Brunschwig Hélène - Psychologie

Hélène Brunschwig est psychologue et psychanalyste, ancienne ingénieure d'étude au CNRS, en psycholinguistique. Elle a longtemps reçu des enfants et proposé des consultations mère-enfant. Elle ne travaille plus aujourd’hui qu’avec des adultes. Mais sa longue expérience lui permet de porter un regard avisé. Son humilité et son esprit d’ouverture, dans un milieu farci de certitudes, en faisait la personne ressource idéale pour nous éclairer sur le rôle et la place que peut jouer la psychologie dans notre existence.

Les connaissances en psychologie sont-elles réservées aux professionnels de la thérapie ou peuvent-elles aussi aider chacun dans son quotidien ?

Hélène Brunschwig: pour l’avoir vérifié sur d’autres personnes, et sur moi-même, je peux vous affirmer que la psychologie peut nous aider dans notre quotidien. Elle permet de prendre une certaine distance à l’égard de ce qui apparaît au premier abord et d’essayer de comprendre ce qui est en train de se passer, en évitant d’en rester aux réactions automatiques et spontanées. Ainsi, par exemple, face à quelqu’un qui se met en colère, l’attitude la plus fréquente est de se mettre soi-même en colère. On peut, grâce à un minimum de connaissances psychologiques, ne pas reproduire ce comportement en miroir, en réfléchissant à ce qui provoque cette attitude et en essayant d'entrer en dialogue avec la personne. Ce qui permet de désamorcer un engrenage qui souvent ne mène à rien de constructif. Pour ce qui concerne les enfants, il en va de même. La connaissance de leur développement est précieuse pour celles et ceux qui les éduquent. Par exemple, les mères sont souvent très inquiètes face leur enfant quand celui-ci refuse de manger. Mais, dès lors qu'elles savent que cela peut parfois être pour lui un moyen d’opposition tout à fait naturel, elles peuvent bien plus facilement dédramatiser cette situation. La psychologie nous aide donc à aller voir au-delà des apparences.

 

Pouvez vous nous donner quelques illustrations de l'utilisation de concepts psychanalytiques dans le travail d'animateur?

Hélène Brunschwig: la première idée qui me vient est importante, car elle peut être très utile pour tous les métiers relationnels : beaucoup de nos problèmes ont une origine dont nous n'avons pas conscience. Certaines pensées ou sentiments existent en nous, sans qu’on le sache. Il est très important que l’animateur tente de comprendre les origines subconscientes tant de ses propres attitudes que de celles des personnes qu’il a en face de lui. Il ne suffit pas de se plaindre par exemple d’un enfant qui a des difficultés relationnelles ou qui ne peut pas supporter l’autorité. Il faut se poser la question de ce qui fonde de tels comportements. Mais il faut se demander tout autant ce qui est en jeu chez l'adulte qui explique qu’il ne les supporte pas. Il y a là, à la fois deux inconscients, en même temps que deux conscients qui entrent en jeu. On peut illustrer ce qui se met en œuvre, par le mécanisme de la projection : avoir le sentiment que l’autre vous en veut ou est désagréable peut venir effectivement de l’agressivité de son interlocuteur. Mais cela peut aussi venir du fait qu’on se soit levé de mauvaise humeur ou que l’on est soi-même en souffrance, souffrance que l’on projette sur l’autre, en pensant que cela vient de lui. Alors que cela vient en fait du plus profond de soi.

 

Les animateurs sont fréquemment confrontés à une relation affective avec les enfants qu’ils ont en charge. Quel éclairage pouvez-vous leur apporter à ce propos ?

Hélène Brunschwig: dans la relation entre l’animateur et l’enfant, il peut y avoir des affinités ou au contraire des rejets. Il est important de comprendre pourquoi et là comme ailleurs, il faut réfléchir à ce qui se joue dans ce qui nous attire ou au contraire dans ce qui nous répugne. Lorsque l’enfant s’attache à un animateur, il apparaît notamment important de distinguer ce qui relève de l’attirance pour la personne de cet adulte-là ou ce qui correspond plus à ce qu’il représente (comme par exemple une figure de père ou de mère, dans le cas d’un enfant qui en est privé). Une réflexion en équipe autour de ces problèmes est intéressante à condition toutefois d’éviter les réflexions jugeantes ou stigmatisantes. L’idée est d’arriver à déterminer la bonne distance et la bonne proximité. Il peut être parfois nécessaire d’en parler aussi avec l’enfant lui-même, pour lui expliquer les raisons qu’on pense avoir du rejet ou de l’attirance à son égard (comme par exemple quand celui-ci nous rappelle un petit frère ou une petite sœur particulièrement attachant ou au contraire agaçant).

