Etre éducateur dans une société en crise - Un engagement, un métier
Philippe GABERAN, ESF , 1998, 140 p.
Qui parle traditionnellement de l’avenir de l’éducation spécialisée ? On trouve des psychologues, des psychanalystes, des sociologues et autres universitaires … Ici, c’est un professionnel de terrain qui prend la parole. S’il est chercheur en sciences de l’éducation, il n’en continue pas moins à exercer comme éducateur spécialisé auprès d’adultes en difficulté. C’est cette double approche qui donne envie de lire Philippe Gaberan. Et ça tombe bien, car des choses, il a à en dire ! Son propos a l’ambition de dépasser les problèmes corporatistes pour appréhender cette profession à l’échelle de la société.
Et tout d’abord à propos des mirages du néo-libéralisme : “ le marché est une machine aveugle au bien-être des hommes qui l’ont créé ” (p.56) dénonce l’auteur qui s’élève contre la tentation de chercher les responsabilités du côté des boucs-émissaires tels la paresse des chômeurs, la violence des jeunes, la démission des familles, ces travailleurs sociaux qui entretiennent l’assistanat … sans oublier la “ crise ” (qui a quand même aboutit dans le même temps à la multiplication par 5 du nombre de chômeurs et au triplement du P.I.B.!).
Les éducateurs spécialisés sont confrontés à tout cela non seulement dans leurs efforts d’insertion des populations dont ils ont la charge, mais aussi au sein même des institutions où ils agissent et qui sont parfois le théâtre des exactions de “ nouveaux managers ” comme le décrit avec un humour féroce l’auteur.
Issus d’un militantisme qui répondait au besoin de réparation, les éducateurs ont su évoluer vers une professionnalisation qui a apporté des outils de travail centrés sur la construction du sujet. Pourtant, “ pris dans le sillage des sciences humaines et sociales, les travailleurs sociaux ne parviennent pas à se construire une épistémologie de leur savoir-faire ” (p.67) D’où le risque de se voir réduits à de simples exécutants d’une action sociale décidée en dehors d’eux. Alors, il est temps de réagir. Le défi que la profession doit relever, est bien celui de l’engagement autour d’un certain nombre de valeurs éthiques qui ont fait leurs preuves au long des années. Comme cette conviction en l’éducabilité de tout être humain qui amène à privilégier l’éducation sur la contrainte, la prévention sur la répression. Comme ce positionnement entre une toute-puissance qui fait ignorer les partenaires de l’action éducative et la résignation face à l’échec qui serait une démission. Comme le rejet de la routine institutionnelle au profit de cette prise de risque qui place l’individu au cœur de l’intervention.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°463 ■ 19/11/1998