Sfeir Andrée - Droits de l'enfant

dans Interviews

En progrès, mais peut faire bien mieux

Andrée Sfeir est Présidente d’honneur du COFRADE (Conseil Français des Associations pour les Droits de l’Enfant) qui regroupe cinquante associations. Déléguée générale d’Eveil, qui intervient dans les écoles pour sensibiliser les élèves à la citoyenneté, elle est aussi membre de la Commission enfance et adolescence qui a remis son rapport au Président de la République le 30 septembre 2015.

 
JDA : pensez-vous, comme certains l’affirment, que l'on parle trop aux enfants de leurs droits et pas assez de leurs devoirs ?
Andrée SFEIR : C’est là une idée reçue contre laquelle je m’inscris en faux, car c’est le contraire qui se passe. En réalité, on ne parle pas aux enfants suffisamment de leurs droits, pas plus d’ailleurs que des limites de ces droits et des responsabilités qui vont avec. La preuve a été apportée dans le sondage que nous avions commandé à la société ABC +, en novembre 2015 qui a interrogé un échantillon de 400 enfants âgés de 9 à 14 ans et de 1001 personnes de plus de 15 ans. Nous souhaitions savoir quel était le degré de connaissance de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) au sein de la population française. Les résultats sont sans appel. Les 9-14 ans étaient 62 % et les plus de 15 ans 44 % à n’en avoir jamais entendu parler. Et sur ceux à qui cela disait quelque chose, 71 % des premiers et 63 % des seconds ne se sont pas montrés en capacité de citer un seul droit. Le déficit d’information est quand même flagrant. On ne peut donc affirmer que les enfants connaîtraient plus leurs droits que leurs devoirs. Comment l’expliquer ? On évoque la complexité du texte. Il est vrai qu’avec ses 54 articles, la CIDE n’est pas forcément facile à résumer. Mais, il s’agit ni plus, ni moins que de l’application aux enfants des droits humains fondamentaux destinés à les faire grandir et s’épanouir : la santé, l’éducation, l’identité … mais aussi la protection contre l’exploitation, les mauvais traitements. Qui pourrait s’opposer à ces droits en considérant qu’il faudrait en priver les enfants ?
 
JDA : sommes-nous entrés dans la civilisation de l'enfant-roi ?
Andrée SFEIR : C’est encore un autre cliché que l’on entend parfois. Mais, il fonctionne en trompe l’oeil. Effectivement, l’attitude que nous adoptons aujourd’hui à l’égard des enfants a changé. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer : l’enfant est plus désiré qu’autrefois, l’individualisme a supplanté l’intérêt collectif, l’économie est devenue la valeur unique et centrale, un certain jeunisme dévalorise tout ce qui ne fait pas « jeune » … Tout cela a contribué à rendre l’éducation bien plus permissive. Si les repères et l’autorité, dont ont aussi besoin les enfants, ne sont plus aussi fermes qu’autrefois, on oublie trop facilement les séquelles que provoquait l’éducation autoritaire d’alors. L’argument de l’enfant-roi est souvent utilisé par ceux qui s’étonnent de le voir prendre des initiatives, pour participer à la vie en société. Ce sont les autres droits proposés par la CIDE qui ne relèvent pas de la protection mais cherchent  à développer la citoyenneté : droit à la liberté de pensée ou d’expression, droit de participer à des groupes ou à des réunions. Là aussi, il serait bien curieux de considérer que les enfants ne devraient pas expérimenter ce qu’ils pratiqueront quand ils seront adultes. Pour autant, ces libertés ne signifient pas la possibilité de tout faire et de tout dire. Des limites et des règles existent dans tous les pays. Elles s’appliquent aussi aux enfants. Ainsi, en France, le fait de tenir des propos racistes est considéré comme un délit. Un enfant, parce qu’il est enfant n’a pas plus le droit qu’un adulte de le faire.
 
JDA: quels progrès ont accompli les droits de l'enfant dans notre pays depuis 1989 ?
Andrée SFEIR : le regard sur l’enfance a changé. La prise en compte de sa parole en ce qui concerne les situations de séparation parentale, par exemple. Le droit a aux études a, lui aussi, progressé de plus en plus d’élèves obtenant le BAC. Certaines discriminations ont été supprimées, comme l’âge du mariage aligné pour les femmes sur celui des hommes (18 ans contre 16 ans auparavant). Et puis, il y a eu la création du défenseur des enfants en 2000 (qui a intégré l’institution du défenseur des droits en 2011) auprès de qui tout enfant peut déposer un recours bienveillant. La ratification par notre pays, en janvier 2016, du troisième protocole additionnel à la CIDE (datant de 2011) permet dorénavant un recours devant un organe international, en cas de violations de droits de l’enfant. Ce qui est là encore étonnant, c’est que ce qui était pratiqué sans réserve pour les adultes, a mis un certain temps à l’être pour les enfants. Il faut aussi souligner les progrès l’accueil des enfants porteurs de handicap, en primaire et dans le secondaire : 38.000 enfants accueillis de plus entre 2009 et 2013.
 
JDA : quels sont les autres domaines où la France reste en retard ?
Andrée SFEIR : justement, malgré les progrès concernant la scolarisation des enfants porteurs de handicap, il en reste environ 20.000 sans solution. Le droit à un niveau de vie correct se heurte encore à la pauvreté qui concerne un enfant sur cinq. Le droit à l’éducation, là aussi, est entaché par des inégalités d’accès  selon l’origine sociale qui perdurent. Il y a les maltraitances que nous ne réussissons pas à faire régresser : agressions physiques, sexuelles, négligence, confrontation à la violence dans les media, harcèlement, cyber-harcèlement, prostitution qui frapperait 6 à 8.000 mineurs. Sans compter les défaillances récurrentes à l’égard des enfants roms, réfugiés (à Calais, notamment) ou des mineurs étrangers isolés. Ce qui nous manque c’est une cohérence nous permettant de privilégier la continuité et l’efficacité des mesures prises. La COFRADE revendique depuis des années la création d’une mission Enfance qui instaurerait une gouvernance nationale chargée de piloter l’application de la CIDE, avec un tableau de bord faisant chaque année le point sur les avancées accomplies et celles restant à accomplir, avec par exemple une clause obligatoire impact enfant pour chaque loi votée.
 
JDA : avez-vous le sentiment d'une prise de conscience chez les professionnels de l'enfance allant dans le sens de l'application des droits de l'enfant ?
Andrée SFEIR : Les droits de l’enfant ne font pas encore partie intégrante de notre culture. En ratifiant la CIDE, il y a de cela 26 ans, notre pays s’est engagé à l’appliquer et à la faire connaître. Si, du côté de l’application, il y a eu des effets non négligeables sur notre législation nationale, comme nous l’avons vu, on ne peut pas dire qu’il y ait eu suffisamment d’efforts pour populariser les droits de l’enfant. Au CODRADE, nous plaidons pour des campagnes de communication et d’information, et pour des formations destinées à sensibiliser les professionnels aux droits de l’enfant et à en favoriser la prise en compte dans leurs pratiques. Quand on est témoin des actions menées avec succès en de nombreux endroits, on a la démonstration que c’est possible, que cela fonctionne et que cela a un impact positif. Il faut juste la volonté de les mener.


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Journal de L’Animation  ■ n°172 ■ octobre 2016