Gaberan Philippe - Réunion d'équipe

dans Interviews

Entretien avec Philippe Gaberan, successivement éducateur spécialisé, formateur, puis directeur, collaborateur de Lien Social pendant des années.

La réunion d’équipe : hier, aujourd’hui et demain

Est-il plus facile de faire vivre une réunion d’équipe dans une époque marquée par de profondes mutations ? Réponse d’un grand témoin fort de ses quarante ans d’expérience.

La protocolisation procédurale envahissante a-t-elle dégradé la réunion d’équipe ?

Je veux tout d’abord préciser que le « savoir-faire » équipe est une compétence aussi problématique à mettre en œuvre hier qu’aujourd’hui ; même si, effectivement, ce qui vient actuellement faire obstacle à celle-ci est différent. Sans ce qui fait la spécificité de l’engagement de chacun des salariés, se restreint la possibilité pour chacune des personnes accompagnées d’une rencontre avec un adulte éducateur ou travailleur social susceptible de pouvoir l’aider. Toutefois, sans un « comme-un », cette singularité est totalement inefficace. L’enjeu est donc de parvenir à faire surgir la singularité de chaque professionnel de dessous du commun. Sans ce travail du surgissement de dessous il n’y a pas d’équipe, entendue comme étant un groupe de professionnels associés de façon libre et consentie à la réalisation d’un but partagé. Alors, le poids des protocoles, procédures et autres recommandations est certes aujourd’hui énorme, mais il faut bien comprendre qu’il s’agit-là d’une stratégie voulue par tous ceux qui pensent qu’il est plus confortable de lier l’efficacité des organisations à l’éradication de tout ce qui fait la subjectivité des professionnels. Toutefois, et malgré ce carcan idéologique, il y a une vie possible pour les idées au sein d’une réunion d’équipe.

 

Comment contrecarrer la tendance au conformisme qui pousse à se rallier à la majorité ?

Le terme de « majorité » désigne très souvent dans les faits une minorité de « poids lourds », comme j’avais pu le définir dans l’une de mes toutes premières chroniques données à Lien Social il y a plus de trente ans, ou, et je le dirai de manière plus directe aujourd’hui de personnalités ayant un comportement toxique. Il y a là un véritable fléau, renforcé par les quelques trente années d’individualisme que nous venons de traverser, et contre lesquelles le management aussi participatif soit-il est souvent impuissant. Je le répète, il s’agit-là d’une difficulté qui existait déjà par le passé mais que le contexte de crise de sens actuel ne fait que renforcer. J’avais 20 ans, lorsque j’ai débuté le métier, et les réunions d’équipe étaient déjà des lieux d’affrontement d’idées et de personnes mais que retenait alors un rien de civilité et de désir de travailler ensemble. Or, la tendance actuelle est au recours aux invectives et autres passages à l’acte violents dès que surgit un désaccord. La notion d’autorité ne fait plus sens, dès lors que la violence se trouve légitimée par la conviction de quelques-uns selon laquelle nul n’est plus en droit de dire ce qui vient faire limites, règles ou lois. A partir de là, pour beaucoup de salariés aujourd’hui, il s’agit moins de rallier une majorité que de se préserver à l’intérieur de son propre espace de travail.

 

Comment éviter que la réunion d'équipe n’étouffe pas potentiellement les propositions innovantes avancées par certains de ses membres ?

Au regard de ce qui fait mon expérience de direction, je vais répondre très humblement à cette question. Pour contrer cette tendance au chacun pour soi et à la valorisation de la violence au détriment de l’échange des arguments, il va falloir une alliance au sein des équipes de cadres et de salariés suffisamment à l’aise avec la dimension du conflit pour tenir le cap et porter les changements de pratique rendus nécessaires par l’évolution des mœurs et des savoirs.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin