Trefois Patrick - Prévention
Patrick Trefois est Docteur en médecine. Après avoir pratiqué comme généraliste, il a centré son activité sur la prévention et la promotion de la santé. Il participe aux travaux de plusieurs conseils d'avis et groupes à thèmes. Il est responsable de l'association Question Santé (www.questionsante.org), reconnue comme organisation d'Education Permanente. Les propos qu’il tient ici s’inscrit pleinement dans l’ambition de son association : développer des aptitudes à l’analyse critique et à la citoyenneté active.
JDA : 7% des dépenses de santé sont consacrées en France à la prévention. Comment expliquez-vous le retard de la démarche préventive sur la pratique curative ?
Patrick Trefois : On a été, et on est encore, dans un discours triomphant de la médecine qui, dans ses excès, affirme que l’on peut tout guérir, que la science avance inexorablement, proposant toujours plus de nouveaux traitements. Cela rejaillit dans l’enseignement qui considère depuis longtemps la prévention comme le parent pauvre. Quand j’ai fait mes études, la médecine préventive et au-delà ce qu’on appelle aujourd’hui la promotion de la santé - le terme n’existait même pas à l’époque- faisaient l’objet de quelques dizaines de minutes dans les années d’étude. Les médecins n’avaient pas cette sensibilité, quand ils commençaient à exercer. Cela commence à changer. Mais si les professionnels n’attirent pas l’attention des politiques sur l’importance de la prévention, on ne voit pas pourquoi les politiques y consacreraient beaucoup de moyens. Paradoxalement, à côté de cela, la notion de prévention est utilisée un peu à toutes les sauces, devenant presque incantatoire, comme pour se dédouaner de toute une série de problèmes sociétaux.
JDA : l’utilisation de la peur et de la culpabilisation pour tenter de détourner des comportements à risque est-elle pertinente ?
Patrick Trefois : Je n’aime pas le mot « pertinence », utilisé sans aucune précision, car c’est toujours par rapport à un objectif que cela se pose. Il y a tout un débat autour de l’efficacité de l’intervention. Souvent il est mal posé car la question première est bien celle des objectifs précis fixés. Ainsi, ce n’est pas la même chose de définir la santé comme une absence de maladie ou un comportement précis ou bien comme l’équilibre de l’individu toujours à construire par rapport tant à son environnement qu’à la recherche de bien-être. Les manières d’atteindre ces objectifs relève donc d’un choix. En Belgique, le parlement de la Communauté française a adopté un décret qui se réfère à la Charte d’Ottawa. Ce texte privilégie des stratégies très précises : favoriser la participation des populations, créer des environnements publics favorables à la santé, soutenir des développements d’aptitude chez des individus… Ici, les critères d’efficacité proposés ne privilégient pas en priorité des changements de comportements. Je peux vous sembler éloigné de votre question, mais si je suis passé par cette digression, c’est parce que les partisans de l’utilisation de la peur défendent leur choix au nom de l’efficacité.
JDA : alors, justement, l’utilisation de la peur est-elle « efficace » ?
Patrick Trefois : Les utilisateurs prudents de la peur ont identifié un certain nombre de règles nécessaires pour obtenir le changement des comportements, tout en étant le moins nocif en terme de dégâts collatéraux. Il faut d’abord bien définir la menace et ne pas lancer des messages alarmistes qui risqueraient de créer une insécurité générale. Il est important, au contraire, d’être très précis et de bien cibler la question que l’on veut aborder. Il faut, ensuite, offrir une possibilité de réponse et ne pas laisser la personne qui reçoit le message seule face à la menace identifiée. Je pense qu’en outre il est essentiel que la solution proposée puisse être recevable et applicable par le public, notamment en terme d’accessibilité économique, culturelle géographique. Pour autant, je pense que dans le débat entre partisans et adversaires de l’utilisation de la peur, les arguments échangés relèvent plus de croyances, de valeurs et de choix idéologique que d’un débat scientifique. Personnellement, j’assume ma croyance, en affirmant que je n’y crois pas. Je suis convaincu que les choses sont bien plus complexes. Les facteurs explicatifs d’un comportement sont multi factoriels. Quand on montre une image choc à quelqu’un, on peut certes provoquer de l’effroi, mais aussi beaucoup d’autres réactions (tristesse, répulsions, révolte …). On ne peut pas établir une chaîne linéaire : on ferait peur et la conséquence serait que la personne se mettrait à changer son comportement. En réalité, je pense qu’on ne maîtrise pas tout à fait ce qui peut se passer.
JDA : Que l’on privilégie la pédagogie ou que l’on tente de faire peur, il est parfois difficile d’obtenir un changement de comportement quand pourtant tout démontre que celui-ci est porteur de risques. Comment l’expliquez-vous ?
