Métivier Martine - Suicide 1
Reconstruire l’estime de soi
Martine Métivier est Directrice du centre Social Spécialisé « Recherche & Rencontres » à Nantes.
Lien Social : Y a-t-il un profil type du suicidant ?
Martine Métivier : Nous constatons une grande hétérogénéité des publics susceptibles d’avoir recours au suicide : il n’y a de profil ni en matière d’âge, ni au niveau de l’activité professionnelle. En fait, ce que l’on rencontre le plus, c’est bien cette atteinte de l’estime de soi qui amène le sujet à se croire seul, à penser que personne ne peut le comprendre et que l’autre pose un regard dévalorisant sur lui. Cet état d’esprit constitue une impasse qui se rétrécit au fil du temps. Si on n’y prend garde, cela peut amener au suicide.
Lien Social : La tentative de suicide est-elle l’aboutissement d’un grave accident de la vie ?
Martine Métivier : Ce qui est frappant, c’est de constater que pour certains, leur histoire de vie est tout à fait infernale, avec accumulation de traumatismes insupportables (avec parfois des successions incroyables : perte de toute sa famille dans un accident de la route, perte de son travail, vente de la maison …). A côté de cela, d’autres semblent s’effondrer sur ce qui peut nous sembler, à nous, trois fois rien. L’important dans notre travail d’aide n’est pas ce que l’on pense mais ce qui est ressenti par la personne en souffrance. Vouloir minimiser dans ces cas-là c’est donner le sentiment qu’on ne comprend pas. Ce qui compte avant tout, c’est bien d’entendre que l’autre va mal.
Lien Social : Justement comment intervenez-vous face à ces personnes en grande souffrance ?
Martine Métivier : Ce qui compte, c’est bien d’offrir un interlocuteur qui n’appartienne pas à l’entourage et qui ne relève pas du soin. Nous nous limitons dans notre action à l’expression de ce qui se vit aujourd’hui. Nous nous refusons à remonter avec la personne dans ce qu’elle a vécu dans son passé (ce qui reste du domaine du thérapeute ou du psychiatre). Nous ne sommes pas là non plus ni pour apporter des conseils, ni pour formuler des propositions. Tout cela, les gens peuvent le trouver ailleurs. Ce n’est pas cela qu’ils viennent chercher chez nous. Les personnes restent persuadées qu’elles ne peuvent plus trouver de solutions par elles-même. Leur en fournir serait les conforter dans cette conviction. Ce que nous essayons de faire, c’est tout au contraire, de faire émerger leurs propres potentialités, leurs propres compétences. Cela commence par valoriser le fait qu’ils se soient déplacés. Puis, pièce par pièce, nous allons les aider à reconstruire leur estime de soi. C’est toujours étonnant de constater à quel point ils y arrivent. Bien sûr, il y a toujours celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas entendre qu’ils (elles) sont capables de réussir. Mais notre cap reste toujours le même, mettre en avant le positif qui réside en chacun et faire sortir le sujet de l’enfermement. Car si on pense au suicide, c’est qu’il n’y a plus rien de formulable aux autres. Travailler l’envie d’aller vers les autres et celle des autres de venir vers soi, ce que nous faisons tout particulièrement dans nos groupes d'expression et de création, c’est aussi créer cette confiance trop souvent mise à mal chez les suicidants. Notre expérience nous montre que s’il ne faut pas grand chose parfois pour faire basculer dans le geste fatal, remonter la pente ne constitue pas un effort si surhumain qu’on pourrait le penser.
Lien Social : Face à un public aussi fragile, on pense inévitablement au risque de dérive sectaire et de manipulation ?
Martine Métivier : Les personnes qui viennent nous rencontrer sont très lucides sur cet aspect. Cela fait partie des questions qu’elles nous posent. A une période, c’était fréquemment qu’elles nous demandaient de justifier que nous n'étions pas une secte. Nous répondions volontiers et proposons encore aujourd’hui toute une documentation contre les sectes. Nous en parlons aussi entre accueillants et sommes attentifs à cette question.
Lien Social : Soyons un peu provoquant, que pensez-vous du droit au suicide ?
Martine Métivier : Le fait d’être mortel donne du goût à la vie. Le suicide est et restera une question existentielle permanente. Il serait fou de vouloir éradiquer cet acte qui reste attaché au droit de l’individu. Mais ceux qui viennent nous rencontrer ne demandent pas à mourir, mais à vivre avec moins de souffrance. « Je peux vivre, si je vis mieux que maintenant » c’est un peu ce qu’ils viennent nous dire. Et notre travail c’est bien de les accompagner à améliorer l’état de leur vie avec en moins la douleur qui les taraude. La liberté et le choix quant à l’acte de se donner la mort sont des mots de riche qui ne veulent pas dire grand chose quand on est submergé par l’angoisse. Comme disait un usager que nous avons reçu « mon psy m’a dit que j’étais inhibé. On peut l’être quand on a juste 2000 F par mois pour vivre » !
Centre Social Spécialisé « Recherche & Rencontres » à Nantes 2, rue Adolphe Moitié 44000 Nantes Tél. : 02 40 08 08 10
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°543 ■ 14/09/2000