Vivet Pascal - La Maltraitance
Auteur de plusieurs ouvrages sur la maltraitance, Pascal Vivet est chargé de mission à la Maison des adolescents du sud Seine et Marne, tout en assurant la consultation des jeunes et de leur famille. Il est assesseur au Tribunal pour enfants de Melun, depuis vingt trois ans. Fort de son expertise de la maltraitance institutionnelle, il nous précise ce qui peut la provoquer et comment la prévenir.
Journal de l’animation : comment définiriez-vous la maltraitance institutionnelle ?
Pascal Vivet : Ce que nous écrivions, il y a trente ans, avec Stanislas Tomkiewicz dans « Aimer mal, châtiez bien », n’a guère changé depuis. La maltraitance institutionnelle relève de ce qui n’est pas directement perceptible. Donnez une gifle à un enfant, l’agresser sexuellement, le maltraiter psychologiquement constituent une infraction au code pénal qui peut être qualifiée et faire l’objet d’un dépôt de plainte et d’un jugement. Mais, la violence ne se résume pas seulement à un acte. Elle peut aussi correspondre à l’incapacité à répondre au bien être et à l’épanouissement de l’enfant. Et cela intervient notamment quand l’intérêt supérieur d’une institution, quelle qu’elle soit, passe avant les besoins de l’enfant, dont elle est sensée s’occuper.
Journal de l’animation : cette maltraitance institutionnelle prend-elle une forme privilégiée : physique, sexuelle, psychologique, négligence... ?
Pascal Vivet : Il est clair qu’un changement est intervenu, depuis une trentaine d’années. Les violences institutionnelles ont commencé par être physiques, les maîtres n’hésitant pas, alors, à frapper leurs élèves. Puis, elles sont devenues psychologiques : l’enfant s’entendait dire « avec les parents que tu as, il y a peu de chance que tu réussisses à t’en sortir ». Aujourd’hui, les violences sont bien plus subtiles, avec des propos particulièrement destructeurs qui massacrent des gamins, pendant des années et des années. Ainsi, de cette appréciation sur un bulletin scolaire d’un enfant décrocheur scolaire : « élève porté disparu ». Ce ne sont que des mots, pourra-t-on penser. Mais ils sont inqualifiables, tant ils stigmatisent une situation de souffrance à l’origine de l’absentéisme constaté. Même les parents ne voient pas comment intervenir, convaincus souvent que ce qui est dit et fait l’est pour le bien de leur enfant. « C’est assez difficile comme cela pour tout le monde, tu baisses la tête et du avances » s’entend répondre l’enfant ou le jeune qui se plaint. Il y a là, de la part de notre société, une banalisation qui est inquiétante. Il y a focalisation sur les agressions sexuelles particulièrement médiatisées quand elles surviennent, à l’image de ces adultes pédophiles, alors qu’elles sont extrêmement rares. C’est l’arbre qui cache la forêt, empêchant de voir ce qui est malheureusement bien plus courant et récurrent.
Journal de l’animation : quels sont les facteurs de risque favorisant la maltraitance institutionnelle ?
Pascal Vivet : L’un de ces facteurs, c’est la suppression de toute source d’information sur l’existence de la maltraitance autre que les spots télé grand public. Une loi a été votée rendant obligatoire une heure d’information obligatoire, au cours de l’année scolaire sur les différentes formes de mauvais traitements. On devait y aborder ce qui se passe dans la famille, dans les institutions et dans la société. Cette loi est bien peu appliquée, ne concernant qu’à peine 10 % de l’effectif des élèves. Qui s’en soucie ? Personne ! La jeunesse commence, quand ont vote ! Autre facteur de risque, la disparition des personnes ressources susceptibles d’être un relais pour les adolescents. Je réside en Seine et Marne et je ne peux que constater la carence en infirmières et médecins scolaires qui ont traditionnellement pour fonction d’être des interlocuteurs pour les élèves vivant des situations difficiles.
Journal de l’animation : comment peut-on prévenir cette maltraitance institutionnelle ?
