Rosenczveig J-Pierre - Sarkozy

Il faut de la hauteur de vue à un gouvernement pour désigner des contre-pouvoirs

Nicolas Sarkozy a demandé la mutation forcée de  Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, accusé de laxisme dans la lutte contre la délinquance, notamment au moment des émeutes d’octobre novembre 2005. Mauvaise passe pour un candidat (parmi d'autres)  au poste de Défenseur des enfants ?

Quelles sont les raisons qui expliquent le retard pris par le gouvernement pour nommer un nouveau défenseur des enfants (nomination qui devait intervenir le 1er mai) ?

Jean-Pierre Rosenczveig : On peut se demander si, finalement, six années sont suffisantes pour préparer la succession de quelqu’un. Plus sérieusement, on peut évoquer la pléthore de candidatures et la difficulté de trouver le personnage idoine qui soit à la fois suffisamment compétent et incisif, mais pas trop quand même dans cette période pré-électorale. Je ne veux pas croire que ce soit par désintérêt de la fonction ou par irritation à l’égard d’une personnalité qui pourrait le lendemain de sa nomination développer une approche vécue comme trop critique sur le sort fait aux enfants étrangers, sur la loi sur l’immigration ou sur les projets  en matière de prévention de la délinquance … comme l’a montré l’attitude à juste raison critique - mais c'est l'essence de la fonction - de Claire Brisset tout au long de sa mission. La difficulté à lui trouver un successeur constitue finalement un hommage rendu à son travail. Plus fondamentalement est posée la question de la nomination des autorités indépendantes par le seul Président de la République ou le premier ministre. Ce mode de désignation n’est pas bon et est trop sous influence de motivations politiques. 

 

Après les remontrances que vous avez reçues de la part du ministre de l’intérieur, êtes-vous le mieux placé pour obtenir ce poste auquel vous postulez ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Je vous répondrai sur le registre de l'humour. Je voulais qu’on parle de moi au conseil des ministres, mais pas sur le registre finalement retenu ! Le gouvernement aurait pu régler deux problèmes d’un seul coup, en satisfaisant M. Sarkozy qui suggérait de voir muté le président du tribunal pour enfants de Bobigny : il suffisait de le nommer comme Défenseur des enfants ! Et c'eut été cohérent !  Plus sérieusement, si les propos rapportés dans le Canard sont exacts - le fait que la critique développée à l'encontre du tribunal ait été publiquement renouvelée incite à le penser -  il y a de quoi être préoccupé. Un ministre de l’intérieur qui interpelle une juridiction sur son fonctionnement aurait du, dans la plupart des pays d’Europe, présenter sa démission. J'observe au passage qu'à l'occasion de l'inspection menée sur l’ensemble du tribunal de Bobigny fin 2005, nous avons plutôt été félicités sur la façon dont nous gérons les situations de délinquance et l'ensemble du tribunal loué par sa contribution a apaisé les violences urbaines. Je rappelle aussi que pour les majeurs le tribunal a du dans un peu plus de 354% des cas prononcer des relaxes - y compris après des détentions provisoires - car les faits ne tenaient pas. Bref nous avons fait notre travail et correctement. En revanche quand, dans le même mois, un candidat à la Présidentielle, donc susceptible de présider le Conseil Supérieur de la Magistrature, propose la rétroactivité de la loi pénale à l'égard des délinquants sexuels, conteste la liberté de juger en voulant imposer des peines-plancher et met en cause l’inamovibilité des magistrats du siège, on peut être préoccupé. Plus inquiétant encore, le peu de réactions face à la remise en cause de ces trois grands principes d'un Etat de droit ! S'agissant de l'interpellation de la juridiction les 12 juges des enfants de Bobigny ont saisi le Conseil Supérieur de la Magistrature.  Depuis dans un courrier qu'il m'a adressé le ministre de l'intérieur reproche aux magistrats des enfants de Bobigny de ne pas prendre en compte les aspirations des victimes et de l'opinion et il espère que la justice sera enfin rendue au nom du peuple français, sous entendu ce ne serait pas le cas aujourd'hui. Nous aurons sûrement l'occasion de réagir.

 

Nicolas Sarkozy s’est autorisé à critiquer votre travail. Que pensez-vous du sien et notamment de son projet de loi sur la prévention de la délinquance ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Ce projet prochainement adopté en conseil des ministres est dans un strict registre sécuritaire. Pourquoi pas !  Mais j'observe qu'il s'attache à la prévention de la récidive de la délinquance mais pas à la  prévention de la primo-délinquance comme son titre le laisserait à penser. On ne vise pas à transformer la situation sociale, ni à promouvoir l’insertion des individus, la citoyenneté et les droits des personnes pas plus à soutenir la compétence familiale avec le souci d'éviter les passages à l’acte. L’objectif n'est que de cadrer un certain nombre d’actes sociaux pour empêcher que des mineurs qui ont déjà transgressé la loi ne recommencent. La prévention est déclinée sur une logique coercitive et policière. Cette démarche rappelle la circulaire Poniatowski de 1975 qui demandait aux policiers de jouer aux éducateurs. Là, la prévention spécialisée devrait être au service de la lutte contre la délinquance. Or il y a une contradiction fondamentale entre le travail du policier et celui de l’éducateur : le premier a pour objectif d’éviter le passage à l’acte là où le second travaille sur le passage à l’acte. La prévention spécialisée peut contribuer à faire baisser la délinquance, mais c'est un objectif second et non pas premier : elle a d'abord pour souci d'éviter que ders jeunes en difficulté ne bascule dans la délinquance. Bref, on attend toujours une démarche de prévention de la part des pouvoirs publics. Au projet de M. Sarkozy on doit préférer celui de M. Bas sur la protection de l'enfance.


Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°804 ■ 06/07/2006