Sansonnof Bernard - Négligence

«Le plus dur, c’est d’avoir été nié dans mon travail»

Bernard Samsonoff, Chef de Service Educatif au Foyer Départemental de l’Enfance de Loire Atlantique, confrontée à la fugue d’une adolescente, omet de transmettre à la gendarmerie l’adresse de la personne qui l’héberge. La jeune y décède suite à un coma diabétique (cf. Lien Social n°537). La justice lui demande des comptes. Relaxé en première instance, la Cour d’Appel de Rennes l’a condamné, en novembre 2001, à six mois de prison avec sursis. La cour de Cassation vient en août 2002 de rejeter le pourvoi en cassation.

Quel effet cela fait à un éducateur professionnel dont le métier, c’est avant tout de protéger les usagers qui lui sont confiés, d’être confronté à la mort de l’un d’entre eux ?

Bernard Samsonoff : Cela renvoie d’abord à beaucoup de culpabilité. Qu’est-ce qu’on n’a pas fait ou pas bien évalué ? Ce drame a été vécu très difficilement tant pas l’équipe éducative que par les jeunes du groupe qui avait accueilli C. Nous étions tous présents à l’enterrement, y compris les jeunes qui l’avaient souhaité. Nous avions acheté un bouquet de roses. Notre présence n’était pas que symbolique. Nous étions sincèrement bouleversés. Pourtant C. n’était chez nous, que depuis six jours. Nous avions reçu les parents peu après le décès : ils nous avaient remercié pour le travail accompli. C’est quelques semaines après, que l’éducateur et moi-même avons été convoqués par la police, comme témoins. Quatre heures d’audition au cours desquelles, nous avons très vite senti, que nous étions mis sur la sellette. Nous avons d’ailleurs appris que la juge d’instruction avait hésité à nous placer en garde à vue, pour éviter que nous communiquions entre nous. Au retour de cet interrogatoire, j’ai été beaucoup déstabilisé. Mon Directeur, mes collègues, le Conseil général m’ont tout de suite apporté leur soutien. J’ai reçu, par la suite, des messages de sympathie des quatre coins de la France. Mais la solidarité de proximité m’a manqué. Pas de cellule psychologique, par exemple, qui pourrait fonctionner aussi dans le cas d’agression de professionnels. J’ai, heureusement, pu m’appuyer sur ma famille, qui a été très présente, mais qui a, aussi, été marquée et perturbée par tout cela.

 

Comment avez-vous vécu les procès ?

Bernard Samsonoff : Un incident m’a beaucoup marqué, lors du premier procès. Nous étions dans la salle des pas perdus, au moment d’une suspension de séance. Je suis allé saluer la famille. La mère de C. a voulu me présenter la grand-mère. Celle-ci s’est levé et m’a dit « c’est vous qui avez tué ma petite fille ? », et sur ces paroles, elle m’a craché dessus. Un autre moment a été particulièrement pénible : ce sont la plaidoiries de la partie civile et le réquisitoire du procureur. J’ai eu l’impression de voir trente années de carrière remises en cause. Ils n’ont eu de cesse que de contester ma compétence, quant à la gestion que j’avais eu de la semaine de fugue de C. J’en suis sorti très blessé. Mais, c’est le procès en appel qui a été le plus terrible. J’y allais confiant. Mon avocat pensait que la relaxe serait confirmée. Appelé à la barre, j’ai perdu tous mes moyens. Le président du tribunal m’a beaucoup déstabilisé : il a passé son temps à fabriquer des éventails, des cocottes en papier et à jouer avec des élastiques. Il était convaincu que la façon dont la situation avait été gérée était pernicieuse. Plutôt que de plaider l’erreur, j’ai voulu défendre les stratégies éducatives que nous pensions alors juste, ce que mon avocat m’avait déconseillé. La partie civile et le procureur sont allés très loin : leur démonstration tendait à prouver que la mort de C. m’arrangeait. J’en suis sorti assommé. Pendant le procès, je me suis trouvé aux côtés de l’homme qui avait hébergé C. et n’avait pas réagi au moment de son coma. Cette personne avait déjà fait un nombre important d’années de réclusion criminelle. Son avocate, commise d’office dans les huit jours qui ont précédé le procès, a plaidé pour qu’il n’y ait pas une justice pour les gueux et une justice pour les intellectuels. Il fallait donc me charger. A la sortie de ce procès, j’ai reçu, là aussi, quelques marques de soutien. Mais beaucoup de gens ont pensé qu’il fallait me laisser tranquille. Je me suis senti seul. Ce qui m’a choqué le plus, c’est d’avoir été nié dans mon travail, que celui-ci n’aie pas été reconnu.

 

Qu’avez-vous à dire à ceux qui font le même métier que vous : faut-il arrêter de prendre des risques ?

Bernard Samsonoff : Si on arrête d’en prendre, autant arrêter de faire ce métier ! La question s’est posée l’été dernier, quand nous avons monté un transfert sur Biscarosse avec planche à voile, VTT etc. Nous avons eu un long débat qui, heureusement, a été tranché positivement. Ce drame nous a amené à mettre à plat toutes nos pratiques. Pour ce qui me concerne, je m’interroge sur chacune des décisions que je suis amené à prendre. Je crois qu’il faut se poser des questions en toute lucidité, et consulter son employeur sur leurs implications juridiques. Il devrait y avoir un spécialiste du droit attaché à  chaque établissement qu’on pourrait questionner. Pour ce qui me concerne, cette affaire n’est pas terminée. Nous nous sommes pourvus en cassation. Si nous obtenons satisfaction, il faudra revivre un nouveau procès. Encore trois ou quatre ans à travailler avec cette accusation d’incompétence et de responsabilité de la mort de C., au-dessus de moi. A sept ans de la retraite, je me suis posé la question de m’arrêter. Mais ce travail, c’est les trois quarts de ma vie. Je m’y suis engagé à fond. Je veux en sortir la tête haute.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Non paru ■ déc 2001