Rosenczveig J-Pierre - Droits de l'enfant

« C’est l’exercice des droits qui rend petit à petit l’action des parents inutile »

Jean-Pierre Rosenczveig est Président du tribunal pour enfants de Bobigny. Engagé dans le combat des droits de l’enfant, il est président de plusieurs associations intervenant dans le champ de l’enfance en difficulté dont l’Association Nationale des Communauté Educative (A.N.C.E.) et Défense des Enfants International (DEI-France). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Justice pour les enfants » (Robert Laffont) et « Le dispositif français de protection de l’enfance » (Jeunesse et droit)

Journal de l’animation : que répondez-vous à ceux et celles qui affirment que toutes les campagnes sur les droits de l’enfant n’ont fait qu’affaiblir l’autorité des adultes ?

Jean-Pierre Rosenczveig : je ne suis pas d’accord avec cette assertion. D’abord parce que rappeler les droits de la personne relève d’un principe fondamental qui ne souffre d’aucune espèce d’exception. Les droits de l’homme ne commencent pas à 18 ans !C’est là un des principes essentiels de la démocratie. S’il a fallu, à d’autres époques, réaffirmer les droits de l’homme en général, récemment ont été reposés ceux des femmes, des étrangers, des personnes en difficulté, des handicapés et aujourd’hui des malades, sans qu’on se soit interrogé sur les effets secondaires ou sur d’éventuelles affaiblissements d’autres parties de la population. Pourquoi en serait-il autrement pour les enfants ? Ensuite, croire -comme on l’affirme trop souvent- que l’évocation des droits de l’enfant aurait pu affaiblir l’autorité parentale, c’est ne pas comprendre ce qui les relie intimement. Car tout au contraire d’une représentation où l’adulte et l’enfant seraient placés chacun sur un plateau différent de la même balance (les avantages accordés à l’un se faisant obligatoirement au détriment de l’autre), il y a complémentarité entre leurs droits réciproques. Car, dans le même temps où on affirme que l’enfant est une personne, son premier droit est bien d’être protégé par ses parents. La responsabilité parentale est l’un des premiers droits de l’enfant !

 

Journal de l’animation : justement, en quoi consiste exactement cette responsabilité ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Il y a trop souvent confusion entre le pouvoir et la responsabilité : dire, en tant que parent, que je n’ai plus le droit d’attacher mon enfant au radiateur ou de lui brûler la pointe des pieds ne signifie pas pour autant que je n’ai plus de responsabilité à son égard. Là, on est a cœur du débat sur l’éducation : est-ce que la responsabilité parentale se réduit simplement au pouvoir sur l’enfant, au droit de donner des claques, au droit d’interdire ou de punir ? L’autorité parentale est bien une fonction exercée dans l’intérêt de l’enfant.  Le pouvoir qui en découle n’est pas une fin en soi mais le moyen d’exercer cette autorité. Si on me donne le droit de sanctionner mon enfant ou de lui poser des interdits, ce n’est pas un droit de contrainte qui m’est donné dans l’absolu. C’est un droit finalisé qui ne peut se justifier que pour le bien-être de l’enfant. Reste la vraie question : qui est aujourd’hui en situation d’exercer l’autorité parentale : c’est notamment le problème de ces enfants qui vivent sans père légal et ceux qui sont élevés par des beaux-parents.

 

