Bynau Claude - Outreau
« En cas de plainte contre un éducateur, agir dans la transparence »
Claude Bynau est psychologue et conseiller technique à la Société de protection et de réinsertion du Nord à Lille. Et si un jour, un jeune se plaignait devant vous de votre collègue ou à l’inverse qu’il se plaignait de vous en évoquant un attouchement sexuel ? Claude Bynau, psychologue a reçu un jour l’une de ces confidences. Il nous explique comment il a agi, en faisant complètement confiance à la procédure judiciaire.
Vous avez été confronté, il y a de cela quelques années, à une situation de dénonciation d’un éducateur par une adolescente.
Claude Bynau : A l’occasion d’un entretien clinique classique réalisé dans un établissement agréé ASE et PJJ, qui accueille des adolescent(e)s, une jeune fille m’a effectivement parlé du comportement d’un éducateur. Elle m’a expliqué qu’alors qu’elle se plaignait d’avoir mal au dos, l’éducateur lui a proposé de la soigner. Il lui a mis de la pommade et a pratiqué un massage. Elle a trouvé bizarre qu’il ferme la porte de la chambre et qu’il la masse si longtemps. Selon elle, il a fini par avoir les mains baladeuses. Je lui ai demandé si elle s’était sentie en insécurité et si, à son avis, le comportement de l’éducateur avait dépassé les limites. Elle m’a confirmé avoir ressenti un grand malaise. Je lui ai alors dit que je ne pouvais pas garder cela pour moi, que j’allais en parler au directeur et qu’on serait peut-être amené à faire un signalement. Dans la journée, j’ai fait part au Directeur de l’établissement des propos tenus par la jeune fille. Nous avons fait un signalement. Comme l’éducateur était de service ce jour là, le Directeur l’a convoqué, lui a expliqué la situation et a décidé de prendre à son égard une mesure conservatoire, lui demandant de rentrer chez lui. Il fallait éviter qu’il ne croise la jeune fille, avec le risque, soit qu’il fasse pression sur elle, soit qu’il se fasse accuser d’avoir tenté de le faire. Il valait mieux couper court. Le procureur a demandé une enquête de gendarmerie qui a démarré trois ou quatre jours plus tard. Elle a abouti, au bout de trois semaines, à un classement sans suite. L’éducateur a été réintégré. Bien sûr, il y a eu discussion au sein de l’institution. Des salariés ont pris position contre l’éducateur, considérant inadmissible son attitude supposée. D’autres ont pris sa défense, en accusant la jeune fille de fabuler ou de vouloir régler des comptes. Il a fallu rappeler à tous qu’il ne nous appartenait pas d’avoir à dire s’il y avait eu quelque chose ou pas. Notre mission était bien de protéger à la fois la jeune fille et le collègue de toute appréciations hâtive et de s’en remettre à la justice pour savoir s’il y avait lieu qu’il y ait poursuite ou pas. Dès lors qu’il y a eu classement sans suite, nous avons exigé que cessent les accusations vers l’un ou vers l’autre. Le nécessaire avait été fait. L’enquête avait eu lieu. Le procureur avait tranché. Il n’y avait donc plus matière à faire des commentaires.
Comment l’éducateur a-t-il vécu cette épreuve ?
Claude Bynau : Nous avons rencontré très vite le collègue pour savoir comment il avait vécu cette période. Il nous a dit avoir été dans un premier temps très secoué. Il avait particulièrement mal vécu que sa femme soit auditionnée. Pour son couple cela avait été difficile à gérer. En plus, se retrouver en arrêt pendant trois semaines, cela l’avait fait gamberger. Il en a d’abord voulu à ceux qui avaient fait le signalement. Puis, après réflexion, il a trouvé que c’était la moins mauvaise solution, parce que les choses au moins avaient été claires. Il était convaincu que c’était la meilleure procédure à adopter car cela avait permis de couper court à tous les fantasmes et propos diffamatoires qui n’auraient pas manqué de circuler très vite. Si rien n’avait été fait et que la jeune fille en avait parlé à d’autres intervenants sociaux, le résultat aurait été bien pire. Cela aurait décuplé les suspicions à son égard. En faisant le signalement tout de suite, nous avons opté pour la transparence et avons montré que nous n’avions rien à cacher. Même si dès le début, il s’est senti l’esprit tranquille, cette procédure lui a permis d’autant plus facilement de tourner la page.
Avez-vous pensé que cela aurait très bien pu vous arriver à vous aussi ?
Claude Bynau : Bien sûr que j’y ai pensé. J’ai travaillé longtemps dans un placement familial qui accueillait beaucoup de jeunes victimes d’agression sexuelle. J’ai été amené souvent à assurer des transports en voiture avec des jeunes. J’ai dit à mes collègues que si une jeune fille tenait des accusations à mon égard (on m’a dit « pourquoi pas un jeune homme », j’ai répondu pourquoi pas), je souhaitais qu’on fasse pareil pour moi. Je ne veux absolument pas qu’on laisse entendre qu’on aurait essayé, parce que c’était moi, de court-circuiter la circulation de l’information. C’est mettre le doigt dans un engrenage aux effets imprévisibles. Au contraire, le meilleur moyen de faire preuve de sa bonne foi, c’est d’accepter que vous soit appliquée la même procédure que pour tout le monde. Je rappèle que ce n’est là que l’application de la circulaire du 30 avril 2002 (1) qui oblige les institutions à mettre en place une procédure type que doit connaître chaque salarié de l’établissement et qui doit figurer dans le livret d’accueil. Si un jeune se plaint d’avoir été victime de maltraitance de la part d’un membre du personnel, il faut d’abord prévenir l’autorité administrative (la direction) qui se doit alors de faire un signalement au procureur. Les parents du mineur ainsi que son référent social ou le juge des enfants sous l’autorité duquel il se trouve doivent aussi en être informés. Il faut faire confiance à la justice.
(1) circulaire n°2002-265 relative au renforcement des procédures de traitement des signalements de maltraitance et d’abus sexuels envers les enfants accueillis dans les structures sociales et médico-sociales
Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°715 ■ 01/07/2004