Rosenczveig Jean-Pierre - CIDE

Il reste encore beaucoup à faire - CIDE

Pour Jean-Pierre Rosenczveig, Président du tribunal pour enfants de Bobigny et Président du Bureau international des droits de l'enfant, la dynamique provoquée par la Convention internationale des droits de l’enfant a permis un certain nombre d’avancées qu’on ne saurait nier. Mais, vingt ans après, on ne peut se contenter de s’en féliciter. Le combat reste plus que jamais d’actualité.

En quoi cette convention (CIDE) a-t-elle changé quelque chose à la situation des enfants dans le monde ?

Jean Pierre Rosenczveig : Personne ne contestera que le sort de millions sinon de centaines de millions d'enfants de par le monde soit effroyable. Les rapports annuels de l'UNICEF en témoignent. Et il est même à craindre que la crise financière qui a fait le tour de la planète ne vienne frapper de plein fouet les plus faibles, y compris bien évidemment, dans les pays dits développés. Alors inutile la Convention internationale sur les droits de l'enfant ? Un chiffon de papier (dixit les Chinois) adopté par le "Machin" expression du général de Gaulle pour typer l'ONU ? Il faut déjà rappeler que l'adoption d'un texte, consacrant les droits des enfants à l'échelle internationale et s'imposant de façon contraignante pour les Etats, est une nouveauté. La situation des enfants dans le monde dans la décennie 60, quand les budgets sociaux et éducatifs étaient sacrifiés pour faire face à la crise de l'époque, appelait à un sursaut. Il y avait bien quelques 80 instruments juridiques disparates. Il fallait en terminer avec les simples Déclarations, pétition de principes, telles celles de 1924 de la SDN et de 1959 de l'ONU. Le combat pour déboucher sur cette convention aura duré quasiment un siècle. Cela  a abouti à un seul et unique texte dégageant un vrai projet de société et offrant une vision panégyrique des droits civils, politiques, sociaux, culturels et économiques de l'enfant. Le succès a dépassé les espérances. On craignait de ne pas avoir les 20 ratifications nécessaires à l'entrée en vigueur du texte ; dès août 1990, elles étaient réunies. Aujourd'hui, il ne manque que deux pays à l'appel, les USA et la Somalie privée de gouvernement. Depuis, deux sommets mondiaux pour l'enfance ont été organisés l'un en 1990, l'autre en 2002. Des engagements très concrets ont été pris par les Etats qui n'ont pas tous été ténus, mais des résultats ont été acquis sur le terrain de la santé, de l'éducation, ou encore de la protection physique des enfants ou contre les atteintes sexuelles. Indéniablement, on reste loin du compte mais une dynamique est en cours. Mieux, ce n'est pas n'importe quelle conception de l'enfant dont la CIDE est porteuse : on est sorti de l'idée que les enfants ne sont que des êtres fragiles qu'il faut protéger ; on voit dans l'enfant une personne qui, à ce titre, a une sensibilité, des affects, des attachements, une conscience et donc, on reconnaît sa liberté de penser et de s'exprimer. Comme personne, il doit être respecté dans son corps, mais comme personne il doit aussi se voir reconnaître le droit de participer à la gestion de sa vie, certes comme l'enfant qu'il est, mais en tout cas mieux qu’un enfant objet réduit à être géré par les adultes. Bref, la CIDE est tournée vers le XXI° siècle et non pas vers le XIX°. Déjà, deux protocoles additionnels ont été ajoutés et le comité des experts a été renforcé tant dans son nombre de membres que dans les moyens dont il dispose. Aujourd'hui, la CIDE joue son rôle de référence universelle. Dans beaucoup de pays, elle contribue à alimenter des utopies, mais des utopies qui donnent de l'espoir et cristallisent le mouvement pour le changement. Au total, n'oublions pas qu'on est dans le registre international et dans celui délicat des droits humains, trois pas en avant, deux pas en arrière. Ce rythme est frustrant ; mais on avance à petits pas. Ici il faut donner du temps au temps.

 

La France respecte-t-elle cette convention ? En quoi notre pays a-t-il fait évoluer sa législation ? Où cela pêche-t-il encore ?