Patrick Trefois : nous ne sommes pas des individus simples qui pourraient être réduits à l’une de leurs composantes. Il n’y a pas que la dimension raisonnable qui nous permet de soupeser le pour et le contre. Il y a aussi des comportements à risque qui nous apportent du plaisir. Il y a parfois de l’irrationnel peut-être lié au fait qu’on est amoureux ou au contraire qu’on n’est pas bien dans sa vie. Il y a toute une complexité de l’être humain qui peut expliquer pourquoi on ne va pas changer de comportement. Et puis il y a aussi l’environnement : a-t-on le temps de se préoccuper de sa santé ? A-t-on l’argent nécessaire pour changer d’attitude ? On ne contrôle pas tout : ni les conditions de travail, ni le quartier où l’on habite, ni les industries qui polluent. On compose, on essaie de garder un équilibre dans sa vie en fonction de tous ces éléments. Si on met en perspective tout ce contexte, on ne peut que le constater : c’est parfois difficile de changer des comportements.
JDA :D'une manière plus générale, qu’est-ce qui fait obstacle à une culture de la prévention qui porterait ses fruits ?
Patrick Trefois : Il y a un élément qu’il ne faut pas ignorer, c’est cette volonté normalisatrice qui prétend vouloir définir la bonne santé et à travers elle la bonne vie pour l’autre. Tout un chacun peut avoir un autre référentiel que celui qui est présenté comme une norme. Quelle légitimité peut avoir la prévention face à une telle dissonance ? Cela peut expliquer l’échec de certaines campagnes quand celles-ci se basent sur la volonté d’imposer une bonne façon de se comporter.
JDA : A quelles conditions la prévention doit-elle répondre pour être efficace ?
Patrick Trefois : cela concerne d’abord l’environnement. Il y a des conditions à créer pour que l’individu puisse s’épanouir et déployer sa santé au mieux. On sait que pour améliorer globalement la santé d’une population, il faut aussi s’intéresser à l’organisation de la société, peut-être à la politique du logement, à la sécurité au travail ou au contrôle de certaines pollutions. L’impact par le passé de la généralisation des égouts a démontré l’utilité des mesures publiques. Quant aux attitudes plus individuelles, il faut faire confiance à l’individu et avoir l’humilité de lui fournir le plus d’outils possibles, en lui laissant la liberté de déterminer son devenir. Il apparaît aussi essentiel d’intervenir tôt dans la vie. Ainsi à l’école, il y a très peu de messages généraux qui contribuent à la construction d’une culture de prévention autour de son corps et de ce qu’il faut mettre en œuvre pour en prendre soin de soi. Les pays scandinaves donnent un autre exemple de cette culture de prévention. J’ai été frappé, quand j’exerçais comme médecin généraliste à Bruxelles, de recevoir des patientes norvégiennes ou finlandaises qui venaient me demander spontanément des examens de dépistage. Elles le faisaient d’elles-mêmes, parce que, m’expliquaient-elles, elles en avaient entendu parler depuis qu’elles étaient enfants. Ce dont il s’agit, ce n’est pas de donner des cours de médecine vulgarisée, mais de sensibiliser très tôt à la responsabilité que l’on peut avoir à propos de soi et de son corps et du pouvoir qu’on a pour préserver son bien-être.
JDA : Quelles attitudes des animateurs confrontés dans le quotidien à des adolescents doivent-ils privilégier pour être incitateurs de comportements les moins nuisibles ?
Patrick Trefois : Animateur, c’est un métier de première ligne extrêmement difficile et je n’ai pas de recette miraculeuse. L’adolescence est un âge où il est très difficile de parler de prévention. D’abord, parce que c’est une période de la vie où on est souvent amené à expérimenter un certain nombre de choses. Il faut essayer d’encadrer le mieux possible, mais sans toujours pouvoir réussir à éviter les prises de risque. Ensuite, parce qu’il est difficile de poser des objectifs à long terme. Demain, ils s’en fichent, alors dans dix ans ou dans quinze ans : c’est quoi cela ? L’attitude la plus adéquate me semble être d’assumer sa position d’adulte : affirmer ses convictions, évoquer ses propres limites, parler avec authenticité, affronter les désaccords et ne pas hésiter même à entrer en conflit, si c’est de façon constructive. Bref, être le plus structuré possible pour permettre à l’adolescent de se situer. Je suis parfois frappé de voir des adultes essayer d’entrer dans une sorte de copinage, en perdant ainsi leur place. Il n’est pas toujours facile d’être un adulte face aux adolescents, mais c’est sans doute la chose la plus utile que l’on puisse faire pour eux.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
Journal De l’Animation ■ n°89 ■ mai 2008
Décisions marketing n°37, 2005, p.7