Viallefond Magalie - MESH (Val dOise)

MESH, une association pour la pratique musicale

Magalie Viallefond est maître de conférences à l’INSHEA et co-fondatrice de MESH « Musique et situation de handicap ».

Comment s’est faite votre rencontre avec le monde du handicap ?
J’étais en DEUG de musicologie, quand on m’a proposé une vacation comme professeur de musique dans un établissement pour enfants porteurs de handicap moteur. Sans aucune formation préalable, j’ai décidé de relever le défi. C’était plutôt folklorique. Je me souviens que les lames des xylophones et des métallophones, que je mettais à disposition, volaient dans tous les sens ! J’ai beaucoup dialogué avec les enfants et leurs éducateurs. Et, c’est à tâtons que nous avons progressé ensemble. Un jour, un jeune atteint d’IMC ma demandé de lui apprendre la guitare et une petite fille, qui s’essoufflait très vite et ne disposait que de trois doigts sur la main gauche (les autres étant réduits à des moignon), la flûte à bec. J’ai pris contact avec les prothésistes et kinésithérapeutes de l’établissement. Mes initiatives n’ont pas plu. Quand j’ai fait venir des musiciens, aux cheveux longs, ça a été pire. C’était une institution crée par des religieuses et nous étions dans les années 1970. Au bout de deux années, j’ai été remerciée. Cependant passionnée par ce travail, j’ai décidé de persévérer. En 1985, j’ai participé à la création de MESH. Quelques années plus tard, j’ai présenté ma thèse de doctorat sur les caractéristiques de la pratique musicale, avec les personnes handicapées. Et puis, en 1985, j’ai participé à la création de « Musique en situation de handicap ».

Que propose votre association ?
Nous nous inscrivons dans une démarche de recherche action, pour mettre en place des dispositifs répondant aux besoins des différents acteurs. On essaie de répondre aux demandes de parents qui voudraient que leurs enfants porteurs de handicap fassent de la musique. Nous les orientons et assurons une action de médiation pour leur permettre d’accéder à un atelier musical. Nous leur organisons aussi des ateliers tremplins avec des musiciens intervenants, car on ne trouve pas toujours les solutions, tout de suite. En direction des professionnels, nous travaillons sur un partenariat Culture, Education national et médico-social afin que les pédagogues puissent partager entre eux leurs réflexions et leurs recherches réalisées sur le terrain. Cela représente tout un travail de sensibilisation, d’expertise, de médiation et de mise en réseau. Nous assurons aussi beaucoup de formations.

Existe-t-il d’autres associations de ce type, en France ?
MESH a longtemps travaillé dans le seul Val-d’Oise. Aujourd’hui, l’association a obtenu une audience nationale, en animant le réseau « musique et handicap » qui fédère nombre d’initiatives existant sur le territoire français. Le ministère de la Culture nous a sollicités, dans les années 2000, pour modéliser ce que nous avions élaboré et le généraliser aux autres départements. Nous doutions que ce dispositif puisse ainsi être exportable. Nous avons déjà du mal à pérenniser notre fonctionnement : comme tant d’associations, nous passons beaucoup de temps à renouveler nos financements, d’une année sur l’autre. Des quatre salariés qui se répartissent entre l’animation du réseau et la formation, la pédagogie, la communication et l’administratif, nous avons dû en licencier un cette année, du fait de la réduction de nos subventions.

Quelle pédagogie adaptée proposez-vous aux pratiques artistiques en direction des publics porteurs de handicap ?
Commençons par dire que parler de pédagogie adaptée est un pléonasme, car une pédagogie doit par définition, toujours être adaptée au public à qui elle s’adresse. Nous partons d’une conception fondamentale : apprendre l’art par l’art. L’action que nous menons s’inscrit dans un double processus qui loin d’être antinomique, se chevauche. Celui de la démarche artistique, d’abord, qui consiste à explorer, choisir, construire, remettre en cause, reconstruire, refaire, jusqu’à produire une réalisation finale. Ensuite, celui de la démarche d’apprentissage qui se fixe un objectif de travail, comme par exemple découvrir un style musical, et aussi qui se centre sur la formalisation et la conceptualisation, afin que l’élève puisse intégrer et prendre de la distancier par rapport à ce qu’il apprend. Tout cela demande de la part de l’enseignant la capacité à poser un cadre inducteur et à adopter une posture d’écoute de l’élève lui permettant de se mettre à son rythme et de l’accompagner dans son cheminement. Tout ça nécessite une pédagogie différenciée, une créativité pédagogique et une capacité d’adaptation non seulement des contenus mais aussi du cadre d’action.

Quelle part prend la création dans votre association ?
La création est un acte de construction et de présentation d’un travail musical qu’on a élaboré. Très tôt, nous en avons organisées, en commandant une partition à un compositeur, ou en préparant seuls pendant une semaine avec les personnes handicapées la partie qui leur était dédiée, avant de demander à des musiciens professionnels de nous rejoindre. Quand, en début d’année, on parle de création, les choses prennent du sens : pourquoi travailler ? Où veut-on en arriver ? C’est important de ne pas agir en vase clos. Cela fait levier non seulement pour les personnes qui participent, mais aussi pour les spectateurs qui changent de regard sur le handicap. L’un de mes plus beaux souvenirs, c’est celui de cette musicienne qui me fit la réflexion : « c’est la première fois qu’on me parle de ma prestation musicale et non de mon handicap ».


Lire le compte-rendu de colloque: Quel accès à la culture pour les publics porteurs de handicap ?
Lire le reportage: Centre de ressources pour permettre l’accès à la culture (14)

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1067 ■ 21/06/2012