Maurel Olivier - Violence

« Traitons les enfants comme nous voudrions qu’ils nous traitent »

Olivier Maurel est père de cinq enfants, professeur de lettres retraité et auteur de plusieurs livres sur la violence et la non-violence (1)

On parle beaucoup de la violence dont seraient responsables les jeunes. On évoque plus facilement depuis quelques années la maltraitance dont ils sont parfois victimes. Vous dénoncez quant à vous une violence qu’ils subissent d’une manière d’autant plus insidieuse qu’elle est le plus souvent banalisée. De quoi s’agit-il ?

Olivier Maurel : En réalité, la violence infligée aux enfants est un iceberg avec une partie émergée, la maltraitance dénoncée comme telle et qui n’est le fait que d’une minorité de parents, et une partie immergée, la violence éducative ordinaire : tapes, gifles et fessées, admise et utilisée par 80 à 90% des parents. Ailleurs, en Afrique par exemple, c’est la bastonnade qui joue ce rôle. 90% des enfants la subissent de leurs parents et de leurs maîtres (sondage UNICEF, mai 2000).
Cette violence nous amène à traiter nos enfants comme nous avons été traités, à leur faire ce que nous ne voudrions à aucun prix qu’ils nous fassent et à frapper des êtres bien plus petits que nous. Nous porterions à juste titre l’affaire en justice si un policier nous envoyait une claque pour excès de vitesse, mais frapper un enfant ne nous pose pas de problème. Et c’est là précisément qu’est le problème!


Que provoque cette violence éducative dans le développement physique et psychique de l’enfant et dans son comportement de futur adulte ?

Olivier Maurel : Le message des gifles ou des fessées nous semble très simple. Tenté de franchir de nouveau un interdit, l’enfant aura peur d’une nouvelle claque et donc respectera l’ordre que nous lui donnons.
Mais les coups adressent au corps de l’enfant un message beaucoup plus riche et destructeur. Petit primate doté de comportements innés, rien ne le prépare à recevoir des coups de sa base de sécurité : ses parents.
Son système de sauvegarde déclenche instantanément en cas de danger, au moyen d’un flux d’hormones déversé dans son organisme, le réflexe de fuir ou de se défendre. Or, quand un animal stressé ne peut ni fuir ni combattre (c’est le cas de l’enfant frappé), les hormones du stress attaquent notamment certaines parties du cerveau. Rien d’étonnant donc à ce que les enfants frappés aient plus de maladies et d’accidents que ceux qui ne le sont pas. De plus, le système immunitaire est désactivé en cas de stress ce qui accroît la vulnérabilité aux maladies.
 Les coups interfèrent aussi avec les comportements d’imitation et d’attachement et donnent à l’enfant des modèles de violence que l’enfant intègre au répertoire de ses comportements relationnels. La majorité des enfants font leur première expérience de la violence sous les coups de leurs parents qui sont, au début de leur vie, leur modèle presque exclusif. Aucun spécialiste de la violence ne prend sérieusement en compte ce fait qui concerne, à des degrés de violence divers 80 à 90% des enfants. Quand tiendra-t-on compte aussi du fait que, dans les banlieues, beaucoup de parents d’origine africaine ont subi la bastonnade ou le piment dans les yeux dans leur enfance et croient de très bonne foi que c’est le bon moyen d’éduquer les enfants.
L’enfant frappé apprend à obéir non pas à « la Loi », comme le croient certains, mais à la violence et aux violents, ce qui est socialement et politiquement extrêmement nocif.



Il suffirait donc de faire cesser la violence dans l’éducation pour remettre en cause les comportements criminels et délinquants ?

Olivier Maurel : La violence est une fusée à trois étages.
Le premier est celui de la violence éducative qui touche 80 à 90% des enfants. Très peu de ces enfants deviennent des délinquants et des criminels. Mais la retombée de cet étage se fait sur la génération suivante que ses parents jugent nécessaire d’éduquer comme ils ont été élevés.
Le deuxième étage, c’est la maltraitance. Tous les enfants maltraités ne deviennent pas délinquants ou criminels mais la majorité des délinquants et des criminels ont eu des enfances ravagées. Leurs délits et leurs crimes sont les retombées de ce deuxième étage sur la société.
Le troisième étage, c’est la maltraitance extrême et massive. Elle a produit, Hitler, Staline, Mao, Ceausescu, Saddam Hussein, Milosevic, tous enfants battus sans pitié ou élevés dans la pire des froideurs affectives. Portés au pouvoir dans des pays où la violence éducative était extrême, ils ont manipulé des masses d’hommes dressés depuis l’enfance à obéir à la violence. Les retombées : massacres, guerres, génocides.
Le moteur de lancement de cette fusée, c’est la violence éducative qui entretient constamment la maltraitance, la justifie, lui sert d’alibi. Sans elle, les retombées sur la société se réduiraient certainement. C’est d’ailleurs ce qui se passe en Suède où l’interdiction de la violence éducative est effective depuis 1979.