Jean Pierre Rosenczveig : La France a signé le traité avec 60 autres États, en janvier 1990 puis l’a ratifié en 1991, en  ne déposant qu'une réserve (art. 30) et deux déclarations interprétatives. « Je sais que ce sera dur d'appliquer ce texte, mais nous le ferons » déclara François Mitterrand, Président de la République devant le congrès de l'UNAF, en 1991. Elle a déjà eu trois fois à rendre compte de son respect de la CIDE. Force est de constater que la France n'était pas la moins bien placée pour signer ce texte. Pour autant, sur certains points, elle n'était pas à niveau car par-delà les compromis (droits à la vie, IVG, enfants soldats, travail des enfants), l'exigence de la CIDE est bien réelle (accès aux origines, droit d'expression et d'association, etc...). Avant même la ratification, la France a eu le souci de se mettre en conformité sur les quelques points en contradiction avec la CIDE (par exemple la loi sur les enfants mannequins ou la loi sur l'autorité parentale). Depuis 20 ans, nous avons continué à faire évolué notre législation. Je retiendrai quatre exemples. 1) Il aura fallu pas moins de trois lois (1987, 1993 et 2002), pour en arriver à consacrer la coresponsabilité parentale, c'est à dire le droit de l'enfant à deux parents également responsables. Reste qu'on a loupé la première marche qui aurait voulu que l’on consacre le droit de l'enfant à une double filiation paternelle et maternelle. Là, le droit des adultes et leur liberté, l'emportent encore. 2) Le droit de reconnaître ses parents et d'être élevé par eux (art. 7) a progressé avec la loi de 2001 ; mais pour autant nous gardons cette spécialité française et luxembourgeoise qu'est l'accouchement sous X où une mère sinon un père peut priver un enfant de sa filiation. 3) La liberté de pensée et d'expression, consacrée dans les articles 12 à 15, s’est concrétisée sous plusieurs formes. Le décret de janvier 1991 d’abord et les 4 circulaires d'application qui ont suivi qui concernent les élèves du secondaire. Mais qui se souvient aujourd'hui de ces textes ? La loi du 4 avril 2002 ensuite, qui établit le droit de l'enfant à s'exprimer sur toutes les affaires le concernant, ses parents étant tenus de le consulter. La loi du 5 mars 2007, enfin, qui lui reconnaît le droit à être entendu en justice. Jusqu’alors, il pouvait seulement demander à être entendu et le juge pouvait refuser (loi Malhuret de 1987). 4) Le droit des enfants handicapés a singulièrement progressé, allant jusqu'à la consécration d'un droit opposable. Reste qu'en pratique, 15 à 20 000 enfants porteurs de handicap ne sont toujours pas scolarisés, et ce dans la cinquième puissance économique du monde. On pourrait prendre d'autres exemples qui montre que l'on progresse, mais à pas comptés et ce, d'autant plus, que l'idée même de droit des enfants n'a plus bonne presse en France : on parlerait plutôt devoirs que droits. La France est en défense et se méfie de ses enfants et de ses jeunes. Le projet de code de justice pénale des mineurs illustre bien cette tendance. Le Comité des experts de l'ONU ont été sévères, ayant eu l'occasion, en 2004 et 2009, de faire part au gouvernement français de ses réserves sur la dégradation de son droit pénal des mineurs. Même si nous n'avons pas à rougir de tout ce que nous faisons, le sort auquel sont voués les enfants étrangers isolés est lui aussi préoccupant : le refoulement à la passerelle est une réalité tout comme la non régularisation de certains jeunes, après des années de séjour (même si nous en obtenons beaucoup, malgré tout). On manque toujours d'une politique de l'enfance avec une cohérence et un pilote dans l'avion. Nous méritons, me semble-t-il, entre 12 et 14 sur 20, mais certainement pas un 16. Ce qui est quand même  un problème pour la patrie autoproclamée des droits de l'Homme.

 

Comment analysez-vous la menace qui pèse sur la défenseure des enfants ? Attaque délibérée d'une institution qui gène ou résultat d'une politique générale de réduction des attributions de l'Etat ?

Jean Pierre Rosenczveig : Il s'agit incontestablement d'un mauvais coup, volontaire ou non. Je ne pense pas qu'on ait voulu tordre le cou d'une institution dérangeante ; je crois surtout qu'on n’a pas vu le problème de cette suppression, intervenant qui plus est à quelques mois du vingtième anniversaire de la CIDE. Je crois à la thèse de la recherche des économies à tout crin des dépenses de l'Etat, sachant par ailleurs qu'on peut aussi avoir à dilapider l'argent public sur des enjeux qui paraissent prioritaires comme la réussite de la présidence française de l'Union Européenne. Ce n'est pas rabattre l'importance du travail développé par Claire Brisset, puis pas  Dominique Versini que d'affirmer que les droits des enfants ne préoccupent pas ceux qui nous gouvernent aujourd'hui. On retrouve dans le projet de fusion du  Défenseur des enfants au sein d’un Défenseur des droits plus large ce que j’évoquais tout à l’heure : la dynamique de la fin des années 80 est aujourd'hui morte. Il est possible que nous obtenions que, finalement le Défenseur des enfants soit certes intégré au sein d'institution plus vaste, mais reste nommé en conseil des ministres, avec une réelle autonomie. A défaut, nous vivrions une régression majeure et la baffe au Comité des experts serait encore plus violente, alors même que celui-ci a recommandé de mieux mobiliser le Défenseur des enfants. Bref, plus que jamais le 20 novembre 2009 ne doit pas être un temps de commémoration, mais un temps de combat. Il faut inverser la régression dans laquelle nous sommes entraînés et relégitimer le thème des droits des enfants. Avec 2 millions d'enfants pauvres, rien que dans notre pays, il y a malheureusement matière. Nous proposons d'inverser la logique et de voter un texte de loi pro actif, pour promouvoir le bien-être des enfants de France.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■  n°950 ■ 19/11/2009