Le travail social au singulier

Jacques ION, Dunod, 1998, 152 p.

Jacques Ion s’inscrit ici dans le mouvement de pensée qui franchit allègrement le pas entre la crise du social et sa disparition. La réflexion autour de la mutation de la question sociale semble faire l’accord chez la plupart des spécialistes. L’auteur le résume fort bien : alors qu’hier, il s’agissait de réintégrer les laissés pour compte provisoires de la croissance, aujourd’hui le travail social est confronté à la gestion d’une masse toujours plus importante de “ normaux inutiles ”, et de “ surnuméraires ” d’une société de plus en plus inégalitaire. Pour faire face à cette évolution, les dispositifs traditionnels ont très vite atteint leurs limites. C’est d’abord les petits boulots qui sont venus tenter de suppléer le manque de professionnels. Paradoxalement, c’est sur “ le front, là où la pratique est la plus exposée et la plus complexe ” que l’on fait intervenir des “agents les moins qualifiés ou les moins expérimentés ” (p.23). A ces transformations à la base s’est ajoutée une arrivée massive dans les emplois de cadres du social de  spécialistes administratifs et privés aguerris aux méthodes de manégering. Pour compléter le tableau, Jacques Ion n’oublie pas de relater le retour en force des associations caritatives et humanitaires, des bénévoles et volontaires agissant dans le même champ que les professionnels, aboutissant à la désignation des uns et des autres  par le même vocable : celui d’“ intervenant social ”. Analyse intéressante au demeurant de la mutation profonde que nous vivons. Là où ça dérape, c’est plutôt dans l’analyse des conséquences pour les travailleurs sociaux : ainsi, leur pratique serait contrainte au changement : “ faire advenir cette identité (de l’usager) sans qu’aucun modèle de référence puisse orienter ce travail ” (p.103) Et l’auteur d’asséner une cruelle vérité qui va faire trembler les assises du travail social : “ c’est du côté de la personne elle-même et du travail de construction de cette personne que s’oriente quasi nécessairement l’intervention sociale. ” (p.111) Il n’échappera pas au lecteur l’avancée fondamentale de cette analyse : s’adresser à l’individu pour l’aider à trouver son chemin dans la voie de son épanouissement… Bon sang, mais c’est bien sûr ! Que n’y avons-nous pas pensé plus tôt ! On ne sait pas toujours où s’arrête l’amusement et où commence l’irritation face à ces grands penseurs qui parlent de nos métiers dans des termes aussi audacieux ! 

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL  ■ n°463  ■ 19/11/1998