Schultz Philippe - Médiation
«La médiation est en train de s’imposer comme une nouvelle façon d’entrer en relation avec l’autre »
Philippe Schultz est Médiateur et Responsable d’un service de médiation en Meurthe et Moselle, Formateur aux médiations, Membre de la Fédération Citoyen et Justice
Où en est-on de la médiation en France ?
Philippe Schultz : je ne vais pas pouvoir vous présenter un état des lieux exhaustif de la situation. A partir de mon expérience, je peux simplement vous dire qu’on a de plus en plus recours à la médiation. De plus en plus, des municipalités recrutent du personnel sur des postes de médiateur. Des communes importantes mais aussi rurales qui s’organisent dans le cadre de l’intercommunalité. J’habite personnellement, dans un bourg de 4.000 habitants qui s’est doté d’un médiateur social. Cela tend donc à prendre de l’ampleur. Là où je me fais du souci, c’est qu’on voit tout et son contraire dans les définitions données à cette fonction. Le terme est galvaudé et utilisé à tout propos. Ainsi, de ces manifestations récentes pour la paix qui se sont dotées de « médiateurs en blouse blanche » chargées d’éviter les débordements. On met actuellement des tas de choses sous le terme de médiation. D’où la nécessité de clarification.
Justement, quelle définition donnez-vous au concept de médiation ?
Philippe Schultz : pour qu’il y ait médiation il faut nécessairement qu’il y ait un conflit. Par conflit, j’entends la situation qui oppose deux personnes qui ne partagent pas le même objectif, chacune voulant donner la primauté à ses propres intérêts. La médiation est un outil de communication adapté à la gestion de tels conflits. Elle fait intervenir quatre acteurs : les deux parties protagonistes, le médiateur et le donneur d’ordre. Ce dernier est celui qui a connaissance du litige et qui sert d’intermédiaire entre les parties et le médiateur. Il existe en France des médiateurs institutionnels, instaurés dans les grandes entreprises, comme par exemple la SNCF, qui paie quelqu’un pour gérer des litiges avec les usagers. Mais, on reste là, dans une gestion binaire du conflit. Cela ne respecte pas les fondements de la médiation qui à l’état pur requière l’intervention d’une tierce personne qui est totalement extérieure aux parties en cause.
Quelles sont les qualités requises pour qu’un intervenant puisse assurer une action de médiation dans les meilleures conditions ?
Philippe Schultz : La première qualité du médiateur, c’est sa totale neutralité à l’égard des protagonistes. Il ne doit leur être lié, d’aucune manière ni être choisi par l’un ou par l’autre. Il ne doit avoir rien à gagner à la gestion et à la résolution du conflit. Si on prend l’exemple d’un différend entre un employeur et son salarié, si le donneur d’ordre est le patron et que le médiateur est rémunéré par l’entreprise, celui-ci sera indirectement lié à l’une des parties. L’impartialité ne sera pas acquise. Autre qualité essentielle, le médiateur doit être compétent. Il n’a pas droit de mal faire. C’est un peu à l’image du médecin qui fait tout ce qu’il peut pour guérir son patient. Qu’il y arrive ou pas, il mettra tout en œuvre pour réussir. La compétence implique d’être formé à l’écoute active, à la communication, à savoir bien exprimer ce qu’on a à dire, à permettre aux autres de s’expliquer. Il faut savoir aussi aller au-delà de la plainte initiale, pour bien identifier toute l’ampleur de la souffrance ou de la nuisance. Je vais prendre un autre exemple pour mieux me faire comprendre. La médiation réalisée entre un enseignant et un parent qui l’a frappé, ne va pas se contenter de faire reconnaître l’acte violent. On va rechercher aussi, ce qui a fait le plus mal : le contact de la main sur la joue du professeur ou bien l’effondrement de son autorité lié au fait que cela s’est passé devant les autres élèves. Le fait n’est pas le seul retenu : le ressenti, le sentiment et l’affect sont aussi pris en compte.
En quoi consiste la formation qui est apportée à celles et à ceux qui désirent exercer dans la médiation ?
