Jeunes reclus, souvenirs de galères et d’éducation active

François RIMAIRE, érès, 1999, 176p.

Voilà un petit bijou écrit d’une manière dynamique et avec une précision étonnante pour des souvenirs datant de plus de 55 ans. Il ravira les amateurs d’histoire et plus particulièrement les lecteurs attachés aux sources de la rééducation des jeunes en difficulté. Au travers de ses mémoires, l’auteur nous plonge au cœur de la période charnière qui a vu l’administration pénitentiaire engager les réformes pour la transformation des maisons de correction. Nous sommes en 1938. Les campagnes de presse d’Alexis Danan ont porté leurs fruits. Un texte de loi vient d’être votée visant à introduire aux côtés des gardiens des véritables bagnes d’enfants qui ont scandalisé l’opinion publique, des éducateurs chargés d’impulser le nouveau credo basé sur la rééducabilité des mineurs incarcérés. Nous suivons donc François Rimaire à son arrivée comme jeune stagiaire instituteur au sein de l’institution Saint Florent. Le constat des conditions de vie est accablant : ainsi, la nuit, les enfants sont enfermés dans des cages. Avant de pénétrer dans leur cellule, ils revêtent une chemise de toile raide et roulent leurs vêtements qu’ils placent dans une pièce à part où ils sont enfermés à clé. La salle où ils passent la nuit empeste l’urine. C’est que les douches ne sont données qu’une fois par quinzaine ! « Prendre des douches chaque jour dans un local chauffé constituerait un luxe oriental et décadent, donc nuisible à de jeunes voyous » (p.49). Il y a du travail pour ces nouveaux éducateurs qui doivent faire face aux convictions de l’époque : « L’enfant pervers instinctif est spontanément enclin à nuire à autrui ; il dirige ses actes en ce sens, et son but est atteint lorsqu’il a conscience qu’il fait naître chez son prochain ennui, peine ou douleur. Il fait le mal pour le mal et éprouve à tourmenter, à détruire, à nuire, un plaisir singulier » (« Traité de médecine légale »1920). Mais, leur intervention est très mal perçue. D’abord par les personnels, les gardiens en tête qui voient d’un mauvais œil ce qu’ils prennent comme une menace sur leur autorité, voire leur emploi. Mais, c’est aussi le cas des plus âgés des reclus, les caïds qui craignent pour leurs privilèges. La tradition veut en effet qu’un plus grand de 16 ans prenne sous sa protection un plus jeune de 14 ans. S’instaure entre eux une relation se situant entre la recherche affective mutuelle et la prostitution. François Rimaire découvrira les ressources de l’éducation active, appliquée dans des institutions, tel le foyer de Soulins où les travaux de Decroly ou Montessori sont appliqués depuis 1929. Mais les efforts déployés se heurteront à une grande résistance. Les personnels utiliseront même la diffamation pour obtenir le licenciement de l’un des éducateurs. L’auteur quittera la structure en 1943, épuisé et déçu. Mais, il continuera son combat et ouvrira une structure d’accueil d’enfants et d’adolescents dont il sera le directeur de 1949 à 1976.

 

Jacques Trémintin – GAVROCHE  ■ n°109 ■ jan-fév 2000