Matignon Jean-Marie - Militantisme

Jean-Marie Mignon est conseiller technique et pédagogique à la Direction régionale de la jeunesse et des sports de l’Ile de France. Il est chargé d’enseignement à l’IUT carrières sociales de Paris XIII à Bobigny. Il a publié « Le métier d’animateur » aux éditions La Découverte et, en collaboration avec Geneviève Poujol, le « Guide de l’animateur socioculturel » chez Dunod. Il nous donne sa vision d’un métier en pleine évolution qui est loin d’avoir atteint ses formes ultimes. Il relie la dimension militante à une période d’émergence que la profession a dépassée.

JDA : On assiste depuis quelques années à une professionnalisation grandissante de l'animation socioculturelle. Pouvez-vous nous décrire les grandes étapes de ce processus et nous préciser où nous en sommes aujourd'hui ?
Jean-Marie Mignon : cette professionnalisation est liée à l’accroissement rapide du nombre des équipements socioculturels. La politique de construction massive qui s’étend de la fin des années cinquante à la fin des années soixante-dix a en effet nécessité l’emploi de personnels pour les faire fonctionner. Il n’était pas possible de s’appuyer, pour cela, sur des bénévoles. D’autre part, le formidable « exode rural » a favorisé l’émergence d’une profession apte à prendre le rôle des adultes qui, dans les villages et dans les bourgs, éduquaient d’une façon ou d’une autre, hors de l’école, les enfants et les jeunes à la vie sociale. Quand les dirigeants de grandes associations se sont décidés à embaucher des professionnels pour qu’ils mettent techniquement en œuvre les programmes décidés dans les assemblées générales, ils se sont tournés vers ceux que l’on a appelés les animateurs socio-éducatifs qui furent donc leurs premiers salariés. Ceux qui sont recrutés à cette époque s’inscrivent dans la vision idéologique, dans l’éthique de l’association qui les emploie. Il y a quelque chose de l’ordre de la confiance mutuelle et de la délégation de mission dans ce type d’emploi. Il n’est pas question à ce moment là – les années soixante et soixante-dix – que les Francas emploient des salariés formés par l’UFCV et vice et versa. Les animateurs, eux, se trouvent à cheval entre l’engagement propre aux adhérents de l’association qui les emploie et l’exécution du travail pour lequel ils perçoivent un salaire. Et puis, il y a aussi ceux qui se font employer dans les municipalités. Ils se retrouvent dans le même cas de figure de mandatement. Les élus municipaux sont de plus en plus nombreux à les employer. Ils se considèrent, légitimement, comme ceux qui définissent la politique d’animation municipale. Ils voient les animateurs comme de simples exécutants.


JDA : mais, pour autant, le métier n’a pas encore vraiment de statut ?
Jean-Marie Mignon : effectivement, il n’y en a pas. C’est la seconde étape qui s’ouvre sur la formalisation de la profession. Ce sont les collectivités territoriales qui vont prendre l’initiative. Les associations qui bénéficient, depuis la loi de 1901, d’une large autonomie, ne sont pas encore concernées. En septembre 1970, un groupe de réflexion ministériel rend un rapport qui va être à l’origine de la circulaire Bord - Comiti (du nom des ministres de l’Intérieur et de la jeunesse et des sports de l’époque) publiée le mois suivant et qui porte sur « les statuts des personnels professionnels d’animation socio éducative et socioculturelle ». Elle fixe les niveaux de formation, ainsi qu’un cadre d’emploi. Le statut va encore plus se préciser en mai 1997. A cette date, intervient la mise en place de la filière « animation » dans la fonction publique territoriale. Elle est incomplète, puisqu’il n’a pas de cadre d’emploi dans la catégorie A. En effet, beaucoup de petites municipalités s’y étaient opposées, craignant, avec la multiplication des cadres, d’aboutir à l’armée mexicaine : beaucoup de chefs, mais peu d’animateurs sur le terrain. Du côté des associations, un des premiers accords d’entreprise à être signé sera celui d’avril 1973, entre la Fédération de l’enseignement, de la culture et de la recherche de la CGT et la direction des CEMEA. Il aura fallu cinq ans de négociations pour qu’elle soit approuvée. D’autres suivront. Progressivement, se fait jour la nécessité d’une convention collective pour la profession à l’échelle nationale. La commission des « partenaires sociaux » qui est chargée de la préparer se réunit une première fois en 1981. Les travaux qu’elle anime aboutiront en juin 1988, après des péripéties assez violentes, tant entre les syndicats de salariés qu’entre les syndicats d’employeurs associatifs, qui découvrent ce nouveau rôle de patron. Cette convention nationale de l’animation constitue une charte essentielle pour les salariés, puisqu’elle propose enfin une réglementation du travail propre aux employés de la branche professionnelle de l’animation. C'est-à-dire une réglementation aménageant et améliorant le Code du travail.


JDA : et en ce qui concerne la formation ?
Jean-Marie Mignon : La troisième étape du processus de professionnalisation, c’est l’institution des diplômes. Le premier date de 1964 : c’est le DECEP (diplôme d’Etat de conseiller d’éducation populaire). Aujourd’hui, on distingue deux filières et deux types de diplômes qui marchent un peu sur les mêmes terres, mais qui n’ont pas la même approche du métier. La filière de Jeunesse et sport, d’une part, qui va du Brevet d’Aptitude Professionnelle d'Assistant Animateur Technicien (BAPAAT) à celui qui va se mettre en place d’ici quelques mois, le DESJEPS (Diplôme d’Etat Supérieur de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport). La filière de l’Education nationale d’autre part, qui prépare, dans les IUT carrières sociales, le Diplôme Universitaire de Technologie option animation sociale et professionnelle ainsi que la licence professionnelle d’intervention sociale et socioculturelle, sans oublier toutes les formations universitaires diversifiées à partir des mastères.


