Evin Claude - Droits des usagers

« Inscrire le droit des malades dans la loi»

Claude Evin a été éducateur spécialisé dans un service de placement familial pendant 7 ans. Il a été ministre de la Santé et des affaires sociales de 1988 à 1991. Il est député du Parti Socialiste depuis 1978. L’un des derniers projets essentiels de la législature concerne le droit des personnes prises en charge par le système de santé. Claude Evin, rapporteur de ce texte devant la Commission des lois a bien voulu présenter, pour le Journal du Droit des Jeunes, la philosophie du législateur et les principales mesures qu’il a prévues.

Le Projet de loi sur le droit des malades n’intervient pas à n’importe quel moment. Le droit des usagers est un thème aujourd’hui très porteur.

Claude Evin : Cette loi correspond indéniablement à une évolution majeure de notre société. Il y a plusieurs éléments dans notre histoire récente qui marquent la place des usagers dans notre système de santé. L’événement qui a servi de bascule, c’est l’affaire du sang contaminé. On s’est aperçu que nos outils n’étaient pas très sûrs. C’est ce qui a produit la création des Agences de Sécurité Sanitaire. Mais cela a aussi été l’occasion de nous apercevoir qu’il y avait du côté des médecins et du système sanitaire en général une certaine opacité à l’égard des patients et un certain nombre de carences. Et puis avec le développement du Sida, on a vu les malades eux-mêmes et leurs associations, revendiquer une certaine prise en charge de leur propre situation. Tout cela a beaucoup marqué depuis quinze ans. Cela devait être pris en compte. Le texte de loi prévoit notamment que les associations de malades seront beaucoup plus représentées dans les différentes instances. Elles le sont aujourd’hui déjà, dans les conseils d’administration des hôpitaux. Elles le seront demain dans l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé. Dorénavant, ces associations devront faire l’objet d’un agrément, ce qui va leur donner un certain poids, et la possibilité d’exprimer officiellement la position des malades, ce qui est nouveau.

 

Quel a été l’objectif du législateur en proposant cette loi ?

Claude Evin : Les droits des malades ne sont actuellement que très peu affirmés dans le Code de la santé. Il y a bien sûr le 11ème alinéa du préambule de la constitution de 1946, (qui affirme que « la Nation doit assurer la protection de la santé »), mais on trouve quasiment rien dans la loi. En fait, ces droits ont émergé pour la première fois, avec la loi hospitalière de 1991 qui présente les premiers éléments d’accès au dossier médical, ainsi que les conditions d’accueil et de séjour des personnes hospitalisées. On trouve ensuite toute une série d’autres textes, mais sans qu’ils soient référés directement au droit des malades : cela concerne aussi bien les personnes qui se prêtent aux recherches biomédicales (loi Huriet, 1988), que celles qui sont hospitalisées en raison de troubles mentaux (loi de 1990 reprenant celle de 1848). Ces lois concourent indirectement à affirmer le droit des personnes malades. Il y a eu des textes plus récents sur l’accès aux soins palliatifs et sur le traitement de la douleur qui sont aussi des éléments de droit. Il y a aussi des circulaires en 1974 ou plus récemment en 1995 sur la charte des personnes hospitalisées. On trouve enfin des éléments dans la jurisprudence. Mais il y a très peu de textes dans notre législation qui affirment en tant que tels, les droits des malades accueillis dans un établissement de santé. L’objectif du législateur était d’écrire donc dans la loi les droits des personnes : droit à la dignité, droit d’accéder à des soins.

 

En quoi cette loi répond-elle effectivement à une meilleure prise en compte du droit des malades ?

Claude Evin : Le texte en question s’appelle « projet de loi relatif aux droits des malades et à la qualité du système de santé ». Il comporte trois titres. Le premier porte sur les droits des personnes malades par rapport au système de santé. Le second concerne davantage l’aspect qualité avec aussi bien la formation continue des médecins, la réforme des ordres médicaux, l’encadrement de la chirurgie esthétique, la création des offices professionnels pour les professions paramédicales etc … Ce deuxième volet est pour moi important, car la qualité de la santé est aussi un droit du malade. Le troisième titre porte sur l’indemnisation des accidents médicaux.

Je vous propose de développer le premier et le troisième titre.

Schématiquement, les droits des malades peuvent se résumer dans deux directions : le droit d’être informé sur sa pathologie, sur les traitements possibles et corollairement le droit d’être acteur de son traitement. Autour de cela,  il y a un certain nombre d’implications concrètes. Qui dit information, dit démarche d’un professionnel de santé qui informe le malade. Mais il est aussi nécessaire de garantir que le malade puisse avoir accès à toutes les informations le concernant. C’est à partir du droit à l’information qu’est venu le débat sur l’accès au dossier médical. La loi de 1991 en prévoyait déjà les modalités. Mais, elle avait rendu nécessaire l’intermédiaire d’un médecin désigné à cet effet. Ce qui va être nouveau dans le texte en débat, c’est que l’accès pourra être direct. Je dis bien « pourra ». Cela veut dire que ce ne sera pas obligatoire. Dans certaines situations, l’accompagnement d’un médecin pourra être recommandé. Dans les cas d’hospitalisation d’office ou à la demande d’un tiers, en raison de troubles mentaux, il y aura, sous réserve de l’avis de la Commission départementale d’hospitalisation psychiatrique, l’obligation de la présence d’un médecin. Le projet de loi prévoit aussi que la personne hospitalisée puisse désigner une personne de confiance qui pourra consulter le dossier si elle-même n’est pas en mesure de le faire. Tout ceci constitue des avancées notables au regard du droit des malades.

