La loi du moins fort
DUCREUX SINCEY David, Éd. Gallimard, 2024, 242 p.
Voilà un roman des plus déroutants. Il est présenté comme la genèse d’une alliance entre deux enfants qui deviendront complices de meurtres des années plus tard. C’est une toute autre dimension qui sera privilégiée ici.
Le personnage central annonce d’emblée, dès la seconde page, son ambition principale : « la mise à mort de ma mère » ! Diantre, cette ambition semble des plus démesurées, extravagante et, pour le moins, quand même un peu exagérée. Sans pour autant faire naître chez le lecteur une quelconque pulsion matricide, le reste du roman y contribue néanmoins.
Car cette génitrice semble prise d’une haine incommensurable à l’égard de son fils. Cela commence par une chasse aux mouches qui se transforme en une véritable chasse à l’homme ou plutôt à l’enfant, la mégère poursuivant son fils de pièce en pièce jusqu’à le coincer dans la salle de bain, le frappant sans discontinuer à coups de torchon. Cela continue par une raclée monumentale, la Folcoche (« Vipère au poing ») aux prises avec une colère incontrôlable finissant par cracher au visage de son enfant, après s’être assis sur son dos et lui avoir frappé la tête contre le sol.
Cela n’aurait pas été complet sans l’introduction d’une cigarette allumée dans l’oreille de l’enfant. Où cette folie maternelle va-t-elle se terminer ? Seule la lecture du livre le révèlera. Elle sera en tout cas relayée à l’école où le prof se lâche, lui aussi « petits cheveux de la tempe arrachés, oreilles vrillées, coups de règles ». Ce récit, à hauteur d’enfant, nous fait vivre ce qu’est la maltraitance physique et psychologique
Pourtant, ce véritable magasin des horreurs ne doit pas décourager le lecteur. Peut-être parce que cette description semble si proche de la résignation de tant d’enfants battus, subissant leur sort passivement. Peut-être encore parce que la finesse de l’écriture affadit la violence de scènes et les pointes d’humour déclenchent des sourires. Peut-être enfin parce que les frasques de gamin redonnent de l’oxygène au récit.
On en serait presque rassuré. Le narrateur a lié une amitié avec son voisin un peu plus âgé que lui et qui va lui servir de mauvais génie. Faire péter trois gros « mammouths » dans une boite aux lettres de la boulangère qui déteste les enfants. Projeter sur la façade de la mairie, à coups de lance-pierre, une réserve de déjections canines patiemment récoltées les jours précédents, pendant que le village assiste au feu d’artifices. Sans oublier ces lettres anonymes déversant les pires rumeurs sur les habitants.
Les deux compères vont grandir. Le temps de l’adolescence va advenir. Mais, la violence maternelle ne va pas s’affadir pour autant. Avec ses tuteurs de résilience en la personne d’un grand-père ou d’un chien. Avec des services sociaux à l’efficacité plus que douteuse. Avec une séparation parentale qui tourne au conflit, là aussi, particulièrement violent. Le destin des deux amis, devenus adultes, les conduira à l’improbable. Mais tout cela se révèlera au fil des pages. Au final, un récit captivant et tonique qui coche bien des cases du roman social, sans jamais s’abreuver ni au misérabilisme, ni à l’affliction.