Métivier Martine - Suicide

« La parole est la meilleure prévention contre le suicide »

Martine Métivier est Directrice de  « Recherche & Rencontres ». Le Centre social Recherche et Rencontre est un service spécialisé dans la prévention du suicide et le travail auprès des personnes en grande détresse morale. Présente dans huit villes, cette association propose des permanences d’accueil mais aussi des groupes de parole et de créativité qui visent à revaloriser les personnes qui les fréquentent.

Comment se situent les enfants et les adolescents face à la mort ?

Martine Métivier : Je ne suis pas une spécialiste de la psychologie de l’enfant. Je peux seulement vous dire que les travaux dont j’ai eu connaissance font état d’une acquisition tardive des caractères définitif et irréversible de la mort. C’est vrai que, tout au long de l’enfance, les jeux (et pas seulement électroniques) attribuent souvent plusieurs vies. La mort est alors perçue d’une manière assez virtuelle. Les générations anciennes confrontaient les plus jeunes, bien plus qu’actuellement à la violence ou à la guerre. La situation des adolescents est particulière. De tous temps, il ont été attirés par les jeux ordaliques, au cours desquels, ils confient au hasard le soin de décider de leur vie ou de leur mort. C’est le cas, par exemple, de ces défis qui consistent à traverser en cyclomoteur et à toute vitesse, un carrefour au feu rouge. On peut considérer que les jeunes qui prennent ces risques savent qu’ils peuvent avoir un grave accident. Mais en même temps, ils ne le réalisent pas tout à fait. Il y a une sorte de perte de conscience de la possible survenue de la mort. Comme si, se montrer courageux et audacieux suffisait à être protégé. Comme si cela n’arrivait qu’aux autres, mais pas à soi, ni à ses copains. Et pourtant, chaque jeune est confronté, à un moment ou à un autre, à la mort d’un de ses pairs qui fait alors irruption d’une manière toujours très traumatisante. C’est  là un âge qui veut contrôler sa vie : « je n’ai pas demandé de naître, je peux donc décider de mourir, c’est moi qui décide » pense le jeune. Les conduites à risque peuvent être interprétées comme une façon de reprendre le pouvoir sur son existence, une forme d’expression de la toute puissance. Les adultes ont pour responsabilité d’encourager l’ado dans son autonomisation, tout en lui fixant des limites. C’est quand l’un ou l’autre de ces pôles n’est pas tenu, qu’il y a problème. Et les ados, qui ont fréquemment tendance à vouloir bousculer les adultes, le feront éventuellement, en menaçant de se suicider. La façon dont ces derniers vont réagir va dès lors être essentielle.

 

Justement, comment devons-nous réagir ? Faut-il engager un travail de prévention ? Ne prend-on pas le risque, si on en parle du suicide, d’être incitatif ?

