Dubasque Didier - Secret professionnel
Nous ne laisserons pas liquider le secret professionnel
Didier Dubasque est assistant social et secrétaire général de l’association nationale des assistants de service social. Didier Dubasque faisait partie de la délégation reçue par Nicolas Sarkozy, pour tenter de faire adouber par les professionnels l’exécution du secret professionnel. Chronique d’une mort annoncée.
Le gouvernement n’en est pas à sa première tentative de remettre en cause le secret professionnel…
Didier Dubasque : Ce n’est effectivement pas la première attaque. La loi dite de sécurité intérieure avait déjà fait obligation de signaler à la police tout usager jugé dangereux, notamment s’il était en possession d’une arme. Puis la loi Perben II a permis aux officiers de police judiciaire d'accéder aux dossiers sociaux sans commission rogatoire. A l'époque nous avions dû batailler ferme pour défendre le secret professionnel. Le projet initial nous obligeait à répondre aux interrogatoires sans possibilité de nous y opposer. Il y a eu ensuite le rapport Benisti. Celui-ci préconisait l’obligation faite aux travailleurs sociaux d’informer le maire dès qu’ils avaient connaissance d’une famille en difficulté. Nous avions rencontré le député Benisti en juin 2005 pour lui expliquer l’importance cruciale de la confiance dans la relation d’aide. Nous avions été très surpris de son argumentation qui partait de faits tout à fait anecdotiques qui ne permettaient en aucun cas de justifier ce qu'il préconisait. Nous lui avions remis des fiches techniques qui définissaient le fondement du secret professionnel et les conditions dans lesquelles il pouvait être levé, ce qui est tout à fait suffisant à nos yeux pour protéger un enfant ou un adulte vulnérable en danger. Nous pensions que ces éléments allaient être pris en compte. Nous nous sommes rendus compte que dans la proposition de loi qui nous a été remise début mai, rien n’avait bougé sur ce point. Si ce texte passe en l’état, c’est la mort du secret professionnel. Les salariés qui y sont tenus aujourd’hui ne pourraient s’opposer à une demande d’information dont ils seraient saisis par le maire. Illustration : quand une mère va sortir de la maternité en ayant manifesté quelques troubles de l’attachement ou des difficultés de communication avec son bébé et qu'un travail est engagé auprès d'elle, elle devrait faire l’objet d’une transmission d'information auprès du maire ou de son représentant.
Vous avez été reçu par Nicolas Sarkozy les 5 mai dernier pour évoquer cette question. Que s’y est-il passé ?
Didier Dubasque : Le ministre a demandé de nous rencontrer avec 17 autres associations, essentiellement des associations d’employeurs comme l’UNAPEI, les CEMEA, le CNALPS, la FN3S, l’UNIOPS, l’UNAF… Au cours d’une réunion préparatoire, nous avons d’ailleurs décidé de parler d’une seule voix. Hors réunion, Rachida Dadi, conseillère technique du ministre sur ce dossier, nous a affirmé que les termes employés « Tout professionnel est tenu d’informer le maire » n’impliquait aucune obligation. Quand nous nous sommes étonnés, elle nous a rappelé sa formation de juriste pour appuyer sa position. Ce qui nous rassure c’est que nous étions tous unanimes dans notre opposition aux différents articles qui nous ont été présentés, notamment l'article 5 du projet de loi. Ce qui nous rassure moins, ce sont ce les trois priorités que nous a présentées Nicolas Sarkozy lors de cette rencontre : il a d’abord affirmé que la sanction a valeur de prévention. C’est la remise en cause de l’esprit de l’ordonnance de 1945. Le second point évoqué, c’est la détection précoce des troubles de comportement. « Tous les troubles du comportements ne conduisent pas à la délinquance, mais tous les délinquants ont commencé par des troubles du comportement » nous a-t-il certifié. Il est convaincu que la meilleure façon de s’attaquer aux futurs délinquants, c’est de repérer dès maintenant les enfants qui ont des troubles du comportement. Son troisième point, c’est le partage de l’information et la coordination des intervenants. Nous avons demandé une véritable concertation tout en précisant qu'y soient associés nos ministères de tutelle ainsi que le Conseil Supérieur de Travail Social. Au préalable, nous avons souhaité avoir connaissance de la globalité du texte que nous ne connaissons que par bribes, afin de le commenter et de pouvoir faire des contre-propositions techniques. Nous avons donc proposé des groupes de travail sur cinq thèmes de discussion. Nous ne voulions pas nous focaliser uniquement sur le partage de l’information et le secret professionnel, mais avions décidé d’aborder aussi d’autres domaines tout aussi inquiétants : la définition de la prévention de la délinquance, le secret professionnel et le partage de l'information, la médicalisation des troubles du caractère et du comportement, les conséquences des contrats de responsabilité parentale ainsi que sur la cohérence des dispositifs de prévention de la délinquance et les réponses spécifiques aux mineurs. Le ministre a accepté le principe de la constitution de ces groupes, en fixant l’échéance de leurs conclusions entre fin juin début septembre. On est sorti du ministère, en pensant qu’on allait pouvoir peut-être peser sur ce projet. Mais nous apprenions parallèlement que le texte allait être présenté le lendemain en comité interministériel puis à la commission des lois de l’assemblée nationale.
L’affaire est donc pliée ?
Didier Dubasque : On ne connaît pas exactement la marge de manœuvre dont nous disposons. Nous avons le sentiment que Nicolas Sarkozy ne veut pas aller à l’affrontement. C’est pourtant ce qu’il va falloir envisager. Les professionnels se sont mobilisés il y a de cela un an contre une menace déjà à l’époque de remis en cause du secret professionnel. Nous espérions le danger écarté. Le voilà qui resurgit. Plusieurs dispositions de ce projet constituent des atteintes aux libertés fondamentales, au droit à la vie privée ou à être aidé sans qu'un tiers extérieur au service social en soit informé. C’est la remise en cause de l'essence même de notre profession construite sur la relation d'aide, dans la mesure où nous sommes placés dans une logique de surveillance et de contention et non plus d’aide et de soutien à la population. Mais, il n’y a pas que les professionnels qui seraient mis en difficulté par une telle mesure. Le maire pourrait lui aussi l’être tout autant. Qu’en serait-il de sa responsabilité pénale, si informé d’une situation inquiétante dans une famille, devaient y survenir un suicide, une mort d’enfant ou une agression sexuelle ? C’est là plutôt un cadeau empoisonné pour des élus qui n’ont peut-être pas encore bien pris conscience des conséquences possibles de telles dispositions. L’Association des Maires de France et celle des Départements de France n'ont pas été associées. Nous attendons beaucoup des élus car nous savons que nombreux sont ceux qui sont réservés, voire opposés à ce projet de loi. Il va donc falloir non seulement nous mobiliser, mais aussi intervenir auprès de maires et des députés. Nous appelons dès à présent les professionnels à s'informer, à résister et à refuser d’appliquer des dispositions qui s'opposent à l'éthique du travail social et plus largement au respect de la vie privée.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°798 ■ 25/05/2006