La Petite Menteuse
ROBERT-DIARD Pascale, Éd. L’Iconoclaste, 2022, 216 p.
La vague « Me too » est bien loin d’avoir reflué. Et voilà qu’un roman met en scène une adolescente qui accuse à tort un homme de l’avoir violée !
Quand Alice Keridreux, avocate de profession, voit entrer dans son bureau Lisa Charvet, elle n’imagine pas un seul instant ce qui va advenir. Sa nouvelle cliente a décidé de changer de conseil. Elle lui demande, « en tant que femme » de la défendre. Maître Laurentin qui l’avait assisté, lors du premier procès de son agresseur, avait pourtant très bien fait son travail : Marco Lange, le « violeur », en avait pris pour dix ans. Le procès en appel de la Cour d’assises allait bientôt se tenir. Peu de surprises à attendre. Les témoignages étaient accablants.
Pourtant, depuis le verdict, Lisa Charvet était torturée par une insupportable culpabilité. Elle avait fait condamner un homme qui ne lui avait rien fait. Marco Lange croupissait en prison depuis mille cent quatre-vingt-quinze jours, pour un crime qu’il n’avait pas commis. Comment est-il possible de faire condamner un innocent ? En décembre 2022, la condamnation pour viol sur mineur de Farid El Hairy, jugé coupable et écroué pour des faits qu’il n’avait jamais commis a marqué les esprits. La rétractation de sa victime démontre qu’une telle erreur judiciaire ne relève pas que de la fiction.
Alice Keridreux attendra un moment précis du procès, celui qui suit les premiers témoignages pour rendre publique la révélation de sa cliente. On imagine volontiers la stupéfaction et la tétanisation qui suivent cette annonce. Mais, l’avocate ne va pas pour autant renoncer à exercer sa fonction. Ce qu’elle mettra en cause dans sa plaidoirie, ce n’est pas tant le mensonge de Lisa, que cette présomption de crédibilité voulant qu’un enfant (ou un adulte) se déclarant victime de viol soit considéré comme toujours crédible ; que ces adultes qui ont tant envie d’y croire au point d’anticiper le scénario ; que ces préjugés qui stigmatisent un présumé coupable.
Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde analyse avec finesse et pertinence l’enchaînement des circonstances qui amènent l’adolescente à s’engluer dans son mensonge. La tentation d’inverser le harcèlement qu’elle subit au collège en basculant dans la posture de la victime ; l’attention toute nouvelle dont elle va devenir destinataire, rompant avec l’indifférence ressentie jusque-là ; un mal-être adolescent qui trouvait enfin une issue.
Nous faisant entrer dans la procédure du procès d’assises et dans l’arrière-cour de la profession d’avocat, l’auteure fait l’éloge du doute face à la certitude, de la complexité face à l’évidence et de la profondeur de la psyché humaine face à ses apparences.
Il faut lire ce livre, surtout pas pour mettre en doute dorénavant les révélations quant aux violences sexuelles subies par les enfants et les femmes, mais pour nous inciter encore plus de vigilance. Qu’il mente ou pas, qu’il affabule ou non, qu’il déforme ou pas, il y a toujours une souffrance vécue par la victime.
S’il ne faut pas jamais accueillir ces témoignages avec suspicion, il ne faut pas plus s’interdire un décryptage de ce que la personne cherche à nous dire : est-ce la révélation d’une agression ou le symptôme d’un mal-être bien plus profond qui ne trouve que ce moyen pour se manifester.
Une fois de plus, entre l’invalidation par principe de la parole et sa validation sans aucun recul, il y a place pour la nuance, comme le montre avec brio ce livre. Ce qui doit l’emporter c’est bien d’identifier ce que l’enfant (ou l’adulte) veut nous dire et non ce que l’on croit ou que l’on a envie qu’il nous dise.