Martine Métivier : Ce n’est pas dangereux d’en parler. C’est plutôt de ne pas en parler qui est dangereux. Bien sûr, il faut trouver le bon moment pour l’évoquer et non pas le faire brutalement. Mais, il ne faut pas craindre d’être à l’initiative de cette discussion. Nous faisons régulièrement des interventions au sein des collèges. Ces débats ont lieu soit à la demande des élèves soit à celles des enseignants. Je peux vous assurer que les échange sont les mêmes dans les deux cas. Les jeunes sont toujours passionnés par ce que nous abordons  et qui consiste pour l’essentiel à traiter de la question : comment faire quand on va mal et qu’on a des idées noires ? Dans les groupes que nous rencontrons, il y a forcément certains qui vont très bien et d’autres qui vont plus mal et parfois même très mal. L’idée n’est pas de chercher à détecter celui qui va mal, mais de tenir un discours à l’ensemble du groupe. Tout le monde peut traverser, à un moment ou à un autre, une période difficile. Les raisons peuvent en être multiples : redoubler une classe, rater son permis de conduire, être plaqué(e) par le copain ou la copine etc ... Le jour où il  arrive quelque chose de grave (et cela dépend de chacun : les circonstances qui conduisent aux tentatives de suicide peuvent sembler dérisoires à certains mais essentielles pour celles et ceux qui y ont recours), comment je ferai ? En fait, les échanges démontrent à chaque fois la pluralité des ressentis. Face à de tels incidents de la vie, chacun réagit différemment. Il y en a pour qui c’est une catastrophe et ils plongent dans le désespoir. Pour les autres, cela les laissera quasiment indifférent. Les mêmes événements peuvent provoquer de réactions très diversifiées. L’un préfèrera rester tout seul, l’autre va aller plutôt voir des copains. L’un restera renfermé, l’autre cherchera à en parler, ce qui lui permettra de relativiser ce qui lui arrive. Il n’y a pas une façon de réagir qui soit meilleure qu’une autre. L’important, est d’arriver à supporter ce qui arrive et à faire avec. Favoriser l’expression de cette pluralité des regards permet, j’en suis convaincue, de montrer qu’il y a plusieurs possible au moment où ça va mal. Tout cela, bien sûr est très virtuel et si ça se trouve, le moment où cela arrivera le jeune fera, peut-être, complètement autrement. Mais, il est toujours utile d’en parler quand on n’est pas en situation de crise, car les propos échangés peuvent revenir à l’esprit quand la crise survient.

 

Il important aussi de pouvoir s’appuyer sur son entourage...

 Martine Métivier : Effectivement, ce qui est aussi très efficace avec les jeunes, c’est d’évoquer les appuis dont ils pourraient disposer, s’ils passaient par un moment difficile. Certains disent qu’ils n’auraient pas recours à leur famille, d’autres iraient voir tel ou tel professionnel qu’ils connaissent. D’autres encore, se tourneraient vers leurs frères et sœurs aînés. Beaucoup affirment leur intention de s’appuyer sur leurs pairs. Là encore, il n’est pas question de définir ce qui est bien et ce qui est mal. La réflexion qui s’engage alors montre la diversité des possibilités. Ce qui est essentiel en matière  de prévention du suicide, c’est de répondre au sentiment d’impasse et de non compréhension autour de soi. Poser ces questions, à l’avance, c’est démontrer qu’il n’y a jamais une seule solution à un problème et qu’il y a plein de gens qui peuvent servir de relais. Une deuxième chose qui me semble essentielle à dire concerne l’attitude des adultes. Il est important qu’ils soient eux-mêmes un minimum à l’aise avec cette question. Dans certains établissement, des profs sont pris de panique le jour où ils reçoivent la confidence d’un jeune sur son désespoir ou son envie de suicide, et ils s’empressent de l’adresser à quelqu’un d’autre qu’ils jugent mieux placé qu’eux. La « panique » qu’ils affichent alors risque fort de décupler encore l’angoisse que le jeune avait au départ. On peut se montrer inquiet, c’est fondamental d’être authentique, dans de telles situations. Mais,  il ne faut pas perdre de vue que celui que le jeune a choisi pour confier sa détresse doit se montrer digne de la confiance qui lui a été alors accordée. Il lui faut tenir sa place avec tranquillité et une certaine sérénité. C’est ce type de comportement qui est le plus aidant.

 

Comment réagir quand le passage à l’acte s’est produit ?

Martine Métivier : On doit agir dans deux directions : d’une part les copines et copains du jeune et lui-même quand il a pu s’en sortir, mais aussi les adultes qui s’occupent de lui. Ces derniers sont souvent oubliés. Il y a tout un travail à faire avec eux sur la culpabilité qu’ils ressentent. J’ai, en tête, l’exemple d’un internat où rien n’a été fait de ce côté là. Un an après, les enseignants vont très mal. Ils s’en défendent, affirmant que tout va très bien et qu’ils ont réussi à dépasser le traumatisme. Mais, je n’y crois guère. Ne rien faire en la matière constitue en outre, un risque de renouvellement du passage à l’acte. Les statistiques sont brutales et froides : un jeune qui a fait une tentative de suicide est trois fois plus exposé pour en refaire une autre. Le travail de prévention est dans ce cas encore plus indispensable. Le jeune suicidant continue probablement à aller tout aussi mal qu’avant son acte. Il a voulu adresser un message important : celui de sa souffrance. Il faut qu’il s’aperçoive qu’on a entendu quelque chose : « j’ai compris, j’ai entendu, je vois que tu étais mal ». Cela passe par la valorisation de sa tentative comme étant quelque chose qu’il a jugé nécessaire de faire et qui est grave puisqu’il a mis sa vie en danger. Puis, il faut aborder la possible récidive : comment une autre fois tu vas faire pour réagir autrement et réussir à te protéger ?

