Thill Edgar - La motivation

Edgar Thill a dirigé le laboratoire de psychologie du sport de l’Institut National du Sport et de l’Education Physique entre 1977 et 1983 et a été, pendant de nombreuses années, conseiller de plusieurs fédérations sportives de haut niveau. Parmi ses nombreux ouvrages, le « Manuel de l’éducateur sportif », régulièrement réédité, en fait une personnalité de référence à même d’expliquer la motivation

Comment définiriez-vous la notion de motivation ?
Edgar Thill : La définition que nous avons élaborée avec Robert Vallerand, de l’université du Québec à Montréal, présente la motivation comme l’ensemble des forces intrinsèques et extrinsèques qui déclenche une action, l’oriente et suscite une persistance plus ou moins grande du comportement qui lui permet de se pérenniser. Par force intrinsèques, il faut comprendre ce qui vient de l’individu lui-même, comme les buts qu’il se fixe ou les motifs qui l’anime. L’activité est alors recherchée pour le plaisir et la satisfaction qu’elle procure. Les forces extrinsèques proviennent du monde environnant, ce sont le climat de travail, le type de rétro action (les commentaires que provoquent les actions des individus), les gratifications financières. L’activité est mise au service d’autres finalités comme gagner de l’argent, bénéficier d’une promotion sociale, élargir son cercle relationnel… Toutes ces forces interagissent entre elles, pour engendrer un état de motivation qui produit lui-même un certain nombre de conséquences : intérêt pour l’activité, comportements induits (persévérance, ponctualité, assiduité), mais aussi émotions (anxiété, joie …).

Y a-t-il des comportements à éviter lorsque l’on veut motiver un public ?
Edgar Thill : Certains comportements sont tout à fait contre-productifs, comme par exemple formuler des critiques ou des sarcasmes en public. Les échecs répétés ont pour effet d’amenuiser la confiance en soi. L’individu a alors tendance à s’enfermer dans une vision auto dépréciative. Les commentaires négatifs ou évaluatifs dévalorisants ne font que le décourager. Ils font malheureusement partie de la culture des éducateurs. C’est systématiquement, que l’on ne fait ressortir que les aspects négatifs, au point que le sujet en vient à ne retenir que ce qui ne va pas ! Ce qui est redondant avec l’échec et ne fait qu’induire un ressenti de faible compétence. Il y a ensuite les comportements par trop contrôlants qui, au prétexte que l’on ne peut pas leur faire confiance, réduisent les perceptions d’autonomie et de responsabilité des individus. Mais, moins on les associe, plus on les enferme dans leur démobilisation. Ce système mène à un enchaînement fatal qui réduit la confiance et transforme la spirale du succès attendue en spirale d’échec redoutée. Sans compter les formes tout à fait excessives, voir aberrantes de contrôle, comme installer une surveillance par caméra ou prétendre régler la vie affective des jeunes, en leur interdisant, par exemple, de flirter. On peut aussi évoquer les punitions, malvenues quand elles consistent à utiliser l’activité comme moyen de rétorsion. Autre comportement à proscrire, celui qui consiste à donner de multiples objectifs. La capacité de focalisation de l’attention ne peut avoir deux directions. II est essentiel de privilégier avant tout la maîtrise de l’activité et non la compétition. On ne peut à la fois se centrer sur une tâche et essayer de battre les autres. Il faut tenter de faire pour le mieux avec ce qu’on sait faire. La performance vient en plus et ne doit pas être recherchée d’emblée. L’actualité nous donne l’occasion de préciser ce qu’il ne faut vraiment pas faire : payer les participants pour obtenir leur simple présence. Passer de la pratique d’une activité ludique au registre monétaire, c’est changer de perception et s’attaquer à la motivation intrinsèque. Ce qui produit un important effet de démotivation.

Alors, justement, comment peut-on la reconstruire cette motivation ?
Edgar Thill : En faisant tout le contraire de ce que je viens de dénoncer. La remédiation nécessite avant tout de d’accroître l’intérêt pour l’activité. Cela passe par une graduation de la difficulté des activités, afin que le sujet fasse l’expérience du succès et qu’émerge chez lui la perception de sa compétence. Il faut lui fixer un objectif approprié qui ne soit ni inatteignable, ni trop peu stimulant. Le niveau réaliste est celui qui excède juste les capacités du moment. Mais il est tout aussi important d’augmenter la perception d’autonomie ainsi que le sentiment de responsabilisation : quand on associe chacun au choix des activités, en fonction du niveau d’expertise de chacun, le degré d’implication s’accroît. C’est là un excellent moyen de remobilisation : la modification de l’état de motivation a alors des effets spectaculaires au niveau comportemental.

Pouvez-vous nous illustrer ce que vous nous affirmez là ?
Edgar Thill : Bien sûr. Je peux vous prendre l’exemple du club de natation sur lequel est intervenu le Professeur Vallerand, au début des années 2000. Cette équipe souffrait d’un fort taux d’absentéisme (35%), comme cela se passe souvent dans les structures sportives fréquentées par des adolescents qui abandonnent souvent avant la fin de l’année. Un programme fut mis au point, en direction tant des entraîneurs que des sportifs. La première démarche consista en un certain nombre de mesures sur l’état de motivation. On demanda aux membres de l’équipe comment ils percevaient les entraîneurs : laissaient-ils de l’autonomie ou au contraire étaient-il vécus comme autoritaires ? Les cadres furent ensuite incités à développer des comportements propres à encourager les sportifs, à leur laisser des initiatives et à insister sur ce qu’ils savaient faire. Parallèlement, on demanda aux nageurs d’être pro actifs, c’est à dire de ne pas seulement attendre les consignes de leurs entraîneurs, mais de participer au développement de leurs compétences. Les résultats furent spectaculaires : non seulement les comportements des entraîneurs devinrent plus autonomisants et bien moins contrôlants, mais le degré de satisfaction des nageurs progressa nettement et leur taux d’absentéisme s’effondra à 4,5%. Ce programme permit à ce club de devenir l’un des meilleurs du pays, de voir un certain nombre de ses sportifs être sélectionné aux jeux Olympique de 2004 à Athènes et d’y obtenir plusieurs médailles.

Ces ressorts peuvent-ils trouver une extension, ailleurs, comme par exemple, dans le monde de l’animation ?
Edgar Thill : Les applications peuvent être multiples : pas seulement dans le monde du sport, mais aussi dans celui des entreprises ou de l’animation. La méthode est simple. Elle s’appuie sur deux principes : favoriser un sentiment d’autonomie et induire des perceptions de compétences. Il existe différentes formes de compétence qu’il faut savoir identifier et mettre en avant. Dans la vie d’un groupe, on peut s’appuyer sur un membre particulièrement capable de réguler l’énergie collective, un autre sachant apaiser et réduire le stress, un troisième qui excelle dans la coopération. S’adresser à chacun en fonction de ce qu’il peut apporter et un puissant moyen de remobilisation.

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Jacques Trémintin - Journal De l’Animation ■ n°105 ■ janvier 2010