 

Il est courant d’entendre les professionnels de l’Education nationale ou du secteur de l’animation affirmer que tel enfant « devrait aller voir un psy ». Quels sont pour vous les signes et manifestations qui justifient une telle consultation ?

Hélène Brunschwig: l’un des critères principaux, c’est lorsque le trouble dure trop longtemps. Quand un enfant se replie momentanément sur lui-même ou qu’il fait preuve de grande excitation après un évènement traumatisant, par exemple après avoir perdu un parent proche ou un animal familier, le mieux c’est de le laisser tranquille, tout en lui proposant des activités qui l’intéressent. Il ne faut pas mobiliser les psychologues à tout propos. Mais, en même temps, il ne faut pas négliger ou passer à côté de certaines angoisses qui peuvent être terribles pour les enfants. Lorsqu’une attitude inquiétante perdure dans le temps, lorsqu’un blocage se prolonge, sans qu’on puisse rien y faire, c’est alors qu’il faut penser à consulter. Car des mécanismes inconscients peuvent paralyser l’intellect, quand ils sont trop forts, nécessitant alors l’intervention d’un thérapeute. J’ai souvenir d’une petite fille qui ne réussissait pas à lire. Elle me faisait des dessins avec beaucoup de petites fleurs. Ce n’est que lorsqu’elle m’a dessiné un requin avalant ses fleurs, qu’on a pu aborder le fantasme de dévoration qui la taraudait. On a travaillé pendant un an ensemble sur ses peurs, ce qui lui a permis de devenir enfin disponible aux apprentissages intellectuels.

 

Que pensez-vous de la guerre entre psychologues, chacun prétendant détenir la vérité ?

Hélène Brunschwig: je trouve cette guerre épouvantable. Je suis totalement opposée à l’idée qu’il puisse exister une vérité. Il y a tellement eu de guerres, de morts et d’inquisitions à cause de cette notion. Je n’appartiens à aucune école. Je fais partie d’une association internationale de psychanalystes d’enfants, car j’ai pu constater que ceux qui s’occupent des enfants ne se réfèrent à aucune théorie dominante.

 

En tant que thérapeute, vous vous appuyez à la fois sur les théories psychanalytique et systémique, pouvez-vous nous illustrer en quoi ces deux approches peuvent être complémentaires ?

Hélène Brunschwig: Il existe des thérapeutes qui font le choix de s’inscrire dans le courant psychanalytique, s’opposant farouchement à l’approche systémique, considérant qu’elles sont exclusives l’une de l’autre. C’est tout aussi vrai dans le sens inverse. Je suis, quant à moi, persuadée qu’elles peuvent se concilier. L’âme humaine est animée de conflits internes qui sont à l’origine de nos difficultés. Mais à cette dimension intra subjective, se rajoute la dimension intersubjective, ne serait-ce qu’au sein de la famille. Il faut tenir compte des deux. Pour vous illustrer cette articulation, je peux évoquer la situation de ce jeune qui avait des problèmes de mémoire : il n’arrivait à rien retenir. En entretien, j’ai abordé avec lui, à un moment, son histoire familiale. Nous avons fait un génogramme : c’est une technique systémique qui consiste à reprendre schématiquement l’arbre généalogique. Cela a permis de l’aider à identifier tout un passé qui pesait lourdement sur ce qu’il vivait. En débrouillant l’imbroglio de ses parents et grands-parents, il a pu se libérer progressivement de ses difficultés et enfin s’autoriser à utiliser sa mémoire, le souvenir des générations précédentes n’étant plus tabou. Il était nécessaire à la fois d’entrer dans ses problèmes spécifiques, tout en ne niant pas que ceux-ci étaient aussi enracinés dans ceux de sa famille. A la fin de la thérapie, il m’a annoncé son intention de devenir historien !

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal De l’Animation  ■ n°93 ■ nov 2008