Souiai Elisabeth - Psychiatrie et educatif

« Soyons différents, mais ensemble »

Qu’est-ce qui vous a amené à participer à cette expérience ?

Elisabeth Souiai : je suis éducatrice dans un foyer de la PJJ depuis 21 ans. Tout au long de cette période, j’ai eu l’occasion, à de multiples reprises, d’accompagner des jeunes dans leur démarche auprès de psychologues. En outre, le travail de supervision que nous a apporté au sein de notre équipe l’intervention d’un psychiatre, m’a sensibilisé à l’accueil de la souffrance psychique. J’ai participé aux réflexions qui ont précédé l’ouverture de l’unité. Quand mon administration a fait appel à des volontaires, j’ai posé ma candidature et ayant été acceptée, j’étais présente au 1er septembre 2000, le jour de l’ouverture. Nous avons travaillé avec l’ensemble de l’équipe durant un mois avant de recevoir notre premier jeune, afin de préciser le rôLe de chacun.

 

Comment se passe cette cohabitation ?

Elisabeth Souiai : on tend tous vers les mêmes objectifs, mais pas avec les mêmes supports, ni avec la même façon de les faire passer. Le travail en commun n’est facile ni pour les infirmiers, dont certains pensaient que nous allions venir les seconder, ni pour les éducatrices qui se trouvent plongées dans un univers auquel elles ne sont pas vraiment habituées. Je suis arrivée ici avec ma culture professionnelle. Je suis porteuse du discours de la PJJ : j’utilise par exemple l’exposition 13-18 ans pour travailler avec les jeunes sur le code pénal, la sanction, la responsabilité. Je suis  prête à des concessions mais pas à des compromissions. Je suis persuadée qu’il faut que les professionnels aillent les uns vers les autres, mais pas au prix de la perte de leur identité. Et je crois que nous avons réussi ce pari : les médicaux ont modulé leur approche en y mettant une sensibilité éducative. Je vous donne un exemple : l’enceinte du jardin de l’unité est close par un grillage haut de deux mètres. Il arrive que des jeunes passent par-dessus pour s’enfuir. Au début les infirmiers parlaient d’évasion. Nous avons réussi à faire modifier ce terme : on parle aujourd’hui de fugue. Si la réalité est la même, les représentations que l’on s’en fait change complètement la vision que l’on a de notre travail. Ici, même si l’unité est fermée, ce n’est pas une prison. Si les jeunes veulent s’en aller, nous proposons tellement d’activités à l’extérieur, qu’ils trouveront toujours une occasion pour partir. Les infirmiers ont évolué sur cette question. Mais, nous aussi éducatrices, avons bougé. Notre approche s’est enrichie d’une connaissance des troubles psychiques et ce, grâce aux infirmiers et aux médecins qui nous expliquent beaucoup de choses. Il ne s’agit pas simplement d’une juxtaposition de compétences. Cela tout le monde sait le faire. Ce que nous avons réussi à créer en plus, c’est que nous nous complétons et réussissons à articuler nos approches. Cet enrichissement a été facilité par le fait qu’au début, chacun d’entre nous se trouvait déstabilisé par certaines des attitudes des jeunes que nous recevions : les professionnels du sanitaire ne comprenaient pas toujours les comportements typiquement adolescents et nous avions du mal parfois à décoder des réactions plus liées à la souffrance psychique. C’est là où nous avons apprécié de travailler ensemble, chacun apportant sa pierre à l’interprétation des problématiques auxquelles nous étions confrontés. Je suis donc convaincu que le travail collectif de l’équipe ne peut  réussir que si chacun fait son travail spécialisé : soyons différents, mais ensembles.

 

Quels sont vos rapports avec vos partenaires extérieurs ?

Elisabeth Souiai : Nous travaillons avec les maisons d’enfants, les instituts de rééducation, les Centres de placement immédiats, les classes relais, les foyers de l’aide sociale à l’enfance. Beaucoup d’institutions sont demandeuses, mais pas forcément de ce qu’on souhaite leur apporter. Des rencontres qui ont lieu avant l’admission, nos collègues repartent parfois avec plus de questionnements que de solutions. Nous sommes très vigilants sur les conditions d’accueil. Il arrive qu’une structure considère que le jeune ne fait plus parti de ses effectifs dès lors où il est admet chez nous. Cela n’est pas acceptable. Ici, ce n’est pas un endroit où l’on se débarrasse d’un jeune. Ce n’est pas non plus un lieu de vie : nous ne pouvons garder un jeune des mois en attendant qu’une place se libère dans un foyer. Nous concevons notre travail comme une sorte de tissage réalisé à partir de fils de nature différente qui croisés entre eux  forment un tissu solide mais souple, varié mais cohérent, résistant mais accueillant. Il ne doit offrir aucun accros, aucune faiblesse dans sa texture, sinon la faille s’agrandira et l’ado retrouvera là l’occasion de reproduire les dysfonctionnements qui lui sont habituels et qu’il mettra en œuvre pour vérifier les rejets antérieurs. Equipe d’AEMO, équipe de foyer et équipe de la SIPAD doivent ainsi tricoter des conditions structurantes, contenantes et soutenantes d’un séjour hospitalier permettant bilans et observations qui aboutiront à un projet pour le jeune. Finalement, sur les 90 jeunes que nous avons reçus depuis bientôt deux ans, peu n’ont pas trouvé de solutions à leur sortie. Notre ambition est grande : notre démarche est en perpétuel chantier. Elle se nourrit des aléas de la vie institutionnelle. Mais si le chemin que nous avons emprunté est laborieux et répétitif, il ouvre des perspectives passionnantes à la vision d’un travail de prise en charge pluridisciplinaire des jeunes les plus en difficulté.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Non paru  ■ 2002