Pascal Vivet : La première chose, c’est peut-être d’informer les adultes de ce qu’est la maltraitance. Ce que fait déjà la jeunesse et les sports en diffusant des brochures à destination des stages Bafa. Bien d’autres ministères feraient bien de s’en inspirer. Car, il est quand même impressionnant de constater qu’aujourd’hui, la formation des enseignants ne comporte pas une seule minute consacrée à ces questions. Comme on ne leur apprend nulle part à gérer la violence qui émerge parfois des relations avec les élèves. Pas étonnant, dès lors, d’entendre les personnels de l’Éducation nationale constater leur impuissance à savoir comment réagir, ne se sentant pas qualifiés pour cela. Pourtant, une telle initiation ne demande pas des heures et des heures d’étude. Je propose, moi-même, une telle formation courte aux établissements scolaires qui me sollicitent. Outre les adultes, je pense qu’il faudrait former aussi un certain nombre d’enfants et d’adolescents, pour qu’ils servent de relais à leurs camarades rencontrant des situations de maltraitance. En commençant par les délégués de classe à qui l’on pourrait apprendre un certain nombre de réponses sur la conduite à tenir. Cela peut aussi se réaliser dans les centres de vacances. L’existence de centres de ressources est tout aussi importante. Depuis la décision de Jacques Chirac, en 2002, de créer une maison des adolescents par département, il n’y en a toujours que vingt sept. Ce qui est loin de couvrir l’ensemble du territoire.
Journal de l’animation : quand on a conscience d'une maltraitance commise par un collègue de travail, comment réussir à dépasser la solidarité entre adultes qui incite parfois à ne pas oser le critiquer ?
Pascal Vivet : Peut-être, en ne se plaçant pas en position de jugement, mais en allant vers ce collègue, pour lui dire son sentiment sur ses propos ou comportements posant problème. Se positionner, en expliquant que de la même façon que, par solidarité, on ne peut pas laisser quelqu’un avec qui l’on travaille en situation de danger, on ne peut pas non plus le laisser agir négativement, sans réagir. Il ne s’agit pas de le condamner, en remettant en cause sa vocation ou ses capacités à exercer un métier auprès des enfants, mais de lui signaler les faits qui vont à l’encontre de ses ambitions de bien faire.
Journal de l’animation : poussé à bout par un enfant et sentant la violence monter en lui, que doit faire un animateur ?
Pascal Vivet : La première chose, c’est de considérer le rapport établi avec l’enfant comme un rapport singulier qui nécessite donc un dialogue individualisé. La seconde chose, c’est de ne jamais rester seul, et de chercher à s’appuyer soit sur sa hiérarchie, soit sur ses collègues, afin de sortir d’une relation duelle par trop enfermante. Cela permet de ne pas en faire un problème personnel. Il faut, ensuite, renoncer à chercher à vaincre à tout prix. Quand la relation éducative est supplantée par un problème d’ego, le coût risque d’être excessif : « on se brûle, tout en brûlant l’autre ». C’est bien la lutte contre la violence qu’il faut mener, pas celle contre la personne. Il n’y a qu’un seul combat qu’on ne gagne jamais, c’est celui qu’on ne livre pas.
Lire le dossier : La maltraitance
Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°142 ■ octobre 2013
Journal de l’animation : comment définiriez-vous la maltraitance institutionnelle ?
Pascal Vivet : Ce que nous écrivions, il y a trente ans, avec Stanislas Tomkiewicz dans « Aimer mal, châtiez bien », n’a guère changé depuis. La maltraitance institutionnelle relève de ce qui n’est pas directement perceptible. Donnez une gifle à un enfant, l’agresser sexuellement, le maltraiter psychologiquement constituent une infraction au code pénal qui peut être qualifiée et faire l’objet d’un dépôt de plainte et d’un jugement. Mais, la violence ne se résume pas seulement à un acte. Elle peut aussi correspondre à l’incapacité à répondre au bien être et à l’épanouissement de l’enfant. Et cela intervient notamment quand l’intérêt supérieur d’une institution, quelle qu’elle soit, passe avant les besoins de l’enfant, dont elle est sensée s’occuper.
Journal de l’animation : cette maltraitance institutionnelle prend-elle une forme privilégiée : physique, sexuelle, psychologique, négligence... ?
Pascal Vivet : Il est clair qu’un changement est intervenu, depuis une trentaine d’années. Les violences institutionnelles ont commencé par être physiques, les maîtres n’hésitant pas, alors, à frapper leurs élèves. Puis, elles sont devenues psychologiques : l’enfant s’entendait dire « avec les parents que tu as, il y a peu de chance que tu réussisses à t’en sortir ». Aujourd’hui, les violences sont bien plus subtiles, avec des propos particulièrement destructeurs qui massacrent des gamins, pendant des années et des années. Ainsi, de cette appréciation sur un bulletin scolaire d’un enfant décrocheur scolaire : « élève porté disparu ». Ce ne sont que des mots, pourra-t-on penser. Mais ils sont inqualifiables, tant ils stigmatisent une situation de souffrance à l’origine de l’absentéisme constaté. Même les parents ne voient pas comment intervenir, convaincus souvent que ce qui est dit et fait l’est pour le bien de leur enfant. « C’est assez difficile comme cela pour tout le monde, tu baisses la tête et du avances » s’entend répondre l’enfant ou le jeune qui se plaint. Il y a là, de la part de notre société, une banalisation qui est inquiétante. Il y a focalisation sur les agressions sexuelles particulièrement médiatisées quand elles surviennent, à l’image de ces adultes pédophiles, alors qu’elles sont extrêmement rares. C’est l’arbre qui cache la forêt, empêchant de voir ce qui est malheureusement bien plus courant et récurrent.
