Violences sexuelles en famille
Annick Chemin et all, érès/ Sauvegarde de Vendée, 1995, 176 p.
Les parutions consacrées aux violences sexuelles subies par les enfants se font au long des années de plus en plus nombreuses. Chaque auteur cherche à apporter son éclairage selon sa sensibilité et sa formation. Aussi, commence-t-on à cerner de mieux en mieux les tenants et les aboutissants de cette problématique particulièrement douloureuse.
L’ouvrage présenté ici apporte un plus dans la mesure où il est le produit d’une recherche-action entreprise par des professionnels de l’action sociale. En fait, tout commence en 1990. Face à la montée du nombre de situations incestueuses auxquelles ils sont confrontés, les travailleurs sociaux de la Sauvegarde de Vendée, se posent de nombreuses questions. Quelle est la crédibilité de la parole de l’enfant ? La procédure judiciaire est-elle bien adaptée? Quelle action éducative adopter après la révélation ? Quel doit être le travail à l’égard du réseau familial ? Quelle coordination pour les différents acteurs sur le terrain ? Un premier groupe de travail se réunit, réunissant une trentaine de personnes d’horizon professionnel très diversifié. Très vite, contacts et rencontres sont organisés avec l’extérieur (juges, policiers, services confrontés à ces mêmes situations en France et en Belgique). Le résultat de ce travail se concrétisera sous la forme d’un ouvrage qui a été édité fin 1995 par les éditions érès.
Le livre est constitué de vignettes cliniques, d’apports théoriques et de réflexions quant aux pratiques professionnelles.
La famille à risque incestueux commence à être bien connue. Au coeur du passage à l’acte, on trouve tout aussi bien la rigidité que le flou des frontières inter-générationnelles qui entraînent l’enfant dans les plus grandes des confusions quant aux rôles de chacun, aux règles, limites et interdits.
La petite victime, elle, subit un traumatisme qui s’inscrira d’une façon indélébile dans son devenir: sentiment de dégoût et de honte, perte de confiance envers ses propres ressentis et à l’égard des autres, profond sentiment de mésestime, repli sur soi-même, altération des capacités émotionnelles. « Sa capacité à sentir ’’juste’’ est anéantie, son corps ne peut plus lui servir de référence, il ne l’habite plus, ne le respecte plus, comme il n’a pas été respecté » (p.92). Face à une telle détresse, la permanence du même adulte-ressource semble garantir une certaine constance et sécurité. Ce n’est pourtant pas toujours le cas, surtout quand une mesure de placement succédant à une mesure de Milieu Ouvert, c’est un autre service qui se voit confier l’accompagnement de l’enfant.
Le livre s’interroge par ailleurs, sur le traitement des situations d’inceste hors du champ judiciaire comme cela se passe en Belgique. Il n’y est pas quant à lui favorable, déplorant que sans la médiation du tiers que représente la justice l’intervenant est contraint alors d’opposer sa propre loi à la toute-puissance de l’abuseur. Reste qu’en la matière deux logiques cheminent côte à côte et doivent se laisser mutuellement les coudées franches: l’institution judiciaire et l’institution socio-éducative.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°345 ■ 21/03/1996