Van Gijseghem Hubert - Aliénation parentale
« Ne pas reconnaître l’existence de l’aliénation parentale, c’est comme continuer à prétendre que la terre est plate »
Hubert Van Gijseghem est psychologue de formation. Il exerce comme professeur titulaire à l’université de Montréal et expert judiciaire international. Ce qui pourrait apparaître comme un concept utile pour dégager l’enfant de la guerre que se livrent parfois ses parents séparés est devenu source d’une violente polémique. Nous avons demandé à Hubert Van Gijseghem ce qu’il en pensait.
Comment expliquez-vous les levées de bouclier, voire la franche hostilité que provoque l’hypothèse de l’aliénation parentale ?
Hubert Van Gijseghem : la première opposition est venue des milieux féministes. Richard Gardner, qui est à l’origine de ce concept, affirmait que cette aliénation provenait en majorité des mères. Devant les violentes critiques qui lui ont été adressées, il a rétabli à la fin de sa vie la parité dans l’implication des pères et des mères. Mais je pense qu’il s’agissait là d’une rectification politiquement correcte. Pour ce qui me concerne, mes recherches m’ont permis de constater que la proportion était environ de 2/3-1/3, au détriment des mères. Une étude hollandaise va encore plus loin, puisqu’elle parle d’une répartition 95 %/5 % ! Pourtant, il n’y a aucun mystère dans ce résultat. On peut facilement comprendre que le risque d’influence aliénante soit plutôt du côté du parent gardien, et la grande majorité des enfants sont encore confiés à leur mère après la séparation du couple parental. On est donc là dans une logique statistique et non dans une ségrégation de genre. Une seconde opposition encore plus violente est venue de l’association abusive de ce concept avec l’abus sexuel dont est victime parfois l’enfant. C’est un peu comme si l’aliénation parentale avait été créée pour protéger les pères abuseurs, voire pédophiles. Il suffit d’aller sur Internet pour constater toute une littérature idéologique, sinon intégriste qui établit constamment ce lien. Je suis quant à moi la cible d’attaques personnelles m’accusant de complicité. Ainsi, lors de la conférence de Paris, un magistrat est venu à la pause me dire « vous êtes le digne successeur du Docteur Mengele » ! Nous sommes ainsi diabolisés par des gens qui voient des abus sexuels partout et qui croient que le patriarcat est une structure pour protéger ces agissements au sein des familles. Je pense que cette association est extrêmement malheureuse, car les deux situations ne se recouvrent pas exactement, loin de là, les cas d’aliénation parentale sans abus sexuels étant infiniment plus nombreux que ceux où il y a les deux dimensions.
Comment réussir à utiliser ce concept, en évitant de se retrouver à la fois diabolisé par les uns et instrumentalisé par les autres ?
Hubert Van Gijseghem : c’est extrêmement difficile. Je viens d’évoquer les attaques qui me semblent tout à fait indues. Mais nous avons aussi des associations de pères qui nous mettent le grappin dessus, nous citant en référence, s’emparant à leur profit, par exemple, de la thèse présentant le parent aliénant comme étant majoritairement la mère, ce sur quoi je viens de m’expliquer. Ils nous considèrent comme leur supporter. Ce qui n’est pas du tout le cas. Je ne suis un témoin pour personne, sauf pour la science. Je ne me réfère à aucune obédience. Je suis un empiriste qui essaie d’appréhender la réalité à partir des études scientifiques les plus rigoureuses possibles. Ce qui n’est pas le cas des différents groupes de pression de quelque bord que ce soit et dont les oppinions sont avant tout idéologiques, qui ne publient jamais rien dans des revues qui sont soumises à un jury de pairs, comme il est de coutume dans les milieux scientifiques. Cela est tout aussi vrai d’ailleurs pour Richard Gardner qui publiait ses livres lui-même dans sa propre maison d’édition. C’était un psychiatre clinicien, non un scientifique. Il n’a jamais fait d’étude empirique. Ce qui renforce ceux qui veulent disqualifier cette théorie. Sauf que tout ne repose pas sur cette seule personnalité. D’autres recherches ont eu lieu qui elles, présentent toutes les garanties scientifiques. Mais, on cherche à les dévaloriser en présentant leurs auteurs comme les « disciples de Gardner ». En ce qui me concerne, je ne me sens pas un disciple de ce Monsieur, d’autant moins, d’ailleurs, que je ne reprends pas la définition qu’il avait élaborée et qui aboutit à mon avis à une impasse. Je m’appuie tant sur les autres auteurs qui ont eu une démarche empirique que sur mes propres travaux pour affirmer qu’on ne peut continuer à nier l’aliénation parentale. Se comporter ainsi, ce serait comme continuer à affirmer que la terre est plate.
Justement, quel avenir voyez-vous à ce concept ?
Hubert Van Gijseghem : sa reconnaissance officielle passera sans doute par sa présentation dans le Diagnostical of Statistical manuel of Disorder (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), ce guide pratique à destination des psychiatres qui fait référence à l’échelle mondiale. Nous en sommes actuellement à la quatrième version. Le DSM5 doit être élaboré pour l’année 2010. Les travaux permettant de le préparer commenceront en 2006. Je n’ai aucun doute sur le fait que l’aliénation parentale y trouve sa place, mais peut-être sous une appellation nouvelle. Il y a suffisamment de publications scientifiques avec groupe clinique et groupe contrôle ainsi que d’études longitudinales. Ce qui n’aide pas c’est que les initiateurs de ce concept ne venaient pas de la recherche, mais de la clinique. Mais ses détracteurs ne se situent pas non plus dans ce registre. C’est encore bien pire : ils sont dans une dimension complètement irrationnelle relevant plus de la religion que d’une démarche objective. Ce qui fait que DSM5 ou pas, ils continueront leurs attaques sectaires.
Propos recueillis par Jacques Trémintin
Octobre 2004