JDA : qu’est devenu l'esprit militant des pionniers du secteur ?
Jean-Marie Mignon : il faut d’abord rappeler ce qu’étaient les pionniers et leur militantisme. Ceux qui ont débuté dans cette activité étaient des instituteurs, des normaliens, des abbés, des séminaristes, des étudiants, des jeunes parents de la moyenne bourgeoisie. Ils étaient bénévoles, ou bénéficiaient juste de dédommagements. Engagés, ils l’étaient tous ; certains étaient vraiment des militants, revendiquant un projet d’éducation populaire sous-jacent à l’animation, même si tous n’y faisaient pas référence explicitement. L’animation est, en effet, au contraire de l’éducation populaire, un projet apolitique. On parle d’ailleurs beaucoup moins de militantisme que d’engagement. L’un des sens multiples d’engagement est une sorte de version douce du terme de militant. L’esprit militant est ailleurs, là où il y a des combats sociaux qui se mènent. Ils sont entre les mains des bénévoles et des volontaires. La question de la gratuité du geste est essentielle dans le militantisme. Ce qui ne peut pas être le cas dans le cadre des rapports salariaux.


JDA : Est-ce à dire que l’animateur n’est pas un militant ?
Jean-Marie Mignon : Etre militant, c’est se battre pour une cause, se mobiliser pour conquérir, maintenir ou supprimer une situation. L’action ainsi engagée ne s’inscrit pas toujours dans la légalité, mais revendique toujours une légitimité. On se trouve là au cœur des avancées socioculturelles et citoyennes du pays. Je ne pense pas qu’il y ait place pour un vrai militantisme quand un contrat attache un salarié à son employeur ou quand un fonctionnaire doit rendre un service à un public. Le plaisir qu’a un animateur à pratiquer un métier de contact humain, avec une relative liberté d’action, la propension à vouloir être utile et à rendre service relève plus d’un tempérament que d’un engagement qui reste avant tout un acte libre. Travailler avec des publics demande un grand professionnalisme, impliquant une capacité d’écoute, des réactions adéquates, un discours non discriminant à leur égard, etc. Cela relève d’une logique de métier et non du militantisme. La circulaire Bord - Comiti, dont j’ai parlé tout à l’heure comportait une dimension tout à fait étonnante, en ce sens qu’elle aborde la question des opinions des animateurs : « l’animateur socio-éducatif, tout en étant solidaire des groupes qu’il anime dans la cité, se trouve également lié à la collectivité qui l’emploie et dont il dépend. Cette situation ambiguë peut être génératrice de tensions, voir de conflits. Il est indispensable que cet agent jouisse de la liberté idéologique et pédagogique nécessaire à l’exercice de sa mission d’animation et que le contrat qui le lie à la collectivité employeur lui reconnaisse une sorte de clause de sauvegarde lui permettant de rompre honorablement son contrat en cas de désaccord. » Une telle argumentation est propre à la situation intermédiaire entre une époque où la plupart des animateurs étaient des bénévoles indemnisés et la période d’aujourd’hui. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.


JDA : le militantisme revendiqué par certains acteurs du secteur n'est-il pas, dans certains cas, parfois un alibi pour obtenir une part de travail non reconnu et non payé ?
Jean-Marie Mignon : il n’y a rien à dire sur le militantisme quand il est bénévole ou volontaire et hors du temps régit par le droit du travail. Mais un employeur qui demande à son salarié d’avoir un acte militant, cela n’a pas de sens. Pour moi, c’est du travail forcé. Par contre, employeur et salarié peuvent se retrouver ensemble sur des tâches militantes, mais en dehors du cadre du travail. On ne peut exercer une tâche militante que si l’on a le choix de son combat. Cela ne peut pas être imposé. Ce qui est le cas dans un travail prescrit par un employeur.


JDA : A partir des évolutions contemporaines, pouvez-vous imaginer le profil type de l'animateur en 2050 ?
Jean-Marie Mignon : il n’est pas sûr du tout que l’animateur tel que nous le connaissons aujourd’hui existera encore. On voit bien l’évolution par rapport à l’animateur des années 1960. Cela changera certainement aussi dans les cinquante ans à venir. La première chose à regarder c’est l’évolution démographique. Le noyau actuel de l’activité de l’animateur va sans doute se restreindre pour se disperser en de multiples métiers plus spécialisés. Autre tendance forte, les subventions publiques qui se réduisent notablement depuis quelques années. On voit mal que la tendance s’inverse. Le nombre d’emplois offerts dans ce secteur a été particulièrement important ces dernières décennies ; il est probable qu’on arrive à un palier. Le secteur privé lucratif s’étend progressivement dans le champ des loisirs, du tourisme sportif, des centres de vacances linguistiques… Le secteur public des collectivités territoriales, de plus en plus important, se consacre, malgré la volonté de mixité sociale, aux publics plus fragiles, ce qui donne à ses missions une dimension de plus en plus sociale. Comme cette profession qui fut longtemps majoritairement masculine se féminise beaucoup, on se heurte à un déficit certain de la représentation masculine qui face à certains jeunes constitue une référence bien utile. Mais je ne crois pas que cette profession puisse être menacée. Elle comporte aux yeux des employeurs deux précieuses qualités : celle de rester très généraliste et d’être au plus proche du quotidien de la population.


Lire dossier : Le militantisme

Jacques Trémintin – Journal de L’Animation ■ n°71 ■ septembre 2006