Il faut le reconnaître, les enfants savent parfois pousser à bout les adultes qui s’occupent d’eux. Les plus farouches partisans de la non-violence en éducation auront du mal à prétendre que jamais ils n’ont eu « leur main qui les démangeait». Que conseillez-vous, que proposez-vous pour que l’adulte évite ce passage à l’acte qui est le plus souvent sinon inévitable du moins par trop tentant ?

Olivier Maurel : Tous les enfants, tous les parents, toutes les situations étant uniques, aucune recette n’est valable dans tous les cas.
Pour éviter gifles et fessées, une fois posé le fait qu’on aime son enfant, qu’on répond à son besoin de tendresse et de liberté, qu’on veut vraiment son bien, ce qui est le cas de la majorité des parents, il faut remplacer le réflexe du coup qui part tout seul par la réflexion : réflexion sur l’enfant, réflexion sur soi, réflexion sur la situation.
Réflexion sur l’enfant, sur son caractère, sur son âge dont il faut connaître les capacités et les étapes obligées d’opposition. Exiger d’un enfant qu’il range sa chambre avant qu’il en soit capable mène à des conflits inutiles. L’aider et en faire un jeu est préférable.
Réflexion sur les capacités et les limites que l’on a soi-même. Sachant ce qu’on est capable ou incapable de supporter, on sait mieux sur quoi on doit être ferme et sans hésitations et ce sur quoi on peut transiger.
Réflexion enfin sur les situations qui prêtent à conflit en évaluant ce qui concerne des besoins impératifs de l’enfant (manger, dormir, se laver, p. ex.) et ce que l’on peut modifier (le moment, la manière, un jeu amusant dans le bain, une histoire, etc). On peut ainsi anticiper les situations difficiles de manière que l’enfant ne se braque pas.
Montrer à un enfant qu’il a le droit de se mettre en colère et de pleurer mais que le bruit nous fatigue, nous fait mal aux oreilles et qu’il peut aller pleurer dans sa chambre lui apprend mieux qu’une gifle l’interdépendance et les limites.
Entre père et mère on peut aussi se répartir les tâches mais en évitant qu’un seul des deux parents n’assume à lui tout seul la nécessité de poser des limites.
Des livres de puériculture peuvent aider, à condition que leur auteur n’accepte pas la fessée. Ainsi, Thomas Gordon préconise-t-il d’écouter vraiment les enfants et explique comment faire, en employant par exemple le « « je » qui exprime les émotions plutôt que le « tu » accusateur et expose une méthode « sans perdant. Isabelle Filliozat, de son côté, aide à déchiffrer les émotions de l’enfant et à y répondre de façon adéquate.
Bref, il s’agit de traiter l’enfant et de se traiter en tant que parent avec respect et de s’interdire de traiter l’enfant comme on ne voudrait pas l’être soi-même.


Si un travail de fond reste à faire dans la prévention de cette violence éducative pour les plus petits, pour les plus grands des enfants et des adolescents, le mauvais pli est souvent déjà pris: ils ont intégré les mécanismes de violence qu’ils ont subis et les reproduisent peu ou prou dans leur quotidien. Comment réagir face à leurs réactions violentes ?

