Aymeric - Prison

« La prison, pour eux, c’est comme leur maison »

Le monde carcéral est dur et traumatisant. Loïk Le Floch Prigent -ex pédégé de la SNCF- a connu une détention de 6 mois. A sa sortie, il s’exprime dans le Nouvel Observateur et parle de ses nuits « hantées par les hurlements des détenus, en particulier ceux de nouveaux venus, sodomisés dès leur arrivée par leur compagnon de cellule ». Réactions outragées du directeur de la Pénitentiaire, menaces de grève de la part des gardiens ... Entre la prison «4 étoiles» que le bôf moyen se plaît à dénoncer et l’enfer dominé par le caïdat, la drogue, le racket et le viol décrit par certains témoignages, quelle est la réalité de l’incarcération aujourd’hui dans notre pays ? Pourquoi ne pas le demander à ceux qui l’ont vécu ?

Toutefois,  faire témoigner un usager sur ce qu’il vit est toujours délicat. A ses difficultés déjà parfois bien difficiles à gérer ne doivent pas se rajouter les effets pervers d’une médiatisation qui parfois s’identifie à la manipulation.

Nous avons reçu un courrier d’un collègue éducateur qui nous dit avoir « longuement hésité » avant de nous proposer le témoignage qu’on va lire. Il nous expliquait souhaiter « garder l’anonymat » afin que le jeune reste non-identifiable, y compris par son intermédiaire. C’est pourquoi, l’entretien que nous publions n’est pas signé.

Aymeric a tout épuisé : foyer, famille d’accueil, lieu de vie, …Il ne lui restait plus que la dérive: squats, hébergement de nuit pour sdf … Après une longue période d’errance il a fini par être condamné à la prison pour cambriolages.  Il avait un peu plus de 18 ans.

Comment s’est passée votre arrivée en prison ?

Aymeric : Difficile. Il y a des gens autour de moi qui se vantaient d’être allés en prison. Moi, quand je suis arrivé, j’ai trouvé ça très dur. On était à 4 dans la cellule. Très vite, on a essayé de me taxer des clopes, des vêtements, tout ce qui pouvait être intéressant. On se retrouve seul. On ne peut compter sur les matons pour se défendre, sinon on a des problèmes. On se fait traiter de lèchecuteur, de balance et on se fait castagner la tête après dans un coin.

 

La violence est donc présente ?

Aymeric : C’est tout bête, on se castagne pour un oui, pour un non. Si on ne veut pas se faire racketter, il vaut mieux pas se faire marcher sur la tête. Si l’on veut survivre, il faut se faire respecter. Ainsi, par exemple, la promenade. On y discute, on parle entre copains, on joue aux échecs, on fait un peu de musculation. Il y en a qui fume du teuch. Il y a un petit coin qui est hors de vue des matons qui sont à la porte. Quand les gars veulent se battre, ils se mettent là. Ils se bastonnent et quand ils rentrent tout égratignés, ils disent «ce n’est rien, je suis tombé». Moi, ça m’est arrivé de me battre avec le gars avec qui j’avais fait les cambriolages et qui m’avait fait une mauvaise réputation. Je l’ai étalé par terre. Un gars m’a dit «défonce-le». Je n’ai pas voulu. Il s’est pris des coups de pied et des baffes par les autres.

 

Il y a-t-il de la drogue en prison ?

Aymeric : Elle entre à partir des parloirs. Les gars la cachent dans la bouche ou dans les fesses. Teuch ou médicaments: on peut avoir à peu près ce que l’on veut. Ca se vend comme si on était dehors. On se procure de l’argent de la même façon et ça permet d’acheter. On est fouillé en sortant du parloir (on enlève ses vêtements), mais les matons ne vérifient pas toujours. Et puis comme on circule quand même pour aller à l’infirmerie, au rond-point (qui va au parloir) ou pour voir une assistante sociale, on se passe des informations et ce qu’on veut.

 

Comment se comportent les gardiens ?

Aymeric : Certains sont sympas. Par exemple, ils vous laissent aller dans une autre cellule pour voir un copain ou boire un café. D’autres sont moins sympas. Mais ceux-là peuvent avoir des problèmes. Il arrive alors qu’ils se fassent agresser par des détenus. Ils ont en permanence un «bipeur» à la ceinture pour appeler à l’aide. Mais, le temps que les autres arrivent, ils peuvent se faire défoncer. Les gardiens ne font pas toujours leur fier. Avec les gars qu’il y a en prison, ça leur fait parfois peur.

 

Que pensez-vous de la distribution de préservatifs ?

Aymeric : Ils sont proposés à l’infirmerie. Certains se servent, d’autres pas. Ceux qui en prennent attendent que le médecin soit sorti pour chercher un médicament. Ils ne font pas cela devant lui, sinon ils se feraient traiter de pédé. Après ils se feraient taper dessus. Ils servent de boniche ou ils se font violer. J’en ai connu un qui se prostituait pour un paquet de clopes par semaine. Il faisait le ménage les lit des autres détenus. Ca se passe dans les cellules. Les gardiens ne sont pas au courant. Celui qui subit ça, n’osera rien dire sinon ce sera pire après pour lui.

 

Quel effet a eu la prison sur vous ?

Aymeric : Ca m’a mis du plomb dans la tête. Avant, je pensais que personne ne pouvait m’attraper, comme la plupart des gars qui arrivent en prison. Là, j’ai pris conscience que je n’étais pas le plus malin et qu’il fallait que j’arrête mes conneries si je voulais m’en sortir. Tout le monde ne réagit pas comme cela. J’en ai connu qui sont bizarres. Ils aiment bien la prison. Pour eux, c’est comme leur maison.

 

Quand on est en prison, quelle aide peut-on vous apporter depuis l’extérieur ?

Aymeric : Tout faire pour vous permettre de vous en sortir : trouver des solutions et des endroits pour vous accueillir. Mais, il y en a qui ne veulent pas arrêter leurs conneries. Ils voudraient avoir du pognon, tu fous rien de la journée, tu as une bonne paie, un appartement, la belle vie, sans faire d’efforts. Moi, j’ai eu envie qu’on m’aide à m’en sortir parce que je n’avais pas envie de finir ma vie en prison.

 

Qu’avez-vous envie de dire aux éducateurs qui vont vous lire ?

Aymeric : Il faut être plus sévère avec les gosses, les faire chier un peu plus pour leur faire comprendre que la vie n’est pas si rose que cela. On aurait du être encore plus dur avec moi pour me faire comprendre ce que c’est que la vie, me faire rentrer dans la tête que dehors ce n’est pas comme je le pensais. C’est vrai, mon incarcération m’a fait mûrir, mais j’aurais pu réfléchir autrement qu’en allant en prison. La prison, ce n’est pas une solution non plus. Mais c’est vrai qu’à l’époque je n’écoutais pas trop les éducateurs.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal du Droit des Jeunes ■ n°166 ■ juin 1997