Sorge Lucien - Maltraitance

« Pour éviter les risques, communiquons avec le minitel »

Un éducateur a bien voulu réagir pour Lien Social au mouvement de panique qui semble s’emparer de certains services et professionnels en contact avec les enfants. Lucien Sorge a travaillé en internat. Il est en poste actuellement dans un service de milieu ouvert.

Lien Social : Vous avez reçu récemment des consignes de votre service concernant votre travail auprès d’adolescent(e), où l’on vous conseillait de ne pas vous entretenir dans leur chambre et de laisser ouverte la porte de votre bureau quand vous les receviez. Cela vous a fait réagir.

Lucien Sorge: Oui, et mal. C’est un phénomène que je ne comprends pas bien. Je me pose la question du statut qu’on nous accorde à partir du moment où dans un milieu où la communication, l’échange et la confiance sont de mise, la hiérarchie peut nous demander de gérer des relations les plus sainement possible avec des barrières de cette nature. A aucun moment, il n’a été envisagé de réglementer le fait qu’on tape sur les mômes ou pas dans les internats parce qu’on partait du principe que cela coulait de source. Cela fait partie de mon professionnalisme de me poser la question à deux fois quand j’agis…  Nous poser ce type d’exigence, c’est un peu comme si ou nous disait : “ la confiance, c’est votre outil de travail, mais attention il ne faut pas l’utiliser n’importe comment, n’importe où, d’ailleurs moins vous l’utilisez, mieux ça vaut. ”

On pourrait aussi envisager d’avoir des échanges avec les gamins par minitel, cela diminuerait encore plus les risques ! …. On évolue dans un créneau qui est un peu borderline par rapport à la société établie. On a une forme de devoir d’appuyer sur des boutons pour indiquer quand ça ne va pas. La pédophilie tout comme l’exploitation des femmes par la prostitution sont condamnés par une majorité de gens. Pour autant on ne peut pas en arriver à des généralisations hâtives en direction de professionnels comme les enseignants ou les travailleurs sociaux, en leur disant “ attention, ne mettez pas la main sur la tête d’un gamin, vous ne savez ce que vous risquez ”. Non, en agissant ainsi, on en vient à créer des barrières là où il ne devrait pas il y en avoir. J’imagine toutes les situations que je vis au quotidien et qui pourraient ouvrir la porte à des médisances. Cela fait partie des risques de nos métiers que d’être aussi à un moment ou à un autre le centre d’un fantasme tant il est vrai que l’on catalyse bien des choses positives mais aussi négatives.

 

Lien Social : Quel devrait être pour vous,  la réaction de la hiérarchie ?

Lucien Sorge: Quelque chose qui devrait être de l’ordre de la distillation dans un sens et dans l’autre. Il est clair que les travailleurs sociaux doivent être sensibilisés. Cela doit ouvrir à des débats et des échanges de pratique par exemple sur la bise systématique au môme ou le serrage de main. Chacun peut avoir sa position. Tout peut se discuter. Cela permet d’avoir à l’esprit qu’il y a des modes et des façons de faire qui passent. Mais la hiérarchie doit pouvoir aussi distiller par rapport aux politiques ou aux administrateurs, en renvoyant vers ces sphères pour qui le social se fait avant tout sur le papier qu’il y a des choses à relativiser et qu’il faut se garder d’une trop grande généralisation d’un phénomène existant qui attire beaucoup l’attention mais qui peut entraîner des règlements à l’emporte-pièce. Car ce type de dérive, c’est ce qu’on a toujours trouvé dans les systèmes totalitaires.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Non paru ■ déc 1997