De l’inceste

Françoise HERITIER, Boris CYRULNIK, Aldo NAOURI ..., Odile Jacob, 1994, 219 p.

Parmi les auteurs de ce livre (qui fait suite à un séminaire organisé au printemps 1994 au collège de France), on trouve beaucoup d’esprits brillants. Neuro-psychiatre, pédiatre, éthologue, ethnologue et juge des enfants  ont joint leur réflexion sur un thème  qui nous vaut depuis quelques années une littérature de plus en plus importante.

On sait qu’à l’origine de l’inceste il y a un faisceau de causes multi-factorielles.

Ce peut-être ces familles au sein desquelles il n’y a ni rôle ni code bien définis permettant à l’enfant de se structurer à partir de repères et de limites clairs. L’acte sexuel n’est alors ni sacralisé, ni socialisé: il est devenu un sentiment trivial. Or, c’est justement la conscience de la transgression qui caractérise le sentiment  incestueux.

C’est aussi ce confinement affectif qui emprisonne l’enfant dans la dyade avec sa mère. La relation fusionnelle initiale est indispensable à l’équilibre psychique du nouveau-né. Arrive le moment où l’enfant doit faire face au complexe d’oedipe. Il ne pourra jamais ni le résoudre ni le dépasser complètement. Seule sa mère en désignant clairement son intérêt affectif et sexuel pour une tierce personne, va au contraire lui donner les moyens de ne pas s’enfermer dans cette problématique.

L’inceste, c’est encore ce parent pervers incapable de la moindre empathie, de cette capacité à se représenter le monde des émotions de l’autre. Dès lors, il va vivre dans et pour son unique et seul plaisir et désir.

Il y a aussi ces organisations sociales propices aux dérapages, telle cette coutume dans le sud de la Grèce qui veut que le mariage se fasse obligatoirement dans l’ordre de naissance de la fratrie. Résultat: si un aîné reste célibataire, les cadets seront bloqués dans la même situation, cohabitant ainsi le reste de leur vie (y compris au niveau sexuel).

La réparation face à cette atteinte dramatique ne réside pas tant dans la sanction que dans la reconnaissance de la culpabilité de l’adulte responsable. L’enfant n’a pas à être l’accusateur. Il ne porte pas plainte, il se plaint. La nuance est de taille car c’est à la société de rappeler et d’imposer la loi. Ce dont il s’agit alors, c’est bien de la reconnaissance de l’enfant comme sujet de droit et de procéder aux séparations nécessaires. Séparation symbolique tout d’abord: si l’inceste signifie la fusion et l’absorption, il faut favoriser alors l’émergence de l’individu qui est victime. Autre séparation tout aussi indispensable: mettre l’enfant hors du pouvoir de nuisance de son bourreau.

L’enfant « inces-tué » subit des dégats psychologiques considérables. Il n’est plus le prolongement, la continuité de deux générations précédentes et génération lui-même. Il n’est plus la somme de deux différences puisque le parent qui abuse de lui le veut exclusivement à son identité.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°344 ■ 14/03/1996