Biland Claudine - Communication non-violente

Claudine Biland est docteur en psychologie sociale, membre associée du Laboratoire de Psychologie Sociale de l’Université de Paris 8. Ses travaux portent sur le comportement et la communication non verbale, plus particulièrement ceux associés au mensonge. Auteure de « Psychologie du menteur » paru aux éditions Odile Jacob, elle a permis de faire sortir la question du mensonge de sa gangue moraliste, en nous révélant à nous même que nous sommes tous des menteurs. Elle nous explique comment hiérarchiser les mensonges dont nous sommes victimes et comment y faire face.

Dans votre ouvrage, vous démontrez que le tout le monde ment tout le temps. Est-il donc impossible à l’être humain de vivre sans mentir ?

Claudine Biland: oui, c’est impossible. Un certain nombre d’études ont été menées pour le démontrer. Ainsi, l’expérimentation d’une chercheuse américaine, Bella DePaulo qui a demandé à plusieurs centaines de volontaires de tenir un journal hebdomadaire où ils décrivaient toutes les interactions qu’ils avaient pu avoir dans la journée. Plusieurs items devaient être renseignés : comment cela avait commencé, comment cela s’était-il terminé, à propos de quoi cette interaction avait eu lieu et puis, subrepticement si il y avait eu des mensonges, à qui ils étaient destinés, s’ils avaient été découverts, comment cela s’était terminé. Le véritable but de l’étude était le mensonge, mais les questions concernant ce sujet avaient été mélangées à d’autres, pour ne pas révéler ce qui était vraiment recherché (afin de ne pas induire les réponses). Après dépouillement, les résultats qu’elle a obtenus ont permis d’établir que les personnes de son échantillon mentaient en moyenne deux fois et demi par jour. Pour rassurer les gens qui ont une très haute conscience morale et qui sont persuadés ne jamais faillir, ils mentent eux aussi, ne serait-ce que sous la forme de mensonges altruistes, c’est à dire pour ne pas faire de la peine ou pour faire plaisir.

 

Comment expliquez-vous qu’une attitude si banale et universelle fasse pourtant l’objet d’une réprobation générale ?

Claudine Biland: le mensonge est condamné par la morale sociale, dans la mesure où cela crée une vexation terrible chez celui qui en est victime et a pour effet l’amoindrissement de la confiance. Ce qui est inacceptable, c’est cette transgression d’une règle morale implicite : la sincérité entre époux, dans la famille, dans les rapports très étroits entre amis. On n’a pas besoin de se promettre que l’on va se dire la vérité. Ce n’est pas imaginable de penser un seul instant qu’on va vivre avec des gens qui vont vous mentir, qui vont tricher. Il y a là une véritable trahison du contrat moral qui permet de vivre ensemble, en harmonie. C’est pour cette raison tout à fait légitime que le mensonge, quoique pratiqué quotidiennement, est en même temps rejeté unanimement.

 

En étudiant la question du mensonge comme vous le faites, vous semblez vous situer hors du champ de la morale. N’y a-t-il pas là un risque de naturaliser le mensonge et de le justifier ?

Claudine Biland: Je ne me situe pas en dehors de la morale. Mais ayant étudié le mensonge depuis une bonne quinzaine d’années, je suis devenue plus indulgente avec les menteurs, c’est à dire avec nous toutes et tous. Je me suis aperçue qu’il faut essayer avant tout de comprendre pourquoi les gens ressentent le besoin de mentir. Je pense qu’il faut établir une hiérarchie entre les mensonges. Et pour cela, il est nécessaire de se poser une question essentielle. Est-ce c’est pour nous nuire que l’on nous a menti ou pour nous protéger, garder notre amitié, éviter un conflit avec nous ? Il faut apprendre à faire le tri. C’est une question qui n’est pas beaucoup abordée ni discutée. Il faudra du temps pour qu’on accepte de mesurer la gravité ou la banalité d’un mensonge à son pouvoir de nuisance ou de préservation de bonnes relations sociales.