Philippe Schultz : il faut d’abord savoir de quoi l’on parle. Albert Camus a dit « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ». On commence donc par clarifier les concepts. Ce qu’est le conflit. Ce que sont les modalités pour le régler : jugement, arbitrage, conciliation, négociation directe, chacune étant particulière, aucune n’étant meilleure qu’une autre à priori. Ce que la médiation a de particulier et comment elle se décline au travers des champs scolaire, familial, judiciaire ou social ou encore au sein de l'entreprise. Ce que signifie communiquer : qu’est-ce qu’on communique, comment le fait-on. Cette formation apporte une connaissance de base minimale. Reste ensuite à se confronter à la pratique et à l’expérience. C’est comme pour conduire un véhicule. On peut apprendre les premières notions en dix jours, mais on ne saura vraiment conduire qu’après avoir parcouru 10.000 kilomètres. Et encore, on apprend toujours. Pour la médiation, c’est un peu pareil. On peut découvrir les outils et apprendre à les utiliser en quelques jours. Après, la formation reste permanente : on a besoin de mettre en commun avec les autres, de prendre du recul sur ce qu’on a dit et ce qu’on a fait, pour comprendre pourquoi cela s’est passé comme ceci ou comme cela, si j’avais agi autrement comment cela que serait-il passé etc...
Quelle est la place respective des bénévoles et des professionnels dans cette approche ?
Philippe Schultz : Cela dépend des différents champs. Du côté des entreprises, ce sont les consultants qui se sont emparés de cet outil. Dans la médiation familiale, ce sont aussi des professionnels, mais plutôt issus du travail social ou des milieux juridiques. La médiation pénale a longtemps été du ressort des bénévoles. Elle est en train, actuellement, de se professionnaliser. Dans le champ de la médiation sociale, la place des bénévoles est majoritaire. Dans mes actions de formation, je rencontre un public constitué pour l’essentiel de pré-retraités âgés entre 55 et 65 ans issus des professions libérales. La médiation scolaire, elle, s’appuie quasiment exclusivement sur des bénévoles adultes ou élèves. La formation des uns et des autres n’est pas différente. J’insiste toutefois beaucoup plus avec les bénévoles qu’avec les professionnels sur des temps d’analyse de pratique et de relecture d’action, car si cette technique est assez courante chez les seconds, elle est nouvelle chez les premiers. Non, ce qui m’interroge ce n’est pas tant la qualité des intervenants que la qualité des projets qui ne sont pas toujours conformes à la déontologie de la médiation. Je pense en particulier à certaines communes qui recrutent un médiateur et qui lui font faire en même temps l’accompagnateur, l’animateur de rue et l’éducateur, ce qui lui fait perdre de cette neutralité qui est, nous l’avons vu, fondamentale.
A-t-on pu mesurer le taux de réussite et d’échec des différentes formes de médiation entreprise ?
Philippe Schultz : une telle évaluation n’existe pas au niveau national. On constate simplement que, quel que soit son champ d’intervention, le plus difficile c’est d’amener les gens à entrer en médiation. Cela peut se comprendre : quand on est en conflit avec son voisin, qu’on ne lui parle plus depuis quatre ans, que la seule façon de communiquer avec lui, c’est d’éventrer sa poubelle devant son pallier et que quelqu’un, qu’on ne connaîtr pas, vous propose de vous retrouver autour d’une table pour mettre à plat le contentieux, c’est difficile de dire oui. On assiste à environ un refus pour deux tentatives. Mais, une fois que les personnes se sont engagées dans la procédure, qu’elles ont confiance dans les médiateurs, qu’elles peuvent exprimer leurs ressentis, parler et aussi s’écouter mutuellement, on a un taux de réussite de 97%. Mais, ce qui est important quand on se présente, c’est de bien expliquer pourquoi cela mérite de tenter le coup et ce que chacun a à y gagner. Et aussi de prendre le temps : une médiation, cela ne se bâcle pas en dix minutes. Pour autant, s’il y a d’emblée un refus, cela ne veut pas dire qu’il y a échec de la médiation. Il y a simplement une impossibilité de mise en œuvre.
Quel avenir pour la médiation dans les années qui viennent ?
Philippe Schultz : On n’a pas à faire à un phénomène de mode. Je suis médiateur depuis 1989. J’ai donc un certain recul. J’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes auprès de qui j’étais intervenu, il y a de cela quelques années. Elles m’ont expliqué comment elles avaient réutilisé avec succès les méthodes que j’avais employées avec elles, dans d’autres conflits qu’elles avaient eus par la suite. La médiation n’est donc pas seulement un outil technique, c’est aussi une philosophie. C’est en train de s’imposer au-delà de la seule méthode de gestion de conflits. C’est une nouvelle manière de regarder la relation avec autrui. Cela, pour le coup, est porteur d’avenir.
Propos recueillis par jacques Trémintin
Journal de L’Animation ■ n°40 ■ juin 2003