 

Quoi de nouveau en matière d’indemnisation ?

Claude Evin : C’est le titre 3 du projet de loi qui concerne l’indemnisation des accidents médicaux. C’est là une question déjà ancienne qui est posée depuis 1964 et qui a fait depuis l’objet de cinq rapports gouvernementaux et d’une quinzaine de propositions de loi. De quoi s’agit-il ? La société considère qu’il est de plus en plus inadmissible  qu’on sorte de notre système de santé plus malade qu’on y est entré. Bien sûr, la dégradation peut venir de l’évolution malheureusement normale de sa maladie. Mais quand l’aggravation provient de raisons extérieures, du fait, par exemple, d’un accident chirurgical ou d’une maladie nosocomiale, ce n’est pas tout à fait normal. Face à une telle situation, on a pu constater plusieurs lacunes : procédures trop longues, mais aussi traitement différent selon qu’on a à faire à un hôpital ou à une clinique privée. Le projet de loi inscrit un dispositif nouveau. Celui-ci ne modifie pas le recours aux procédures de droit commun (administrative pour l’hôpital et judiciaire pour les cliniques privées). Simplement, il crée une Commission Régionale d’Expertise et de Conciliation, qui pourra être saisie par les personnes qui s’estiment victimes, quel que soit le grief. Cette commission ne traitera que les préjudices graves qui dépassent un certain seuil d’incapacité. En dessous de ce seuil, la personne sera renvoyée vers l’établissement et son assurance. En cas de préjudice grave, cette Commission organisera une expertise contradictoire et rendra un avis. S’il y a eu faute, la compagnie d’assurance de l’établissement devra verser une indemnisation. S’il n’y a pas eu faute, le préjudice sera renvoyé vers un fonds d’indemnisation financé par la solidarité nationale. Nous n’avons pas créé un système judiciaire spécifique, puisque cette Commission ne prend pas de décision qui s’imposerait, mais a un rôle de conciliation et de recommandation. Nous avons toutefois prévu une pénalisation possible d’une compagnie d’assurance qui refuserait d’indemniser, alors que la responsabilité est manifestement établie. Parallèlement, le projet de loi prévoit un dispositif différent de nomination des experts médicaux : ce sera une commission nationale qui en établira la liste.

 

Je ne peux m’empêcher de vous interroger sur l’arrêt Perruche…

Claude Evin : Je n’ai pas été scandalisé par l’arrêt Perruche. Il a sa propre logique qui se réfère au raisonnement juridique. Je ne considère pas que cette décision de la Cour de Cassation aie reconnu le préjudice de la naissance. On est ici dans une situation où il y a d’abord eu une faute médicale. C’est un accident fautif qui n’a pas permis à la mère de pouvoir éventuellement avoir recours à une interruption médicale de grossesse comme lui en donne le droit la loi de 1975. Il s’agit bien avant tout de la réparation d’un préjudice d’un enfant né handicapé à la suite d’une faute provoquée par un médecin. C’est donc un problème différent du simple fait de la naissance : celui de la responsabilité médicale. Cela, personne ne l’a jamais contesté. Tous les parlementaires qui se sont interrogés sur cette question trouvent tous normal que la mère soit indemnisée : elle n’a pas pu choisir, elle doit obtenir réparation. Une autre question est de savoir si l’enfant, lui, peut être indemnisé. Certains disent que ce n’est pas le médecin qui est responsable de la rubéole à l’origine de la trisomie. C’est vrai. Mais en droit de la responsabilité, on considère que quiconque n’empêche pas la survenue d’un dommage, doit le réparer. J’ai repris, lors du débat de l’assemblée nationale portant sur la proposition de loi Mattéi, l’exemple qu’avait employé il y a quelques mois, dans une revue spécialisée, une professeur de droit. Je trouve que cette illustration montre bien ce qui constitue le cadre du droit civil. Une coulée de boue emporte un camping. L’origine est naturelle. Pour autant, personne ne contestera le fait qu’on puisse engager une action en responsabilité civile contre le gestionnaire du camping. Et pourtant, il est bien évident qu’il n’est pas à l’origine de la coulée de boue. Mais on pourra considérer qu’il n’a pas pris les précautions pour empêcher la survenue du dommage et en l’occurrence la mort des campeurs. On est exactement dans cette situation. En 1997, le Conseil d’Etat a pris une décision dans une affaire semblable : l’arrêt Carez. Il a condamné le Centre hospitalier universitaire de Nice, à l’origine d’une erreur médicale ayant entraîné un handicap pour un enfant, à verser à sa famille, pendant toute la durée de sa vie, une rente mensuelle de 5.000 F, considérant que c’était la juste compensation de la charge imposée aux parents pour assumer leur enfant. On a donc bien considéré là, qu’il y avait bien une responsabilité de l’Etat. Mais on n’a pas reconnu le droit à l’handicapé lui-même, mais à ses parents. Maintenant, ce qui fait débat et provoque des réticences, c’est la question de la reconnaissance pour la personne handicapée du droit à demander une indemnisation au regard de ce qu’elle aurait été si elle n’avait pas été handicapée. Un enfant naît avec un handicap, mais s’il n’était pas né avec ce handicap, il ne serait pas né. Je comprends qu’on pose un certain nombre de questions et qu’on veuille préciser un certain nombre de choses. Mais, si on veut éviter que soient pris de nouveaux arrêts Perruche, cela risque de constituer paradoxalement, une limitation du recours au droit. C’est d’ailleurs pour cela, qu’un certain nombre d’associations de personnes handicapées sont réservées sur la nécessité de légiférer.

