label Finansol présente sur la toile les produits d’épargne solidaire.
Contact : http://www.finansol.org et http://www.novethic.fr/
Faire attention comment l’on voyage
Finis les charters de touristes ne voyant des pays visités que la piscine des hôtels trois étoiles ? Pas tout à fait. Mais, pour ceux qui désirent découvrir, à une dizaine de voyageurs, la vie de village, dormir dans des cases, se laver avec l’eau chauffée au soleil dans des seaux et se nourrir de plats frugaux qui constituent l’ordinaire des habitants … le tourisme solidaire et responsable leur propose de mettre au centre du voyage l'homme et la rencontre. Cette forme de tourisme s'inscrit dans une logique de respect des populations visitées qui sont impliquées dans les différentes phases du projet et participent de façon prépondérante dans leur définition et leur évolution (possibilité de les modifier, de les réorienter, de les arrêter). On est là dans la logique du développement durable : des actions supportables à long terme sur le plan écologique, viables sur le plan économique, équitables sur le plan éthique et social pour les populations locales. http://www.unat.asso.fr/f/unat/tsqui.html
Faire attention à ce qu’on achète sur la toile
Créée en décembre 2000, l'association « la bonne action » s’est fixée pour objectif de collecter des fonds pour la réalisation de projets humanitaires d'aide à l'enfance. Elle a constitué un portail d'achat sur Internet. Les internautes font leurs achats auprès des diverses enseignes répertoriées sur le site au même prix que s’ils le faisaient directement. Une commission est reversée à l’association par les sites marchands, qui est proportionnelle au montant de la commande ou qui correspond à une somme fixe par visite ou transaction. La totalité des sommes obtenues est redistribuée pour la réalisation de projets humanitaires d'aide à l'enfance.
Contact : http://www.labonneaction.com
Bibliographie
► « La fin de l’autorité » Alain Renaut, Falmmarion, 2004, (266 p.)
C’est justement parce que l’autorité implique une inégalité de relation que sa dissolution est le produit direct de la montée en puissance de la culture démocratique « qui est une culture de l’égalité, qui est d’abord celle de l’égale dignité de tous les êtres humains.» (p.145) Nul n’est plus fait par nature, ni pour commander, ni pour obéir. Dès lors, aucun pouvoir ne peut légitimement s’exercer sans se soucier d’obtenir, d’une manière ou d’une autre l’adhésion de ceux sur qui il s’exerce. Sa légalité ne tient plus ni à un quelconque héritage, ni à la grâce de Dieu, pas plus qu’à une personnalité exceptionnelle, mais à un mandat qui reste conditionné par le respect de lois qui définissent les modalités et les limites de son exercice. C’est justement parce qu’il est intrinsèquement fragilisé par les principes sur lesquels il repose, qu’il a d’autant pus besoin d’un surcroît de justification : on est passé de l’argument d’autorité à l’autorité de l’argument qui est en contradiction flagrante avec les valeurs anciennes de soumission à la tradition et à une hiérarchie naturelle. Ce qui est étonnant, ce n’est pas tant la crise que l’on connaît aujourd’hui, que le temps qu’elle a mis à advenir.
► « Les interdits, fondement de la liberté » Michel Fize, Presse de la Renaissance, 2004, (196 p.)
Il est d’usage d’opposer liberté et interdit, la première étant à chérir et le second à proscrire. Si les animaux mettent d’instinct une limite à la violence destructrice pour leur espèce, les hommes menacent d’anéantissement leur société. Et c’est bien parce que l’humanité se laisse spontanément guider par la violence et la jouissance et que chaque homme peut nourrir le dessein de tuer ou de dominer son prochain, que l’on retrouve les interdits universels ou spécifiques à chaque société. Objets traditionnels de réprobation en ce qu’ils menacent notre satisfaction, ils ont été particulièrement malmenés au cours des dernières décennies. On leur a reproché d’être inutiles et insupportables, injustes et inégaux. Mais, si chacun les fuit volontiers, il exige dans le même temps qu’ils le protègent de la toute puissance de l’autre. Car si leur vertu première consiste bien à nous libérer de nos pulsions aveugles et de nos désirs qui, non contenus, seraient illimités car à jamais insatisfaits, c’est justement parce qu’ils nous aident à cerner le désirable et à lui donner de la consistance. L’équilibre entre le permis et le non-autorisé reste plus que jamais l’une des bases essentielles de la vie sociale.
► « Construire le sens de sa vie. Une anthropologie des valeurs » Gérard Mendel, La Découverte, 2004
Il n’est pas de projet de morale universaliste qui n’ait été basé sur une révélation religieuse ou sur une croyance philosophique en une immanence métaphysique. Pour Nietzsche, les philosophes ont inventé la transcendance pour se protéger des angoisses de la condition humaine, liées aux changements incessants, au tragique et à la mort. La science est quant à elle incapable de donner naissance à une éthique personnelle, car elle n’intègre dans ses réponses ni la question du sens, ni la dimension de la subjectivité. Si la possibilité de trouver une réponse universelle s’éloigne, la nécessité subsiste de déterminer la ligne morale sur laquelle se tenir. Finalement l’affaiblissement des valeurs collectives n’a pas placé l’individu devant un vide, mais devant un trop plein de valeurs possibles. Il revient à chacun de construire le système qui donne sens à sa vie et à sa mort, en l’articulant autour de l’éthique de conviction (l’intention primant alors les conséquences des actes posés) et de l’éthique de responsabilité (l’acteur devant rendre compte des actes posés).
► « La dignité humaine » Jean-Frédéric Poisson, édition Frison Roche, 2005
Une sorte de flou entoure le mot dignité, d'autant plus facilement employé qu'il est rarement défini. On mène en son nom des combats fratricides : des camps s'opposent au plan social et au plan politique, chacun faisant référence à cette réalité. De ce fait, on ne sait plus très bien ce qu'elle est : un fait de nature ou la conséquence de décisions humaines ? La référence à une valeur particulière de l'homme ou l'instrument d'une domination de quelques-uns sur tous les autres ? Paradoxalement, la réalité de la dignité humaine ne fait de doute pour personne, quel que soit le contenu dont on veut la remplir. L’auteur s'attache à préciser ce contenu en même temps que ses sources et ses conséquences.