Journal de l’animation : Où se termine les droits de l’enfant et où commencent ceux des adultes ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Parmi les droits des enfants, il y en a qui sont, au même titre que ceux des adultes, sans limites et ne supposent aucune restriction : le droit de ne pas être agressé, de ne pas être maltraité ou violenté, le droit d’avoir suffisamment à manger, de bénéficier d’un toit, de vivre en sécurité, etc … ces droits ne sont gagés par aucune forme de réciprocité ou de devoirs. Ce sont des droits absolus, presque purs. Celui qui pourrait les garantir, mais qui ne le ferait pas se mettrait en faute. Il y a ensuite ces droits qui font partie de l’apprentissage de la vie en société : ainsi, de ce droit de s’exprimer qui doit s’accompagner de l’obligation de ne pas injurier et de ne pas diffamer. C’est à l’adulte d’apprendre au jeune à exprimer ses prises de position en restant poli et correct. Enfin, il y  a d’autres droits qui sont propres au statut d’enfant. Jusqu’à ses 18 ans, la société estime qu’un être humain est plus faible et plus fragile. La période de minorité  marque un moment de la vie de l’homme dans laquelle il n’est pas achevé. Ce n’est qu’à la majorité qu’il va acquérir la pleine force intellectuelle et physique lui permettant d’affirmer sa place de citoyen avec toutes les capacités civiles, civiques et politiques qui y sont attachées. Bien sûr, cet âge est une convention. Avant 1974, la majorité était à 21 ans. Certains jeunes sont mûrs plus tôt, d’autres restent immatures plus longtemps. 18 ans, c’est une moyenne. Jusqu’à cette échéance, l’être humain va devoir bénéficier à la fois d’une protection et d’une représentation (par ses parents ou ses tuteurs). Il possède les mêmes droits que les adultes mais n’est pas reconnu en capacité de pouvoir les exercer. La hiérarchie qui s’établit à leur égard se base justement sur cette dépendance : l’enfant doit obéir à l’adulte parce que celui-ci a pour mission de le protéger.

 

Journal de l’animation : entre la naissance et la majorité, il y pourtant de la marge…

Jean-Pierre Rosenczveig : effectivement, petit à petit, l’être humain apprend à réagir sur ses conditions d’existence. Dès ses premiers mois, il peut refuser un biberon parce qu’il le trouve trop chaud ou au contraire protester parce qu’il n’en a pas assez. Entre 0 et 18 ans, la loi a mis en place des seuils d’âge qui correspondent à l’acquisition de certaines aptitudes. Il se voit reconnaître la capacité de faire et de s’exprimer : droit de saisir un juge, d’accomplir les actes de la vie quotidienne, d’être témoin en justice, de s’engager dans l’armée, de bénéficier de moyens de contraception, de tester, de léguer une partie de son corps etc... Quand, à 16 ans, l’enfant désire travailler, il lui faut l’accord de ses parents : ce sont ces derniers qui signent le contrat de travail. Mais, on tolère qu’il puisse toucher son salaire et le dépenser. Sauf opposition de leur part, il peut recevoir sur son compte en banque l’argent de son salaire et le dépenser comme bon lui semble.  Il y a toute une gradation qui lui permet de devenir progressivement le propre acteur de ses droits. Au fur et à mesure où il acquière une certaine capacité à avoir prise sur  les décisions qui le concernent, émerge parallèlement la logique de responsabilité. C’est d’abord la responsabilité civile, pour des fautes non intentionnelles ou intentionnelles, puis la capacité pénale acquise aux alentours de 7-8 ans ; à 13 ans il peut aller en prison. Mais, dans le même temps où montent tant ses capacités à intervenir dans le cours de sa vie que ses responsabilités civile et pénale, se réduisent d’autant les compétences qu’avaient acquis depuis le début le début de sa vie ses parents à le représenter et à agir pour lui. Dans le même temps où il acquière la possibilité d’exercer ses droits, ses parents perdent leur capacité d’agir à sa place.

 

Journal de l’animation : c’est un peu comme s’ils travaillaient à se rendre inutiles ?

Jean-Pierre Rosenczveig : effectivement, toute l’histoire de l’enfance réside dans ce cheminement : le droit et le devoir des parents consistent à préparer leur enfant à exercer ses propres droits. Et, justement, en lui apprenant à les pratiquer, ils travaillent à rendre inutile l’action qui consiste à le faire à sa place. Finalement, ce n’est pas tant la reconnaissance des droits de l’enfant qui réduit la compétence parentale, c’est la reconnaissance de leur exercice. Mais, c’est bien là la finalité de toute éducation : faire en sorte que le jeune humain acquière l’autonomie qui lui permette de se séparer de ses géniteurs. Inutiles au sens prosaïque, les parents continuent cependant à avoir dans la vie de leurs enfants, par delà leur majorité, une place essentielle affective et économique. Et puis, un jour l’ordre des jours s’inverse : les parents sont à leur tour biberonnés et protégés par leurs enfants ! Ainsi, va la vie de famille fait aussi de liens réciproques.

 

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Février 2001