 

Que faut-il faire avec la famille ?

Martine Métivier : Il faut veiller, à ce que sa famille comprenne bien, elle aussi, ce message. Et notamment en évitant que tout le monde ne se coalise autour du jeune pour organiser le déni ou la banalisation. Lui-même, en premier,  peut le faire: « ce n’est rien, j’ai pété les plombs, c’est bon maintenant, ça va ».  Ce n’est même pas toujours seulement une construction pour éviter d’inquiéter ses proches. Non, il n’y a simplement pas de conscience réelle de l’existence d’un risque de récidive. Comme, en plus, cela arrange tout le monde, chacun, en toute bonne foi, ferme les yeux. Tout au contraire, ce qu’il faut faire, c’est bien de remonter à l’émotion initiale et d’imaginer une nouvelle crise possible. Comment il va faire cette fois-là et comment tous ceux qui l’entourent vont l’aider ? La prévention la plus efficace est, à mon sens, d’en parler. J’ai le sentiment que la parole constitue le plus souvent le meilleur moyen pour éviter l’acte. Il y a un thème très important que nous abordons quand nous rencontrons les jeunes pour parler du suicide, c’est la façon dont ils peuvent être soutenants les uns avec les autres : «  si l’un d’entre vous entend que son copain ou sa copine a une intention suicidaire, comment il fait ? » C’est à cette occasion que nous abordons la question du secret des confidences. A cet âge,  le monde des adultes est perçu comme hostile et il est difficile d’avoir l’impression de trahir un copain (ou une copine) qui vous a confié ses intentions suicidaires, en décidant d’en parler. Mais en cas de passage à l’acte, la culpabilité est terrible à assumer.

 

On dit parfois que plus qu’une tentative de suicide, c’est du chantage ou un appel à l’aide ...

Martine Métivier : Toute tentative de suicide doit absolument être prise au sérieux, même la petite coupure ou les trois comprimés avalés. Quel que  soit le moyen utilisé,  même si cela n’a pas mis la vie en danger, l’acte doit être traité avec la même intentionnalité. On risque sinon de pousser le jeune, qui a l’impression de ne pas avoir agi sérieusement, de le faire cette fois-là, pour de bon. Il est moins risqué de prendre au sérieux quelque chose qui n’avait, peut-être, pas besoin de l’être, que de banaliser une intention qui était très installée, et que le jeune va pouvoir mûrir et renouveler de façon plus grave. Il n’y a aucun danger à parler d’une tentative de suicide à une jeune fille qui a avalé des somnifères et qui va dire qu’elle avait surtout envie de dormir. Il vaut mieux mettre des mots sur son inquiétude. L’amener à parler de sa souffrance valorise le jeune, alors qu’à cet âge, on souffre tant de dévalorisation. Ce qui compte, alors, ce n’est pas alors d’aborder ce qu’il a fait, mais l’état dans lequel il était pour en arriver là et comment il va faire une autre fois pour tirer la sonnette  d’alarme, à temps.

 

Contacts : Union des Centres Recherche & Rencontres : 61 rue de la Verrerie 75004 Paris- Tél. : 01 42 78 79 10 (qui pourra transmettre les coordonnées des groupes de Paris, Lyon ; Toulouse, Marseille, Grenoble, Nantes , Brive et Objat)

 

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal De l’Animation  ■ n°27 ■ fév 2002