Gautron Virginie - Recherche scientifique

« Notre faiblesse est aussi notre force »

Virginie Gautron est docteur en droit pénal et sciences criminelles, maître de conférence à l’Université de Nantes et membre du laboratoire UMR CNRS 3128 droit et changement social.

Les travaux des chercheurs en sciences sociales contredisent souvent le point de vue généralement partagé : cela veut-il dire que vous avez raison contre tout le monde ?
Je vous rassure : les chercheurs ont d’autant moins raison contre tout le monde qu’ils ne sont que bien rarement d’accord entre eux. La démarche scientifique implique un débat permanent entre pairs. Chacun essaye d’appréhender la réalité, à partir d’une méthodologie qui définit précisément comment la recherche va se réaliser, les populations qui vont être interrogées, les outils mis en œuvre. C’est cette démarche qui permet d’établir un certain nombre de corrélations, elles-mêmes bases d’hypothèses de compréhension des phénomènes sociaux. C’est cette méthodologie et les tentatives d’interprétation qui en sont issues qui font ensuite l’objet de discussions et de critiques. Nombreux sont les lieux où peuvent se confronter les approches, analyses, les recherches. L’objectif d’un chercheur est bien de faire dépendre les conclusions auxquelles il aboutit de ce qu’il constate sur le terrain. Sa plus grande qualité et donc de reconnaître quand il s’est trompé. Cela montre qu’il est dans une véritable démarche d’exploration et qu’il ne se contente pas de chercher ce qu’il veut trouver. Bien sûr, chacun d’entre nous, sommes imprégnés de convictions et de présupposés Nous nous référons à des écoles de pensée ou à des théoriciens. Tout cela ne peut pas ne pas nous influencer. Mais c’est justement en plaçant les travaux que nous menons, sous le regard critique de la communauté scientifique, que nous pouvons le mieux nous approcher d’une vérité que personne ne pourra jamais établir une bonne fois pour toutes. D’autant que notre domaine d’intervention n’est pas celui des sciences exactes qui peuvent établir par a+b un phénomène physique, par exemple. Les sciences humaines demandent bien plus de prudence et de circonspection.

Les travaux des chercheurs en sciences sociales contredisent souvent le point de vue généralement partagé : cela veut-il dire que vous avez raison contre tout le monde ?
Il existe un certain nombre de spécialistes autoproclamés de la sécurité qui fréquentent beaucoup les média et qui ont l’écoute privilégiée des politiques. Leur succès tient aux positions simples et rapides qu’ils adoptent. Ils ont en général réponse à tout et fournissent des solutions qui semblent pouvoir régler tous les problèmes. Là où les chercheurs ont besoin de temps, pour bien approfondir un sujet et expliquer comment ils procèdent pour arriver à leurs résultats, ces prétendus spécialistes sont bien plus en cohérence avec les exigences médiatiques qui demandent à faire le tour d’une problématique en moins de cinq minutes. Là où les scientifiques se méfient d’une instrumentalisation, ces pseudos spécialistes hésitent d’autant moins à répondre aux demandes implicites des pouvoirs publics qu’ils savent répondre à leurs attentes, en apporter une caution aux choix idéologiques dominants. Reconnaissons que les décideurs qui font des appels d’offre pour différentes recherches ont tendance parfois à sélectionner les équipes qui leur permettent de justifier leurs politiques. Ils savent donc ce qu’ils veulent et se tournent en priorité vers ceux dont ils savent qu’ils leur apporteront les réponses qu’ils souhaitent entendre. Les uns et les autres s’y retrouvent donc.

Justement, comment réussir à faire plutôt entendre la voix des chercheurs qui semblent présenter de meilleures garanties ?
Les chercheurs ne sont pas des militants. S’ils peuvent s’engager dans leur vie de citoyen, c’est à titre personnel. Leurs travaux ne souffrent pas d’une quelconque partialité. Si c’était le cas, leurs résultats feraient rapidement l’objet de remises en cause qui invalideraient leur crédibilité. Ils ne peuvent se porter au-devant de la scène publique, en revendiquant en tant que chercheur, une opinion. Quand ils s’expriment, c’est pour faire état de ce que leur travail a démontré. Nous communiquons volontiers les résultats de nos recherches, en répondant aux media quand ils nous interrogent, comme je le fais avec vous. Nous pouvons aussi tenir des conférences ou intervenir dans des formations. Mais, nous ne disposons pas de réseaux d’influence et n’avons pas pour ambition première de peser sur les décisions politiques. Nous ne pouvons offrir que nos productions issues de notre savoir-faire et d’une méthodologie basée sur la rigueur des règles scientifiques. Ce qui ne nous rend pas toujours très audibles. Mais ce qui constitue notre faiblesse est aussi notre force. Car si nous ne sommes guère capables de nous inscrire dans l’immédiateté et la simplification de certaines demandes médiatiques, l’analyse en profondeur que nous essayons de réaliser apporte des pistes sur la durée.

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Propos recueillis par Jacques Trémintin
LIEN SOCIAL ■ n°997 ■ 09/12/2010