 

La montée du droit des usagers ne risque-t-elle pas de limiter les professions du secteur médicale mais aussi socio-éducatif dans les nécessaires prises de risque qu’implique leur action ?

Claude Evin : Il ne faudrait pas confondre la médiatisation d’un certain nombre d’affaires avec l’augmentation de leur nombre. En matière de santé, je suis en mesure de vous affirmer qu’il n’y a pas vraiment d’augmentation du contentieux. Notamment, en comparaison avec l’accroissement important des actes médicaux réalisés. On est plus dans une fantasmatisation que dans ce qu’on évoque fréquemment : une tendance à l’américanisation. Il faut savoir qu’aux USA, le recours aux actions en responsabilité répond à deux types de préoccupation. D’une part, c’est un fond de commerce pour un certain nombre d’avocats, ce qui n’est pas le cas ici. D’autre part, il n’y a pas là-bas de protection sociale. La recherche en responsabilité a pour objectif premier, la prise en charge des soins. C’est la meilleure façon de ne pas régler personnellement les factures d’hospitalisation. Ce qui se passe outre atlantique n’a rien à voir avec ce qui se passe dans notre pays. La prise de risque n’est pas ici en cause. Les malades savent bien -ils ne sont pas idiots- que tout ne peut être traité, ni guéri. Mais ce qu’ils ne supportent pas, c’est qu’on ne leur dise pas la vérité. Souvent, le contentieux en matière médicale porte sur une rupture de confiance entre le patient et le médecin. Le problème, c’est que les professionnels de santé, et les médecins notamment, quand il arrive un pépin sont laissés tous seuls face à une famille, face à un patient, avec une pression considérable. Cette situation n’est pas acceptable, pour le professionnel qui ne sait toujours comment dire. Et c’est là où les contentieux démarrent. Je reçois pas mal de courriers de gens qui se sont trouvés face à cette situation, qui envisagent d’engager une action en justice. Dans la quasi totalité des cas, ils me disent , « On en m’a pas dit ce qui s’est passé ». Je veux bien croire que, parfois, cela veut dire en réalité « on m’a dit, mais je n’ai pas voulu entendre », mais quand même dans beaucoup de situations, il y a manque de transparence. Ce que veulent les gens, c’est savoir ce qu’il y a eu et que cela ne se reproduise pas. D’où l’importance d’avoir un dossier médical clair. Et les médecins qui pensent que la non-communication de ce dossier leur permet de se protéger, je crois,  se trompent. Quand on est face à un malade et qu’on ne veut pas lui dire la vérité, celui-ci fera tout pour la connaître. S’il veut récupérer son dossier il pourra toujours engager différentes actions et notamment au pénal, pour obtenir, par exemple, une perquisition. Si on est confronté à des gens qui veulent obtenir des réponses ils les obtiendront. Cela ne sert à rien de vouloir échapper à ses responsabilités. Il faut les assumer.

 

La fin de la législature approche. Que va devenir cette loi ?

Claude Evin : Ce texte a été examiné en première lecture à l’assemblée nationale dans la première semaine d’octobre 2001. Il va venir en débat au Sénat le 22, 23 et 24 janvier 2002. A l’issue de cette première navette, le gouvernement a demandé une procédure d’urgence : une commission mixte paritaire regroupant sept députés et sept sénateurs va tenter de se mettre d’accord sur un projet commun. Je suis optimiste, car il existe un large consensus autour de cette loi. Il y a eu débat autour du principe de la communication du dossier médical. Ceux de mes collègues qui étaient réservés, qu’ils soient de droite ou de gauche étaient médecins. Ceux qui étaient plus ouverts, là aussi à droite comme à gauche, étaient ceux qui n’étaient pas médecins. Il y a eu un certain nombre de questions légitimes. Mais l’opposition n’a pas voté contre. Elle s’est abstenue. Nous sommes dans l’état d’esprit de rechercher un accord entre les deux assemblées. Si cela se concrétisait, ce texte pourrait être bouclé début février. En tout état de cause, l’objectif est qu’il soit voté définitivement, avant la fin de la session.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Journal du Droit des Jeunes ■ n°212 ■ fév 2002