Lerussi Alain - ARS

« On est dans une logique autant militante que professionnelle »

Alain Lerussi est Directeur général de l’ARS

Depuis votre arrivée à la direction de l’ARS, en 1991, cette association est passée de deux à huit services : pouvez-vous nous donner la recette ?

Alain Lerussi : je ne vous donnerai pas de recette, parce que je crois qu’il n’en existe pas. Notre souci a été, depuis 10 ans, d’apporter des réponses à des besoins non satisfaits. Il nous est apparu insupportable, à l’époque, de constater qu’à Marseille, des jeunes ne trouvaient pas de solutions à leurs difficultés. Nous avons alors décidé d’innover. Ca a commencé avec l’atelier Passerelle. Un certain nombre d’adolescents se trouvaient exclus de l’Education nationale et des formations pré qualifiantes (mission locale, stages d’insertion...). Cela concernait notamment les deux foyers d’hébergement que nous gérions : les gamins se retrouvaient à 8h30, devant la télé. Nous avons donc imaginé une structure susceptible de poser des exigences progressives pour amener les jeunes à respecter la ponctualité ou simplement à parler poliment, toutes choses qu’ils n’arrivaient pas à faire et qui  les mettaient en marge des dispositifs de droit commun. L’histoire du service prévention nuit est très proche. Dans un de nos foyers, des filles accueillies ont été prises dans un réseau de prostitution. Cela nous a amené à collaborer avec la police. En discutant avec eux, ils nous ont fait la réflexion qu’après 17h00, ils n’avaient plus d’interlocuteurs chez les éducateurs. Il n’y avait personne pour s’occuper des jeunes la nuit. En 1996, des éducateurs se sont joints, pendant trois semaines, aux patrouilles de police de nuit. C’est de là, qu’est née l’idée de créer un service spécialisé. Notre Conseil d’administration et notre Présidente ont accepté de prendre des risques pour créer de nouveaux services répondant à tous ces besoins non satisfaits.

 

Comment les personnels ont-ils réagi à ces évolutions ?

Alain Lerussi : quand je suis arrivé, nous avons enterré un jeune adulte qui venait d’avoir 18 ans. Il était décédé du sida. Cette situation concernait alors plusieurs autres adolescents pris en charge. Il était évident que nous n’étions pas équipé pour assurer un tel accompagnement vers la mort. Mais, personne n’aurait compris que nous passions le relais à des services spécialisés. Les jeunes auraient eu l’impression qu’on les jetait, les professionnels qu’on les abandonnaient. Nous avons donc pris la décision de continuer à être à leurs côtés, et ce jusqu’à la fin. On est là dans une logique autant militante que professionnelle. Quand j’ai souhaité qu’un éducateur soit présent la nuit où le journaliste de Lien Social serait présent, cela tombait sur son jour de repos. Il a accepté tout de suite. On le fera récupérer ensuite. Mais, ce qui l’emporte, c’est avant tout l’engagement sur un projet précis. Avant mon arrivée, l’association avait une gestion d’épicier. J’ai proposé que l’argent qui avait été économisé soit investi dans des actions nouvelles. Le Conseil d’administration a accepté. Nous avons pu alors procéder à un recrutement supplémentaire : nous sommes passés de 37 à 90 salariés.

 

Comment voyez-vous l’avenir de l’ARS ?

Alain Lerussi : aujourd’hui, ce qui compte, c’est de pérenniser les services qui ont été créés. Ils sont reconnus par nos partenaires, mais vivent sur des budgets aléatoires. Il faut asseoir leur financement et éviter les pertes de temps et d’énergie que constitue chaque année la recherche des crédits. Et puis, il y a encore un projet qui me tient à cœur : organiser une présence éducative au sein des commissariats. Les discussions avec le directeur adjoint de la sécurité publique à Marseille sont bien avancées sur cette question. Beaucoup des petits délinquants qui sont entendus par les policiers et puis qui sont relâchés, le sont  sans aucune suite donnée, ni au niveau judiciaire (classement sans suite du parquet), ni au niveau éducatif. Recevoir les gamins pour un rappel à la loi et les accompagner chez leurs parents si ceux-ci ne veulent pas venir les chercher pourrait être l’amorce d’un travail éducatif en leur direction. Ce n’est pas confondre le métier de policier et d’éducateur. C’est les faire cohabiter et permettre une multiplicité de réponses. La hiérarchie policière a validé ce projet. Le Conseil général contacté pour son financement doit nous donner sa réponse. Restera à convaincre les policiers de base.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°609 ■ 14/02/2002