Journal de l’animation : quels sont les facteurs de risque favorisant la maltraitance institutionnelle ?
Pascal Vivet : L’un de ces facteurs, c’est la suppression de toute source d’information sur l’existence de la maltraitance autre que les spots télé grand public. Une loi a été votée rendant obligatoire une heure d’information obligatoire, au cours de l’année scolaire sur les différentes formes de mauvais traitements. On devait y aborder ce qui se passe dans la famille, dans les institutions et dans la société. Cette loi est bien peu appliquée, ne concernant qu’à peine 10 % de l’effectif des élèves. Qui s’en soucie ? Personne ! La jeunesse commence, quand ont vote ! Autre facteur de risque, la disparition des personnes ressources susceptibles d’être un relais pour les adolescents. Je réside en Seine et Marne et je ne peux que constater la carence en infirmières et médecins scolaires qui ont traditionnellement pour fonction d’être des interlocuteurs pour les élèves vivant des situations difficiles.
Journal de l’animation : comment peut-on prévenir cette maltraitance institutionnelle ?
Pascal Vivet : La première chose, c’est peut-être d’informer les adultes de ce qu’est la maltraitance. Ce que fait déjà la jeunesse et les sports en diffusant des brochures à destination des stages Bafa. Bien d’autres ministères feraient bien de s’en inspirer. Car, il est quand même impressionnant de constater qu’aujourd’hui, la formation des enseignants ne comporte pas une seule minute consacrée à ces questions. Comme on ne leur apprend nulle part à gérer la violence qui émerge parfois des relations avec les élèves. Pas étonnant, dès lors, d’entendre les personnels de l’Éducation nationale constater leur impuissance à savoir comment réagir, ne se sentant pas qualifiés pour cela. Pourtant, une telle initiation ne demande pas des heures et des heures d’étude. Je propose, moi-même, une telle formation courte aux établissements scolaires qui me sollicitent. Outre les adultes, je pense qu’il faudrait former aussi un certain nombre d’enfants et d’adolescents, pour qu’ils servent de relais à leurs camarades rencontrant des situations de maltraitance. En commençant par les délégués de classe à qui l’on pourrait apprendre un certain nombre de réponses sur la conduite à tenir. Cela peut aussi se réaliser dans les centres de vacances. L’existence de centres de ressources est tout aussi importante. Depuis la décision de Jacques Chirac, en 2002, de créer une maison des adolescents par département, il n’y en a toujours que vingt sept. Ce qui est loin de couvrir l’ensemble du territoire.
Journal de l’animation : quand on a conscience d'une maltraitance commise par un collègue de travail, comment réussir à dépasser la solidarité entre adultes qui incite parfois à ne pas oser le critiquer ?
Pascal Vivet : Peut-être, en ne se plaçant pas en position de jugement, mais en allant vers ce collègue, pour lui dire son sentiment sur ses propos ou comportements posant problème. Se positionner, en expliquant que de la même façon que, par solidarité, on ne peut pas laisser quelqu’un avec qui l’on travaille en situation de danger, on ne peut pas non plus le laisser agir négativement, sans réagir. Il ne s’agit pas de le condamner, en remettant en cause sa vocation ou ses capacités à exercer un métier auprès des enfants, mais de lui signaler les faits qui vont à l’encontre de ses ambitions de bien faire.
Journal de l’animation : poussé à bout par un enfant et sentant la violence monter en lui, que doit faire un animateur ?
Pascal Vivet : La première chose, c’est de considérer le rapport établi avec l’enfant comme un rapport singulier qui nécessite donc un dialogue individualisé. La seconde chose, c’est de ne jamais rester seul, et de chercher à s’appuyer soit sur sa hiérarchie, soit sur ses collègues, afin de sortir d’une relation duelle par trop enfermante. Cela permet de ne pas en faire un problème personnel. Il faut, ensuite, renoncer à chercher à vaincre à tout prix. Quand la relation éducative est supplantée par un problème d’ego, le coût risque d’être excessif : « on se brûle, tout en brûlant l’autre ». C’est bien la lutte contre la violence qu’il faut mener, pas celle contre la personne. Il n’y a qu’un seul combat qu’on ne gagne jamais, c’est celui qu’on ne livre pas.
Lire le dossier : La maltraitance
Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°142 ■ octobre 2013