 

On pourrait donc déterminer une ligne blanche en deçà de laquelle le mensonge serait tolérable et au-delà, il ne le serait pas ?

Claudine Biland: nous avons tous un seuil moral. C’est un peu comme si nous avions des curseurs que nous pouvons positionner  sur ’’0’’ quand nous avons un seuil de morale très bas et sur ’’10’’, quand ce seuil est très élevé. Certains placeront ce curseur à deux, là où d’autres le placeront à six ou à huit. Chacun est à même de déterminer là où il va le placer. Je peux dire où, personnellement, je le placerai, mais pas dire où il faut que les autres le positionnent. En ce qui me concerne, le mensonge que je considère inacceptable, c’est celui qui vise avant tout à nuire à quelqu’un. C’est, par exemple, le faux témoignage qui mène en prison, comme cela s’est passé au moment du procès d’Outreau. Mais, c’est aussi la fausse information en bourse, qui permet de se faire malhonnêtement des fortunes ou le discours du patron qui dit que l’entreprise va mieux que mieux, ceci afin de faire baisser les soupçons et de déménager facilement les machines dans la nuit qui suit.

 

On enseigne aux enfants qu’il ne faut pas mentir. Mais sommes-nous crédibles dès lors où ils sont témoins permanents de nos propre mensonges ? Sommes-nous réduits à leur dire : fais ce que je te dis mais surtout ne fais pas ce que je fais ?

Claudine Biland: c’est là l’un des paradoxes de la nature humaine : nous sommes capables de dire à nos enfants qu’il ne faut pas commettre un acte, tout en nous autorisant, pour nous, à le faire. On peut sortir de cette contradiction en rappelant que nous sommes des exemples mais pas des modèles. Nous pouvons expliquer à nos enfants que si nous leur demandons d’éviter de mentir, c’est parce qu’on les aime, que l’on veut leur bien et que l’on souhaite leurs éviter des ennuis avec leurs amies et au sein de la fratrie. Nous pouvons faire cela, sans pour autant avoir besoin, de nous présenter comme des êtres parfaits et vertueux.

 

Quels conseils donneriez-vous à des animateurs qui sont confrontés aux mensonges que ce soit ceux des adultes ou ceux des enfants ?

Claudine Biland: il faut faire une distinction entre le mensonge qui a réussi et celui qui a raté. Celui qui fonctionne est par définition celui qu’on ne voit pas. Si on arrive à identifier que son interlocuteur est en train de mentir, c’est que sa tentative a échoué. C’est d’abord rassurant, puisque cela prouve qu’on a réussi à ne pas se faire manipuler. Se pose ensuite la question de l’attitude à adopter. Faut-il essayer de confondre le menteur ? Oui, s’il s’agit de lui signifier que l’on n’est pas dupe de ce qu’il essaie de nous faire croire et qu’il peut toujours insister, on ne le croira pas une seule seconde. Non, s’il s’agit de l’humilier. La pire des situations pour un menteur, c’est d’être confondu. La vexation qui s’ensuit est tellement insupportable qu’elle aboutit la plupart du temps à enfermer le menteur dans son mensonge. Pour éviter un tel blocage, mieux vaut éviter d’essayer de le démasquer en public ou de lui faire honte devant tout le monde. Pour comprendre ce que je vous explique, il suffit de se souvenir de situations au cours desquelles nous avons menti. Aurions-nous accepté de reconnaître notre forfait ? La plupart du temps, nous cherchons un échappatoire ou une excuse qui permet d’éviter cette confrontation. C’est extrêmement rare d’affirmer à celui à qui on vient de mentir : « oui, c’est vrai, je viens de te raconter des balivernes ». Ni les enfants, ni les adultes n’acceptent ainsi de reconnaître qu’ils viennent de transgresser une règle morale et tout ce que ça implique.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal De l’Animation  ■ n°70 ■ juin 2008