Thomas Philippe - Prix de l'animation
« Une saine gestion financière favorise plus qu’elle ne bloque l’innovation »
Philippe Thomas est Directeur de l’Office Municipal de la Jeunesse à Saint Nazaire, depuis janvier 2004. Entré dans l’animation d’abord comme bénévole en 1971, puis comme professionnel en 1976, il est titulaire d’un DEFA et d’un DESS en gestion des entreprises. C’est à partir de sa place de direction, mais aussi de ses expériences dans le secteur de l’éducation populaire qu’il répond à nos questions.Le Journal de l’animation: pouvez-vous nous décrire comment se répartissent les charges de fonctionnement d’un séjour de vacances ou d’un accueil de loisirs ?
Philippe Thomas : à l’OMJ, mais cet exemple n’est pas généralisable, les charges d’une colonie se répartissent entre 38% consacrés à la restauration et à l’hébergement, 30 % aux salaires, 20% à des coûts indirects de fonctionnement, 7% au transport et 5% aux dépenses pédagogiques. Pour ce qui est des centres de loisirs, le coût fixe indirect reste de 20%. Le reste se répartit d’une façon très différente selon la saison : ainsi, les salaires passent de 51% l’été à 65% les mercredi et petites vacances et les transports doublent en juillet et août. L’évolution de la masse salariale varie selon que l’on ait à faire à des occasionnels (plutôt en été) ou à des salariés à temps plein (plutôt le reste de l’année). Le chapitre « hébergement » a subi une hausse spectaculaire ces dernières années. Les centres de vacances ferment les uns après les autres, sans que les pouvoirs publics ne s’en préoccupent. La facturation de ceux qui survivent devient prohibitive, sans parler des campings de plus en plus onéreux. Heureusement, nous travaillons avec des campings à la ferme et le réseau des fédérations d’éducation populaire qui réussissent à maintenir quelques structures de vacances.
Le Journal de l’animation: dans quelles proportions, les financements publics ont-il évolué au cours des années ?
Philippe Thomas : nous avons subi deux évolutions. La première est qualitative : nos relations avec les financeurs sont dorénavant régies par des critères de quantification, par des indicateurs de résultats, par des grilles d’évaluation. Il est terminé le temps du soutien aux associations pour leur utilité sociale. Il faut répondre à des appels d’offre exigeant des innovations pédagogiques sans suite. Mais, il y a aussi le quantitatif : la CAF n’a pas reconduit en 2006 le contrat temps libre avec la mairie qui nous apportait 650 000 € de subventions. La municipalité qui, déjà finance la moitié de nos 4 millions de budget, a comblé intégralement ce manque à gagner la première année. Puis, elle a diminué de 150.000 € chaque année, en nous demandant de faire des économies. Pour autant, je considère que nous sommes privilégiés, puisque nos partenaires, la Mairie de Saint Nazaire et le Conseil général de Loire Atlantique sont particulièrement sensibilisés au secteur de l’éducation populaire.
Le Journal de l’animation: quel impact ces restrictions ont-elles sur le quotidien des animateurs et animatrices ?
Philippe Thomas : ces restrictions ne peuvent qu’avoir des effets négatifs tant sur la qualité que sur la quantité de nos animations. Nous proposions chaque été trois camps de quinze jours. Nous ne pouvons plus en assurer qu’un seul. Nous essayons de mutualiser l’utilisation du matériel et de rationaliser en utilisant l’économie d’échelle. On vérifie si le temps de préparation nécessaire est bien utilisé et ne donne pas lieu à des gaspillages. Les actions que nous avons menées hors mur en direction des publics qui ne viennent pas vers nous ont du être réduites. Il nous arrive de diminuer de trente minutes le temps de certaines animations ou les horaires d’ouverture. On n’a pas le choix : il nous a fallu économiser 300.000 €, en trois ans…
Le Journal de l’animation : pensez-vous qu’à l’avenir, les organisateurs devront faire de plus en plus appel aux ressources des familles ?
Philippe Thomas : je ne sais pas ailleurs, mais à Saint Nazaire cela m’étonnerait. La municipalité est très attentive aux contributions financières demandées aux familles. Beaucoup d’autres solutions seront trouvées avant d’en arriver à une augmentation du prix des prestations.
Le Journal de l’animation: n’y a-t-il pas un risque de voir le secteur lucratif venir concurrencer les associations de loisirs et de vacances, avec la tentation d'afficher des offres les plus alléchantes pour attirer le client ?
Philippe Thomas : je trouverais cela très stimulant de me retrouver face à des entreprises privées. Nous avons à l’OMJ une capacité d’innovation qui nous permettrait de relever le défi. Je ne prétends pas qu’on est parfait. Mais on sait s’adapter et on dispose pour cela d’un personnel qui a acquis une compétence, une qualification et une expérience qui nous permettraient de faire face. Non, en proposant des destinations ou activités mirifiques, mais en assurant la qualité éducative de nos prestations. On en parle depuis des années de l’arrivée du secteur lucratif. Mais je ne suis pas inquiet. Pour que cela se fasse, il faudrait qu’il ait quelque chose à y gagner. Et il n’y a pas beaucoup de profits à faire chez nous. Si cela existe, cela reste marginal.
Le Journal de l’animation: comment réussir à articuler les valeurs de l’éducation populaire et une saine gestion dans le secteur de l’animation ?
Philippe Thomas : Je pense que cette articulation est tout à fait possible. On ne peut faire l’économie ni du réalisme, ni de la lucidité : pas d’éducation populaire sans mobilisation des moyens. Et pas de ressources possibles si nous les gaspillons dans des actions utopiques vouées à l’échec. Ma formation en gestion des entreprises constitue un précieux atout pour ma fonction de Directeur. Car c’est la rigueur avec laquelle on peut gérer les finances qui permet ensuite de garantir la promotion des valeurs de l’éducation populaire grâce par exemple à la qualification des personnels ou la proximité avec notre public. Si nous avons du réaliser des économies, nous avons parallèlement investi dans la formation professionnelle. Depuis bientôt cinq ans, 36 des 110 salariés permanents ont suivi un B.P. et 2 un D.E.. De même, sommes-nous très attentifs à l’évolution de notre public, pour essayer d’y répondre au plus près. Des projets voient le jour comme les échanges internationaux ou un atelier permanent de comédie musicale. Un saine gestion n’empêche pas l’innovation : elle la favorise.
Le Journal de l’animation: que pensez-vous de la gratuité des activités d’animation ?
Philippe Thomas : je suis un fervent partisan de l’équité sociale. Nous avons passé une convention avec la CAF pour pouvoir avoir accès à ses données du coefficient familial des familles. Cela nous permet d’adapter les contributions demandées aux ressources réelles. Mais je ne crois pas que la gratuité soit conforme aux valeurs de l’éducation populaire : c’est de la charité pas de la solidarité. Aussi minime soit-elle (la carte d’adhésion de l’OMJ coût 3,5 € l’année), je pense qu’une transaction financière doit toujours intervenir avec les familles. Il est important qu’il y ait contrat entre deux partenaires qui se reconnaissent comme tels. Il en va de la dignité des familles, essence même de l’éducation populaire.
Jacques Trémintin - 01/11/09