Michel Anaïs - Egalité sexuelle

« Inscrire la lutte contre le sexisme dans les réflexes républicains »

La lutte contre toutes les discriminations, y compris celles dont souffrent les femmes, est un combat civique global. Les progrès réalisés ne doivent pas masquer le chemin qui reste encore à parcourir. Anaïs Michel, militante féministe, nous donne son point de vue.

Y a-t-il aujourd’hui, un retour du sexisme ?

Anaïs Michel : Avant de répondre à votre question, je vais commencer par définir ce qu’est le sexisme. C’est un système de discrimination à l’égard d’une catégorie de la population, en raison de son genre. Il s’applique au niveau social (il concerne toutes les couches de la société), global (il traverse tous les champs de la vie des gens) et international (il vaut certes mieux vivre en France, en tant que femme, que dans des pays appliquant la lapidation, l’excision, l’exclusion des petites filles de l’école ou encore mariage forcé à 7 ou 8 ans, mais notre pays est bien loin, pour autant, d’être exempt de cette forme d’oppression). Pour reprendre les termes de votre question, il ne faudrait pas laisser croire que le sexisme aurait, à un moment, disparu et réapparaîtrait aujourd’hui. En fait, il a toujours existé. Sauf qu’à partir des années 1968/1970, il y a eu un mouvement collectif de prise de conscience que cela ne pouvait plus durer et qu’il fallait s’opposer à ce type de rapports de domination. Ce mouvement social a permis certaines avancées qui ont été concrétisées par des lois, la dernière en date étant celle de la parité des listes électorales. Mais, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. D’abord parce que certaines lois ne sont pas respectées comme celle sur l’égalité professionnelle : à compétence égale, les femmes continuent de gagner 30% de moins que les hommes. Rappelons ensuite, que six femmes meurent chaque mois du fait des violences conjugales. Ce qui par contre est effectivement nouveau, c’est ce que les américains appellent le « flash back », sorte de retour du refoulé qui fait qu’aujourd’hui, on affiche plus ouvertement qu’auparavant son sexisme.

 

Comment peut-on faire reculer les discriminations faites aux femmes ?

Anaïs Michel : Tout d’abord, en ne confondant pas la lutte contre le sexisme avec la lutte contre les hommes. Ce combat n’a rien à voir avec le sexe de la personne. La majorité des femmes est sexiste. Et, il y a des hommes qui luttent pour le droit des femmes. D’où l’importance de concevoir cette démarche comme mixte. A l’image du mouvement « mixcité » qui intègre aussi bien les filles que les garçons. Ce qui est important, notamment quand c’est un garçon qui vient dialoguer dans la cité avec d’autres garçons sur leurs rapports avec les filles. Ensuite, en inscrivant cette question dans un combat plus général pour la démocratie. Etre démocrate, c’est être persuadé de l’égale dignité des individus, quels que soient leur âge, leur sexe, leur origine sociale, leur nationalité ou leur couleur de peau. Le combat contre le sexisme n’est en rien distinct de celui à mener contre le racisme, l’homophobie ou la stigmatisation de la différence. Sauf qu’un propos sexiste fait encore l’objet de beaucoup plus d’indulgence qu’une réflexion par exemple xénophobe. Rejeter tout ce qui est étranger choquera bien plus qu’une remarque sexiste qui fera plus facilement sourire. Troisième axe, l’action collective qui présente les meilleures chances d’efficacité. De tous temps, ce sont les mouvements sociaux qui ont été à l’origine tant des prises de conscience que des évolutions. En cette période d’individualisme dominant, c’est encore vrai.

 

Les travailleurs sociaux ont-ils un rôle privilégié à jouer dans ce combat ?

Anaïs Michel : En tant que professionnel, leur tâche doit d’abord s’inscrire dans les principes républicains : assurer l’égalité de toutes et de tous, en droit et en dignité. Mais il faut bien comprendre que la vigilance qui permet d’assurer une telle attitude signifie un travail de prise de distance avec ses propres représentations. Car, le sexisme est aussi une oppression qui se situe à l’intérieur des têtes et qui fonctionne d’une manière inconsciente, ce qui explique qu’une majorité des femmes a complètement intégré des réflexes et des comportements qui s’y réfèrent. C’est d’ailleurs dans ce contexte que s’inscrit la question du voile islamique. Il est vraiment inquiétant de constater à quel point la dimension oppression de la femme qu’implique cette tenue est occultée derrière la reconnaissance de la différence. Qu’il est difficile, quand on combat les discriminations sexistes, de croiser ces jeunes femmes qui semblent parfois revendiquer, par leur accoutrement, les stigmates de la domination masculine. Même si celles que l’on n’entend pas et qui souffrent en silence, mais ne peuvent s’y opposer, sont légion. Tout cela n’a rien d’étonnant : dès le plus jeune âge, des réflexes différents nous sont inculqués selon qu’on est garçon ou fille. L’attitude des parents n’est pas non plus la même. Tout comme celle des enseignants qui ne valorisent ni n’encouragent pas de la même manière leur élèves selon leur sexe. Et puis, il y a ce qui nous entoure dans la vie de tous les jours, comme la publicité qui est parfois caricaturale dans les rôles sexués qu’elle présente. Les travailleurs sociaux qui ne sont pas des citoyens à part et qui réagissent comme les autres, ne pourront prendre toute leur part dans la lutte contre le sexisme, qu’en sachant eux aussi identifier au préalable leurs propres conceptions des relations entre hommes et femmes.

 
 
Propos recueillis par Jacques Trémintin
Journal De l’Animation  ■ n°65 ■ sept 2006