La bande, le risque et l’accident

Maryse ESTERLE-HEDIBEL, L’Harmattan, 1997, 260p.

La tradition ethnologique nous a plutôt habitués à des études réalisées bien au-delà des mers, dans des ethnies chatoyantes et exotiques. Plonger à la porte de chez soi, dans ces quartiers réputés dangereux des banlieues chaudes est plus inaccoutumé. C’est pourtant ce qu’a vécu l’auteur, à partir de ses deux casquettes d’éducatrice de rue et de chercheuse en anthropologie sociale. Son travail nous ouvre les portes d’un monde plein de bruit et de fureur. Il y a d’abord un récit passionnant qui mérite vraiment le détour et séduira le lecteur par sa rigueur et sa qualité d’écriture. Mais il y a aussi une mine d’éléments permettant le décodage des comportements et passages à l’acte qu’il n’est pas toujours facile de comprendre au premier abord. Maryse Esterle-Hédibel étudie systématiquement les concepts de bande, de territoire et de risque avant de les confronter à ses observations directes ainsi qu’aux témoignages qu’elle a pu recueillir.

On comprend alors la logique de la constitution en bande comme produit de l’échec scolaire, de la dévalorisation et de la stigmatisation. Ces groupes primaires repliés sur eux-mêmes répondent directement au désir de reconnaissance et de sécurité. Ses valeurs et croyances loin d’être en opposition avec le reste de la société en reproduisent plutôt les arcanes (accès au pouvoir, à l’argent et à la reconnaissance). Cette identification s’effectue jusque et y compris dans cette voiture à la fois symbole de l’accès à l’âge adulte, à un statut social et à la puissance. La vitesse qu’elle permet d’atteindre répond directement à “ cette  recherche de sensations sans limites légitimées par le besoin de se confronter à soi-même, aux pairs et aux autres ” (p.213) Bien sûr, les moyens pour accéder à cette jouissance ne sont pas vraiment traditionnels. Mais cette délinquance correspond bien à une logique de précarité et de conformisme. Elle répond à une recherche de biens liée à la pauvreté du milieu d’origine. Le vol de voiture tout comme la conduite sans permis et sans aucun respect des règles sont conçus comme un “ emprunt ” et un accès au plaisir sans que cela déclenche la moindre culpabilité. L’agressivité et l’impulsivité marquent le quotidien des ces adolescents avant tout intolérants à la frustration et assoiffés de réalisation immédiate de leurs désirs. Inaccessibles aux conséquences des accidents parfois très graves qui parfois les côtoient mais qui ne prennent pas sens pour eux, les jeunes des bandes continuent de prendre des risques qui menacent leur vie.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°439 ■ 23/04/1998