Lesbros Bernard - Jeunes & prison

Bernard Lesbros est Directeur général de l’association Montjoie située au Mans (72). Cette association qui intervient principalement dans le secteur de la protection de l’enfance, emploie aujourd’hui 350 salariés et accueille près de 450 mineurs et jeunes adultes. Elle va prochainement ouvrir, pour le compte du Ministère de la Justice, deux centres éducatifs fermés, en Sarthe et dans l’Orne. Avant de prendre cette position, elle a mené toute une réflexion sur l’incarcération des mineurs et la place de l’éducation face à la contention.

Quels sont les actes qui peuvent justifier de l’incarcération d’un mineur ?

Bernard Lesbros : Il faut commencer par préciser que la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, intervenue en 2002, permet des sanctions éducatives, dès l’âge de 10 ans et autorise des sanctions pénales, dont l’incarcération, dès 13 ans. Cette dernière peine n’est pas décidée par un juge des enfants seul, mais par un tribunal pour enfants, constitué d’un magistrat professionnel et de deux assesseurs, voire par une Cour d’assise des mineurs. Cela signifie que l’incarcération ne s’applique qu’à des faits d’une certaine gravité. Elle ne concerne pas les incivilités ou les petits vols, mais correspond soit à une délinquance organisée (vol en réunion ou de nuit, par exemple), soit à des graves atteintes aux personnes (violence sexuelle, viol en groupe, agression de personnes âgées…). Mais ces faits ne suffisent pas en eux-mêmes à justifier une incarcération. Il appartient aux magistrats, et c’est une des caractéristiques de notre système pénal, d’apprécier ce qui a été commis en fonction aussi de la personnalité du mineur. Il en va ainsi différemment selon qu’on ait à faire à un primo délinquant ou à un multirécidiviste. Ce qui explique que pour des faits pourtant comparables, on puisse avoir des jugements différents.

 

La prison n’a-t-elle pas pour conséquence de rendre le jeune à sa sortie pire qu’il n’était en y entrant ?

Bernard Lesbros : Quand on aborde cette question de l’emprisonnement des mineurs, on ne peut pas ne pas avoir en tête ce qu’est la prison aujourd’hui, dans notre pays, surtout pour les mineurs. Les conditions de détention ne respectent parfois même pas les textes en vigueur. Elles sont tout à fait indignes d’une société avancée que ce soit en terme de promiscuité, de santé, de sexualité ou de violence. Elles ne garantissent pas le minimum de dignité et de décence que l’on doit à tout être humain, quelle que soit la gravité des faits qu’il a commis. Ce qui est insensé, c’est qu’un jeune puisse être confronté en prison à des situations qui lui ont justement valu son incarcération (racket, violence, viol) ! Rien d’étonnant à ce qu’il puisse acquérir en prison des comportements qui n’étaient pas forcément les siens à son entrée et qu’il risque de reproduire à sa sortie. C’est un véritable drame.

 

Est-il possible d’imaginer la fin de toute incarcération pour un mineur ?

Bernard Lesbros : Il est à mon avis essentiel de bien distinguer la prison dans son principe, et la prison dans sa forme. Si la forme actuelle est absolument condamnable et doit être améliorée, je ne crois pas qu’on puisse supprimer toute incarcération. Il faut arrêter de faire de l’angélisme. On ne peut parfois aider vraiment un jeune, que si on enraye la spirale dans laquelle il est engagé et dont il ne sortira pas de lui-même. Ne pas l’arrêter dans son délire, dans son escalade, c’est finalement se rendre indirectement complice des actes qu’il pose et qui sont aussi dangereux pour les autres que pour lui. A certains moments, les forces qui agissent sur lui sont telles qu’il a perdu sa liberté. En l’enfermant, on lui rend donc, d’une certaine façon, sa liberté. Si l’on considère l’incarcération simplement comme le fait d’empêcher physiquement une personne de circuler, d’aller dans certains lieux, de rencontrer d’autres personnes, elle est alors, parfois une nécessité. Toute la question est de savoir si cet enfermement peut être profitable au jeune ou s’il s’agit uniquement d’une mise à l’écart pour protéger l’environnement. Ce qui pose problème aujourd’hui, à mon avis, ce n’est donc pas le principe de la prison, mais bien les conditions dans lesquelles on l’applique. Je pense qu’on doit chercher des formes d’enfermement des mineurs qui soient constructives.

 

Que pensez-vous du programme de création de nouvelles prisons, dont certaines réservées aux mineurs ?

