Tabare Catherine - Harcèlement au travail
« Ils commencent à changer, depuis qu’ils se sont pris un ’’strike’’ »
Catherine Tabare est chargée de mission sur le harcèlement moral au travail auprès du syndicat UNSA-défense. Elle apporte un soutien sans faille à Salomé T. depuis décembre 2005. Fonctionnaire du ministère de la défense depuis 30 ans, elle en connaît bien les rouages. Elle nous éclaire sur les tenants et aboutissants de cette affaire.
Le cas de Salomé T. est-il isolé au sein du ministère de la défense?
Catherine Tabare : La situation T. est représentative d’un certain malaise. La particularité des assistantes sociales exerçant au sein des armées, c’est l’obligation qui leur est faite de remonter toutes leurs informations à une double hiérarchie, à la fois sociale et militaire. Or, non seulement les cadres des services sociaux ne soutiennent pas leurs propres personnels, quand ceux-ci les informent d’actions qui peuvent compromettre l’institution ; mais comment peut-on imaginer qu’un officier de l’armée française puisse être soumis à deux modes de fonctionnement diamétralement opposés ? La hiérarchie militaire qui impose le compte-rendu et le code de déontologie de l’action sociale qui interdit le compte-rendu. Avant que Madame T. ne soit harcelée, deux autres assistantes sociales avaient été victimes des mêmes pratiques. Elles se sont mises en arrêt maladie, pour dépression. L’une a quitté le ministère de la défense pour l’administration pénitentiaire et l’autre a été mutée dans le sud de la France. Mais, il n’y a pas que les travailleurs sociaux qui soient concernés. D’autres personnels civils sont aussi victimes de tels agissements. J’ai une quinzaine de dossiers concernant le harcèlement moral et la discrimination au travail. On retrouve les mêmes situations dans d’autres ministères comme celui de l’Education nationale, mais aussi dans le cadre de la fonction publique territoriale.
Qu’est-ce qui, selon vous, explique la non prise en compte de ce qui relève à la fois du code pénal, du code du travail et le statut de la fonction publique?
Catherine Tabare : Certaines administrations ont adopté, depuis quelques années, une démarche de bien-être au travail. Les directeurs des ressources en place y reçoivent une formation spécifique et des bureaux sont mis à disposition, pour permettre de recevoir et de traiter les plaintes qui leur parviennent. C’est le cas, par exemple, du Ministère des finances, qui s’est donné les moyens d’enrayer tout harcèlement moral au travail, dès qu’il en est saisi. Malgré nos demandes récurrentes de mise en place d’une structure susceptible de traiter ces sujets, le ministère de la défense ne souhaite pas s’intéresser à cette question. Cette administration s’estime être au-dessus des lois. N’ayant jamais été condamnée, elle est toujours arrivée devant les tribunaux en position de force avec un orgueil démesuré, en se disant « je suis intouchable ». Ce comportement est du, en grande partie, je pense, aux responsabilités de gestion données à des militaires. Les mentalités ne sont pas les mêmes. Les voyous qui se rendent coupable de harcèlement moral argumentent en affirmant qu’en les attaquant on attaque l’armée. Ne confondons pas le sujet et l’objet, notre combat ne consiste qu’à vouloir aider l’institution à se débarrasser de ses voyous. Si l’administration couvre leurs agissements, elle se rend alors complice.
Etes-vous, optimiste pour l’avenir?
Catherine Tabare : C’est la première fois, en France, qu’un Tribunal administratif reconnaît un harcèlement moral. Jusqu’à présent, il n’était question que de pression morale. Le ministère ne souhaitait pas de jurisprudence. Ils en ont eu une au tribunal administratif. Et nous en aurons peut-être une au pénal. Cela le contraint à réagir. D’autant que les personnels civils ne se laissent plus faire. Les victimes veulent de plus en plus fréquemment déposer plainte. C’est aussi le résultat de l’affaire T. qui leur redonne du courage. Pour autant, la recrudescence de ce type de situation nécessite de notre part une grande vigilance. Je préviens systématiquement les victimes : dès l’instant où elles souhaitent s’attaquer à cette prestigieuse administration, celle-ci mettra tout en œuvre pour les faire renoncer à leur plainte. Ce ne sera pas une partie de plaisir. Le ministère n’hésite pas à faire pression. J’ai donné une interview à TF1. La direction de cette télévision a décidé de ne pas diffuser le reportage réalisé sur le harcèlement moral au travail. Pour tenir, il faut beaucoup de persévérance. Mais il faut aussi être bien entouré, notamment par des syndicats et des avocats qui acceptent de s’affronter au ministère de la Défense. Pour autant, nous pouvons être raisonnablement optimiste pour l’avenir. Je suis confrontée actuellement à des situations de harcèlement sur des personnels handicapés. J’ai été contactée immédiatement par le service du ministère de la défense ayant en charge le dossier handicap. Je crois qu’ils sont enfin sensibilisés aux types de problèmes rencontrés au sein des armées.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°900 ■ 09/10/2008