Bonnefon Gérard - Handicap et cinéma

Au cinéma, les personnages handicapés interpellent le spectateur sur ses propres représentations de l’altérité.

Gérard Bonnefon est l’auteur de « Handicap et cinéma » Chronique sociale, 2004

Quelle place le cinéma a-t-il donné au handicap, depuis sa création ?
Les personnes ayant un handicap sont à l’écran depuis le début du cinéma : dans Concours de boules, des frères Lumière (1896), on aperçoit un homme traversant vivement la partie en cours, à l’aide de béquilles. Cet épisode ne relève pas du hasard. Les premiers cinéastes, en mettant en scène des personnages handicapés, se sont saisis de l’étrangeté produite par le handicap. Les fictions sont de remarquables témoins de l’évolution des représentations du handicap dans la société. Au cinéma, le public découvre que l’altérité est de ce monde, et il peut la ressentir, non comme une menace, mais comme une possibilité de rencontre avec l’autre. Cet autre à la fois proche et lointain.

Le film Intouchables constitue-t-il un tournant dans le regard que porte le cinéma sur le handicap ?
Non. Parler de tournant est vraiment excessif. Intouchables est une excellente comédie, sympathique et consensuelle, très bien construite, d’où l’on sort détendu et satisfait. Il y a une dose d’humour, de l’amitié et des moqueries dans des proportions équilibrées, ce qui a contribué, sans aucun doute, à ce grand succès public. Si le film est inspiré d’un récit de vie, il s’agit avant tout d’une fiction et non d’un documentaire. Les réalisateurs ont dessiné des personnages qui échappent, parfois, à toute complexité. Ce qui est bien vu et bien montré, ce sont par exemple les émotions du héros (François Cluzet) lors des échanges épistolaires avec une femme qu’il ne connaît pas et qui ignore sa situation. Il ne va pas réussir à assumer un premier rendez-vous. La souffrance physique et psychique, ainsi que l’ambivalence de son désir sont particulièrement bien représentées. A propos de la rencontre entre un jeune de la banlieue et un membre de la haute bourgeoisie très aisée, elle est improbable, que l’on soit handicapé ou non. Ayant exercé comme travailleur social, ce qui m’a excédé, c’est la caricature qui idéaliser celui qui n’a aucun savoir faire et beaucoup de générosité et ridiculise celui qui a acquis une qualification, laquelle ne dispense pas de qualités humaines. L’accompagnement spontané du jeune de la banlieue, même si celui-ci montre de réelles qualités relationnelles, est embelli et peu crédible. Tout un chacun, connaissant la complexité des accompagnements, sait que la formation est utile pour celle ou celui qui exercera auprès des personnes en situation de dépendance. L’improvisation, que l’on soit un professionnel ou un bénévole, en matière d’accompagnement et d’éducation n’est pas recevable ! La générosité ne suffit pas et la spontanéité se heurte vite à la réalité.

Le cinéma doit-il, peut-il jouer un rôle éducatif dans l'appréhension du handicap par les spectateurs?
Si vous me demandez « doit-il », je vous réponds sans aucune hésitation non. Le cinéma n’a pas pour fonction de démontrer, d’illustrer ou de promouvoir une cause. Quand il le fait, il devient ennuyeux ou propagandiste. D’autre part, on ne va pas au cinéma pour voir et dénombrer des interprètes handicapés, mais pour ressentir des émotions, être pris dans une histoire. Mettre en scène des personnages ayant un handicap n’est pas une recette qui garantit l’intérêt et le succès, il y a toujours une fiction à mettre en forme et l’auteur doit avoir quelque chose à dire. Sinon, il ne se passe pas grand chose sur l’écran et dans la salle. Maintenant, si vous me demandez « peut-il », là, je vous réponds : oui, mais d’une manière très indirecte. Les personnes ayant un handicap vivent dans la même société que les valides. En conséquence, les personnages de fiction, porteurs d’un handicap, peu importe que le comédien soit effectivement handicapé ou valide, prennent place sur les écrans, au même titre que toute autre personnage. Ils peuvent être courageux ou lâches, sympathiques ou désagréables, susciter de la compassion ou de l’hostilité, vivre un amour ou subir une déception… finalement, même si leur altérité est utilisée par les réalisateurs, ils ont les mêmes sentiments que les autres. Il est possible de soutenir que les fictions ne sont pas sans effets sur le public et une éducation à l’altérité s’effectue à travers elles. Dans le silence des salles obscures, une rencontre s’effectue et des émotions passent. Modestement, le cinéma contribue alors à la reconnaissance de l’altérité et à l’intégration des personnes handicapées, même si cela n’est pas son objet.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1067/1072 ■ 19/07/2012