Olivier Maurel : Quand un tissu a pris un pli, il est difficile de l’effacer. Mais un adolescent ou un homme encore jeune porte en lui des capacités humaines qui, même malmenées et atrophiées par les violences subies dans l’enfance, peuvent être réactivées.
La meilleure attitude est toujours le respect vrai de l’enfant ou du jeune homme, le respect de soi aussi, l’expression et l’écoute des émotions : dire à l’enfant ce qu’on éprouve et être à l’écoute de ce qu’il éprouve. Cela ne peut s’expliquer en quelques lignes. Marshall Rosenberg, dans son livre Les mots sont des fenêtres... (Syros) expose une méthode de communication non-violente fondée sur l’expression et l’écoute des sentiments et des besoins, toutes choses auxquelles la plupart d’entre nous n’ont pas été habitués dans leur enfance. Et ceux qui ont vu, sur la 2, dans l’Envoyé spécial du 15 novembre, l’extraordinaire travail effectué par une psychologue dans une prison sud-africaine sur des chefs de gangs, ont pu voir ce qu’il est possible de réaliser par l’écoute des émotions. Au bout de quelques séances d’expression et d’écoute mutuelle, ces violeurs, ces tueurs en série impitoyables qui, au début de l’expérience ne pensaient qu’à tuer la psychologue parce qu’ils craignaient qu’elle porte atteinte à leur pouvoir dans la prison, parvenaient à s’exprimer de façon bouleversante. Ils n’étaient pas guéris mais, manifestement, en voie de l’être. Ce qui est possible sur des tueurs doit l’être à plus forte raison sur de petits délinquants ou des enfants portés à la violence à cause de leur passé.

(1)  « Cent questions-réponses sur les châtiments corporels et la Non-violence active », « Cent questions-réponses pour résister et agir », aux éditions La Plage.


Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal de L’Animation  ■ n°28 ■ avril 2002

 


Olivier Maurel a diffusé, un manifeste en invitant chacun à s’en faire l’écho, y compris en le faisant signer comme une pétition et en l’envoyant à son député ou au premier ministre.

Manifeste contre la violence « éducative »

La France a signé et ratifié le 7 août 1990 la Convention des droits de l’enfant. L’article 19 de cette Convention stipule que les États signataires « prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toutes formes de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales ».

Or, en France, d’après un sondage SOFRES de janvier 1999, 80% des parents donnent à leurs enfants gifles et fessées quand ce ne sont pas des coups de martinet ou de ceinture. Presque tout le monde trouve cela normal, inoffensif et même nécessaire. Et les services sociaux et la Justice n’interviennent que dans les cas extrêmes.

Pourquoi est-il permis de frapper un enfant alors qu’il est interdit de frapper un homme adulte, une femme, une personne âgée et, en prison, le pire des criminels ? Nos lois ne permettraient-elles d’agresser que les plus faibles ?

Les enfants ont le droit d’être élevés sans violence, ce qui ne signifie pas sans fermeté.

De multiples études récentes ont montré que difficultés scolaires, délinquance, violence, dépression, alcoolisme, abus de drogues, maladies diverses et même accidents ont très souvent pour origine des violences, même modérées, subies dans l’enfance. Maintenant que nous le savons, nous n’avons plus l’excuse de l’ignorance qu’avaient nos parents.

Pourquoi s’étonner que certains jeunes recourent à la violence quand le premier exemple de violence leur a en général été donné par leurs propres parents les frappant sur les joues, le crâne, le dos ou les fesses ?

L’enfant frappé apprend à frapper les autres. L’enfant respecté apprend à respecter les autres. Le rôle des parents est-il d’enseigner la violence ou le respect ?

Les parents qui frappent leurs enfants pour les éduquer le font parce qu’ils ont été frappés eux-mêmes et ignorent les conséquences de leurs coups. Seule une interdiction sans ambiguïté, comme celle qui, en France, interdit les coups à l’école depuis le XIXe siècle, peut mettre fin à ce cycle. La France, comme déjà onze pays, dont neuf européens, doit voter une loi spécifique interdisant toute violence, y compris fessées, gifles, tapes, etc. Cette loi doit être assortie non pas de sanctions judiciaires mais d’une large information apportée aux parents ainsi qu’aux futurs parents sur les effets des coups et les moyens d’élever les enfants sans violence, exactement comme il est demandé aux automobilistes d’être familiers avec le code de la route.

Les signataires de ce manifeste demandent au gouvernement et à leurs députés de mettre la législation française en harmonie avec la Convention des Droits de l’Enfant, comme le demande le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU, et de voter une loi spécifique qui interdise vraiment toute forme de violence à l’égard des enfants. Le texte de cette loi pourrait être semblable à celui de la loi danoise : « L’enfant a droit au soin et à la sécurité. Il faut agir de manière respectueuse vis-à-vis de l’enfant et ne pas lui infliger de punition corporelle ou autre traitement humiliant. »