Bernard Lesbros : Il me semble que les mesures envisagées aillent dans le bon sens. Elles répondent d’abord à la nécessaire séparation des mineurs et des majeurs. Mais cela ne suffit pas. Il y a une autre mesure qui est tout aussi importante : faire entrer l’éducatif et les éducateurs au sein des prisons. J’ai effectué un voyage d’étude au Québec il y a une dizaine d’années qui m’avait beaucoup marqué. J’y avais visité la prison Jacques Cartier à Montréal, qui accueillait 96 mineurs répartis en 8 groupes, encadrés par 96 éducateurs, animateurs, enseignants pour seulement 9 personnels pénitentiaires. Cela restait une prison, mais qui s’était dotée de vrais moyens éducatifs. Son Directeur, qui était éducateur de métier, recevait régulièrement la visite de travailleurs sociaux français, qui s’étonnaient, voire, s’indignaient qu’il puisse être éducateur et diriger une prison. Il sortait de ces rencontres avec un certain trouble. Il est donc venu en France voir comment cela se passait avec les délinquants mineurs incarcérés : cela l’a définitivement déculpabilisé. C’est ce type de modèle qui peut inspirer aujourd’hui les projets en cours.

 

Votre association a posé sa candidature pour créer un centre fermé : quelle différence y a-t-il avec la prison ?

Bernard Lesbros : C’est d’abord un centre éducatif. C’est ensuite, effectivement, un lieu où l’on est enfermé au titre d’une mesure pénale. Il est courant de considérer qu’il y aurait incompatibilité entre éducation et fermeture. Une telle affirmation est contestable. De nombreux spécialistes, notamment dans des pays tels la Belgique, la Suède, l’Espagne, le Québec et même en France n’y adhèrent pas. En outre, elle est abusive, car la contrainte est à la base de l’éducation. Le fait même de la civilisation est fondé sur la répression des instincts. Pour revenir aux CEF, leur fermeture tient en trois points. La première composante est juridique : la fugue d’un de ces lieux est considérée comme un délit et peut être sanctionnée en tant que tel, par une incarcération, sans que, pour autant, il y ait là la moindre automaticité. Il revient aux équipes éducatives de faire prendre conscience au jeune que son départ non autorisé peut entraîner pour lui un certain nombre de conséquences. La seconde fermeture est matérielle : l’enceinte est protégée par une  clôture de deux mètres de hauteur. De mon point de vue, cette protection a deux objectifs. D’abord, empêcher la fugue réactionnelle décidée sur un coup de tête, par exemple à la suite d’une altercation. Mais un grillage de deux mètres n’est guère dissuasif  pour qui veut vraiment partir. Si on avait voulu une fermeture absolue, on l’aurait haussé à six mètres et on l’aurait complété par des miradors. Intervient ici la seconde fonction, symbolique, de contenance. On confronte le jeune à ses responsabilités. On l’encourage à résister à son envie de partir. Il peut choisir de franchir cette clôture mais on fait tout pour qu’il fasse un autre choix. Et c’est là qu’intervient la troisième dimension : ce qui doit empêcher le jeune de partir, c’est d’abord l’envie de rester ! Cela est obtenu par la quantité mais surtout la qualité des personnels, et celle du projet. Les personnels sont des adultes capables de s’opposer aux désirs immédiats des jeunes, tout en constituant des points de repères stables. L’équipe éducative fait limite d’une certaine manière, par les valeurs dont elle est porteuse. C’est la conjugaison de ces trois aspects qui fait que le centre est fermé sans pour autant l’être de la même façon que la prison telle qu’on la connaît aujourd’hui.

 

Comment expliquez-vous l’opposition farouche à l’enfermement des mineurs de la part des milieux éducatifs ?

Bernard Lesbros : Les prises de position hostiles à des projets sont toujours plus visibles que les positions favorables car on prend beaucoup plus facilement la plume pour dire son désaccord que son accord. On a laissé, sans doute à tort, le champ libre à ceux qui se sont indignés et se sont parfois drapés dans leur vertu. Il y a eu beaucoup de prises de position très idéologiques dans lesquelles je n’entrerai pas. Beaucoup de ceux qui nous reprochent de nous salir les mains en « enfermant » les jeunes s’opposent aussi au travail éducatif dans les prisons. En fait, ils sont contre toute forme de fermeture. Il y a deux autres arguments qui reviennent régulièrement. En créant des centre fermés et en construisant des nouvelles prisons, cela empêcherait de faire autre chose. Pour ce qui nous concerne, c’est inexact. En même temps que les CEF, nous avons créé de nombreuses autres structures destinées aux mêmes jeunes : lieux de vie, séjours à l’étranger, centres de jours etc. Second argument : dans le passé, on a déjà essayé de telles solutions et cela n’a pas marché. Ce n’est pas vrai. On ne peut comparer ni les gros établissements du passé avec les petites unités d’aujourd’hui, ni le nombre de personnels encadrant d’autrefois avec les quotas bien plus importants des centres éducatifs fermés contemporains. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons aucune mauvaise conscience et sommes convaincus que si déjà nous évitons à des mineurs l’infamie de la prison actuelle, nous faisons déjà quelque chose d’important. Si de surcroît, nous profitons de ce temps où, de toutes les façons il doivent être enfermés, pour les aider à se construire ou se reconstruire en leur donnant des outils qui leur permettront ensuite de s’insérer, nous aurons alors agi utilement.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal De l’Animation  ■ n°57 ■ mars 2005