Autobiographie d’une courgette
Gilles Paris, Plon, 2001, 228 p.
J’ai 9 ans et je vis avec ma maman qui regarde la télé toute la journée en buvant des bières. Elle me tape dessus même quand je n’ai pas fait de bêtises. Elle m’a dit que mon papa était parti faire le tour du monde avec une poule. Mais je vois pas pourquoi il aurait emmené une poule au voisin : c’est bête cet animal-là. Un jour, j’ai trouvé, sous la pile de chemises pas repassées, un revolver. Quand maman a voulu me l’enlever, le coup est parti. Elle est restée par terre comme une poupée de chiffon toute molle, les yeux grand ouverts. Quand le gendarme est arrivé, je m’attendais à la raclée du siècle. Je me suis protégé avec mes bras. J’ai senti qu’on me caressai la tête. Puis on m’a emmené dans une maison d’enfants. Je partage la même chambre que Simon et Ahmed. Ahmed il fait pipi au lit toutes les nuits et il demande chaque matin si son papa va venir le voir. Et puis, il y a Camille qui a aussi 9 ans. Quand je la vois, ça me chauffe de partout, des tas de picotements remontent sur mes bras et mes jambes et je me dis que le soleil a dû profiter de ma bouche ouverte pour entrer dedans. Rosy, c’est le seul zéduc à dormir au foyer. Michel, François, Pauline et les autres, il sont des maisons à eux. Mais Rosy, elle nous aime trop pour avoir une maison à elle. Je n’aime pas Noël : je n’ai jamais le cadeau que j’ai commandé. Quand j’ouvre le paquet, il est toujours plein d’oranges, de bonbons et de soldats de plomb. Cette année, j’ai eu le garage que je voulais : j’en crois pas mes yeux. Je me dis que le père noël a enfin reçu ma lettre que Rosy est allée poster avec toutes les autres. Peut-être que maman avait pas la bonne adresse. Ma maman, on m’a dit qu’elle est au ciel à jouer de la harpe. Ca m’étonnerait parce qu’à part la bière, la télé et les chansons à Céline Dion, maman s’intéresse à rien. Une fois, on s’est battu avec Simon et Ahmed. On est allé voir Yvonne l’infirmière : elle nous a soigné tous les trois. Un sparadrap sur la joue à Ahmed, un autre sur mon nez et le dernier sur l’oreille du doudou lapin, qui était le seul à ne pas pleurer. Simon a été puni : il doit faire briller la rampe avec de la cire. Les adultes, ils prennent parfois les enfants pour des débiles. Ils croient qu’ils n’ont qu’une envie : se percer la gorge avec une sucette, ou se casser le cou à bicyclette ou avaler de l’eau de javel pour changer du coca. Les grandes personnes font plus de bêtises que les enfants. On n’est pas sages comme des images qui bougent jamais. Mais ce n’est pas les enfants qui cambriolent les maisons ou font sauter les gens avec des bombes. J’ai encore plein de choses à te raconter : le juge qui nous écoute et qui fera rien contre nous, madame Collette la psychologue qui demande à quoi ressemblent les tâches qu’elle nous montre (moi, je trouve que c’est un mort vivant qui joue de la trompette), madame Papineau qui nous reçoit dans son bureau quand on fait des bêtises. Si tu viens me lire, je te dirai tout.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°640 ■ 31/10/2002